Mon propos ici n’est pas ici d’expliquer en quoi ce film est une réussite, Val l’a très bien exposé dans sa critique. Le scénario signé par Thomas Harris, l’auteur de cette saga, commence par déstabiliser le spectateur par une scène particulièrement dure et réussit une montée en puissance dans l’horreur en alternant séquences calmes et séquences ultra violentes. Le réalisateur Peter Webber (la jeune fille à la perle, 2003) crée un film d’atmosphère avec comme toujours chez lui de superbes images. Le rythme du film s’accélère à chaque montée de violence, le réalisateur accentuant les gros plans sur les personnages et en particulier le visage d’Hannibal. Gaspard Ulliel est particulièrement stupéfiant et on suit à travers son regard et ses expressions la montée de la folie.
Je me suis demandée, en fait, ce qui a tant dérangé, critiques et spectateurs, dans ce film, pour qu’il ait été perçu de façon si négative :
La personnalité d’Hannibal ?
Dans les autres films, Hannibal est un être brillant qui inspire de l’horreur mais aussi une certaine empathie chez le spectateur, pour preuve, la petite jubilation que l’on ressent à la fin du Silence des Agneaux. Ici Hannibal inspire de la pitié puis on suit avec tristesse l’installation de la folie mais à la fin comme Gong Li, on se rend à l’évidence qu’il n’y a plus rien à aimer en lui, son cœur est mort avec sa jeune sœur en Lituanie en 1944.
Le cannibalisme ?
Avant, ça restait une particularité bizarre de ce tueur en série fictif dont le spectateur restait totalement extérieur. Ici on plonge au cœur de l’horreur humaine, les faits décrits au début du film se sont réellement produits.
Le cannibalisme est une pratique ancestrale aussi vieille que l’espèce humaine. D’après Freud il a trois caractéristiques, l’amour fusionnel, la destruction et l’appropriation des qualités de cet objet.
Le cannibalisme social :
– L’exocannibalisme : on mange son adversaire pour s’approprier ses vertus (comme chez les indiens Tupinamba)
– L’endocannibalisme : sorte de rite funéraire ou religieux. Le fameux repas totémique dont parle Freud (voir le symbolisme de la communion dans la religion chrétienne)
– Le cannibalisme détourné, des remèdes médicaux jusqu’au XIIIe siècle : poudre de crâne ou huile de cerveau humain ingérées contre l’épilepsie, mélange de poudre de momie et de sang d’un homme encore jeune au moment de son décès pour lutter contre la maladie du charbon et prolonger son existence etc… A noter que l’on trouve chez les greffés le même sentiment d’absorption de la force et des qualités du donneur, à ceci prés qu’ici il n’y a pas « ingestion ».
Le cannibalisme individuel :
– Le cannibalisme alimentaire : rappelez-vous dans la chanson pour enfants « Il était un petit navire », on mange le mousse. On retrouve ce genre de faits lors des disettes, pendant la guerre de Trente Ans, sur le Radeau de la Méduse, pendant la Seconde guerre mondiale (en 1944 un petit village de Rimini dévora une patrouille allemande et aux Philippines des soldats Japonais mangèrent des autochtones). Il est intéressant de remarquer que certains organes ne sont pas ingérés comme la langue, le cerveau, les organes sexuels.
– Le cannibalisme érotique : volonté de fusion avec l’objet de son désir (comme pour l’étudiant Sagawa en 1981).
– Le cannibalisme de vengeance pour humilier et rabaisser son ennemi au niveau animal.
Malgré tous ces exemples, le cannibalisme reste un interdit fondateur de la civilisation comme l’inceste et les survivants de cannibalisme alimentaire finissent le plus souvent par glisser dans la folie.
L’évolution de la personnalité d’Hannibal dans les origines du mal :
Les circonstances de la mort de sa sœur plonge Hannibal en pleine névrose traumatisme, on le retrouve huit ans plus tard, mutique, amnésique, en but à des cauchemars répétitifs. Auprès de sa tante il retrouve peu à peu la parole et en même temps la nécessité de la vengeance pour être digne de sa famille. Il passera à l’acte la première fois pour défendre l’honneur de cette femme, s’accordant ainsi le droit, parce qu’il a fait ses preuves, de nettoyer et d’utiliser le Katana des ancêtres. Une fois la mémoire retrouvée, la forme de sa vengeance peut s’interpréter sous l’angle de la compulsion de répétition due à son traumatisme. Pour Mélanie Klein ce genre de trauma pendant l’enfance peut réactiver la position dépressive des premiers mois de vie lorsque le nourrisson est animé d’un puissant sadisme oral lié à des pulsions destructrices importantes. D’où le cannibalisme d’Hannibal comme expression de sa vengeance mais aussi pour dominer, humilier sa victime, la réduire à l’état de viande comme sa sœur l’a été pour ses bourreaux. Quand Hannibal apprendra qu’il a lui-même ingéré Micha, on le verra basculer complètement dans la folie, laissant présager le tueur qu’il deviendra au fil du temps.
Ce film est donc un épisode très bien fait et indispensable à la compréhension du personnage d’Hannibal Lecter. Episode dérangeant aussi, car comme le souligne Val, la guerre donne naissance à des monstres et chacun peut se demander quel genre de monstre il deviendrait en fonction des circonstances.