Le jeu de l’amour et du théâtre – Avis +

Présentation officielle

Celle qui, le 5 juillet 1934, est reçue à la Comédie-Française à l’âge de 20 ans ne vient pas d’une famille ordinaire. Musiciens – son père est compositeur, sa mère harpiste –, comédiens, peintres : ne dit-on pas que les Casadesus ont le « gène de l’art » ?

Gisèle Casadesus évoque ici son étincelant parcours au sein de la prestigieuse compagnie, qui la verra jouer sous la direction de metteurs en scène tels que Jacques Copeau ou Louis Jouvet, et en compagnie des meilleurs comédiens de son temps comme Pierre Fresnay, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault… En 1937, elle créera le rôle principal d’Asmodée, pièce de François Mauriac, sous l’œil de l’auteur.

Son récit nous mène au cœur du Théâtre-Français, mêlant anecdotes savoureuses, description du travail de comédien et narration des voyages en paquebot qu’entreprenait la troupe, reçue triomphalement en Amérique. Elle retrace aussi sa carrière cinématographique entamée dès 1934 avec L’Aventurier de Marcel L’Herbier et poursuivie avec les plus grands : Raimu, Michel Simon, Jean Gabin…

Plus près de nous, elle connaît un beau succès public avec en 2010 La tête en friche, en compagnie de Gérard Depardieu, et en 2012 Sous le figuier d’Anne-Marie Etienne.

Ce livre est une traversée du siècle. Mais c’est surtout le passionnant témoignage d’une femme qui, malgré une carrière de premier plan, a réussi sa vie amoureuse – le couple heureux qu’elle a formé avec le comédien Lucien Pascal a duré… 72 ans ! – et sa vie de mère de quatre enfants (dont le chef de l’orchestre de Lille, Jean-Claude Casadesus). Dernier « monstre sacré » du théâtre français, Gisèle Casadesus est aussi d’une fine lucidité sur le « jeu de l’amour et du théâtre » qui a constitué toute sa vie, et qu’elle raconte avec beaucoup d’humour, de jeunesse et d’humanité.

Avis d’Artemis

Voilà un livre passionnant par bien des aspects. Pour commencer, il est particulièrement agréable à lire. L’écriture est fluide, la plume sincère, tour à tour amusante et touchante, le récit bourré d’anecdotes qui lui permettent d’être particulièrement vivant. Surtout, le ton correspond parfaitement à l’élégance et l’intelligence qui se dégage des interviews que l’on a pu voir, lire ou écouter de cette grande dame du théâtre.

Avec humilité, lucidité et sincérité, Gisèle Casadesus nous accompagne tout au long de sa vie, de sa naissance en 1914 dans une grande famille d’artistes, à aujourd’hui, où elle prend le temps de faire une sorte de bilan de sa vie professionnelle et personnelle, en passant par de nombreuses rencontres avec des hommes et des femmes qui ont marqué l’histoire du théâtre et du cinéma.

Le lecteur peut ainsi voir sous ses yeux se produire l’attirance pour le théâtre de l’enfant, puis la décision de la jeune fille d’en faire son métier. Elle écrit : « Je crois que l’on naît comédien ou comédienne, et que l’on ressent une passion, une vocation, l’évidence que l’on ne pourra jamais faire vraiment autre chose, parce que le théâtre vous est aussi indispensable que respirer. C’est ce que j’ai éprouvé moi-même. » [[Extrait du chapitre 18]]. On découvre ainsi comment elle a travaillé le théâtre, les concours, le conservatoire, et la meilleure école de toutes – la scène.

Loin des strass et des paillettes, on découvre avec intérêt le fonctionnement de la Comédie française, la difficulté de l’alternance (plusieurs pièces jouées en alternance sur une même période), mais aussi les efforts que la comédienne a dû déployer pour jongler entre vie professionnelle (tous les jours au théâtre, sans parler des tournées) et vie privée.

On lit également la réalité du travail de comédien, ainsi que les joies et les doutes qui ponctuent les représentations. A la fin de l’ouvrage, Gisèle Casadesus résume : « Jouer la comédie, ce n’est pas facile… A vingt ans, j’avais la chance d’être en harmonie avec mes rôles, je jouais « d’instinct ». Les années passant, la réflexion, les difficultés commencent, les interrogations, les larmes. Le mélange de la vie quotidienne, familiale, avec le métier m’a souvent posé des problèmes. Combien de fois ai-je éprouvé l’angoisse de ne pas être à la hauteur de la tâche, le découragement… Ne rien laisser paraître, c’est peut-être le plus dur. » [[Extrait du chapitre 18]]

Dès le début, son objectif est clair : « Je ferai du théâtre et j’aurai des enfants. » Elle sera fidèle à son souhait de vie et sera plutôt heureuse au long de celle-ci. Accompagnée par Lucien Pascal, lui aussi comédien, et qu’elle rencontre alors qu’elle n’est encore qu’élève comédienne, ils forment un couple soudé et auront quatre enfants (tous dans les arts – chez les Casadesus, la fibre artistique est dans le sang !). Grâce à cet amour indéfectible, et avec l’aide d’une foi qui ne l’a jamais quittée (elle est protestante), Gisèle Casadesus a réussi à ne jamais abandonner ses rêves.

Le récit s’assombrit au moment de la Seconde Guerre mondiale, nous montrant la réalité quotidienne, la difficulté d’avoir des enfants quand le rationnement et la pénurie rendent difficile de trouver suffisamment. Mais aussi comment les théâtres ont continué à fonctionner, à se battre.

Au fil des pages, on retrouve la Gisèle Casadesus que l’on connaît, avec ses rôles pétillants et vifs. Elle est d’ailleurs embauchée à la Comédie Française comme « ingénue, soubrette légère et… utilité ». On retrouve d’ailleurs des photos de cette période dans le carnet central. Extrêmement touchant, il évoque son enfance, son mariage, ses premiers rôles au théâtre comme au cinéma, mais aussi les derniers rôles dans lesquels elle a joué (Savannah Bay au théâtre ou encore Sous le figuier au cinéma l’an passé), pour finir sur une superbe photo de famille avec ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants !

Le livre s’achève sur un magnifique bilan Qui suis-je à cent ans ?, extrêmement émouvant et résumant si bien la personnalité de cette grande dame, qui continue aujourd’hui encore sa carrière au cinéma, pour notre plus grand plaisir…

Vous l’aurez compris, c’est un énorme coup de cœur pour ce récit autobiographique, véritable leçon de vie tout autant qu’un regard passionnant sur le théâtre.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 288
Éditeur : Philippe Rey
Sortie : 5 juin 2014
Prix : 18 €