Interview de Jean Rolin

Onirik : Comment vous êtes vous intéressé à Britney Spears ?

Jean Rolin : C’est à la fois un livre sur le showbiz d’Hollywood avec le système de fabrication des stars et la ville de Los Angeles. L’idée d’écrire sur le showbizness tout en écrivant sur une région m’est venue très étrangement.

Par la presse, j’ai appris que Céline Dion s’était installée dans la région de Charleroi pour préparer son prochain disque et ceci dans une résidence totalement bunkerisée parce qu’elle avait reçu des menaces. Elle s’était installée au milieu d’un bassin sidérurgique pulvérisé par la désindustrialisation. Ce qui m’intéressait c’était le territoire que je connaissais un peu et puis au milieu de cela se trouvait un objet assez intéressant.

Manifestement l’histoire de Britney Spears à Los Angeles procède de la tentation que j’avais eu à l’époque d’écrire sur Céline Dion à Charleroi.

Ce livre traite de la confrontation du produit Britney Spears dans un environnement spécifique. Le biotope des stars se trouve sur un territoire assez limité, mais qui couvre une superficie assez grande. Elle demeure au sein d’une « Gated Community », un système de lotissement avec des doubles enceintes, des grilles et des caméras partout.

Lorsqu’elle en sort son parcours est presque toujours le même, sauf dans une époque de sa vie où elle a pété les plombs, picolé et s’est défoncé. J’ai procédé à une cartographie de ses parcours à l’époque où elle était exposée et cela correspond quand même à des quartiers dangereux de Los Angeles. Quand elle avait cette existence dissolue et erratique elle couvrait un territoire assez vaste. Ensuite cela se restreint quand elle retrouve une vie normale et pépère.

Elle ne se déplace plus que dans la partie de Los Angeles la plus sûre pour les gens aisés. Ce qui est assez très frappant aussi c’est l’allure des stars hollywoodiennes. Elles se déplacent en général sur un kilomètre et demi. Ceci est incroyablement limité, ce qui facilite le travail des paparazzis. En laissant trainer ses filets dans le secteur en question on est à peu près sûr de pêcher une star. De même tous les gens branchés qui habitent cette métropole immense se rencontrent dans deux ou trois endroits.

Onirik : Pourquoi Britney Spears ?

Jean Rolin : Le choix repose sur son immense notoriété. Mais c’est aussi parce qu’elle a une trajectoire intéressante. Elle vient d’une famille de très basse extraction. Son père notoirement alcoolisé et sa mère institutrice ont élaboré un projet commun : c’était de pousser cette gamine à un âge extraordinairement tendre vers l’usine à fabriquer des stars.

Tout ceci produit forcément des gens tout à fait déréglés, n’ayant pas eu pas d’enfance, ni d’adolescence. Sa croissance s’est effectuée un peu à la hache. Il n’y a pas lieu de s’étonner des conséquences. Plus j’étudiais son cas, plus elle me devenait sympathique.

J’ai construit ce projet à l’époque où Britney Spears défrayait la chronique à cause de toutes les conneries qu’elle faisait. Aujourd’hui à Los Angeles, sa vie est réglée à tel point que quand elle n’est pas sortie à sept heures de sa fameuse Gated Community les paparazzis lèvent le siège qu’ils ont mené toute la nuit. Si elle n’est pas sortie à sept heures c’est qu’elle ne sortira pas. Elle a quitté son rôle qui à présent est dévolue à une autre starlette, Lindsay Lohan.

Onirik : Quel est le rapport de Britney Spears avec les barbouzes ?

Jean Rolin : Les services secrets français (Dieu sait pourquoi) sont prévenus avant leurs collègues américains d’une menace d’enlèvement ou d’assassinat de Britney Spears. Ils envoient donc un agent surveiller à distance Britney Spears pour repérer ses habitudes afin de prévenir la tentative d’escamoter Britney.

Puis il s’agit de la faire resurgir dans un endroit quelconque du territoire français, sans doute aux Antilles. Aussi con que ce soit, c’est tout à fait plausible. Cela m’a frappé à cause du caractère à la fois grégaire et répétitif de la vie à Hollywood lors des premières de cinéma. Les stars sont extraordinairement vulnérables, spécialement pour des gens comme les terroristes islamistes. Quelqu’un prêt à y rester aussi peut réaliser un carnage à n’importe quelle première à Hollywood. L’impact serait considérable.

L’idée des services secrets français m’est venue au fur et à mesure. Je ne pensais même pas en faire une fiction. Je pensais que j’essaierais de la rencontrer, ce qui m’aurait intéressé. Mais je n’ai vu que les barrières de sa demeure. J’ai pris contact avec des paparazzis qui se maquillent le visage comme des marines partant en opération pour monter sur la colline qui surplombe sa maison. Elle est infestée de plantes urticantes et ils m’ont conseillé d’acheter des godasses montantes (pour les serpents à sonnettes). J’ai renoncé à les accompagner dans cette expédition.

Le personnage de l’agent secret permet de se détacher de Britney Spears et d’évoluer. Je voulais parler du port de Long Beach de ce qu’on voit. Il me permettait aussi d’utiliser son point de vue lorsqu’il prend contact avec des paparazzis.

À Los Angeles, le directeur d’une grande agence de paparazzis est un Français. C’est, semble t-il, un ancien élève de l’Ecole normale supérieure. Cet ancien reporter a couvert des conflits puis à découvert Los Angeles alors qu’il était envoyé spécial pour couvrir les grandes émeutes de 1992. De fil en aiguille il s’est rendu compte que Sharon Stone roulant subrepticement une pelle à un maître-nageur lui rapportait autant qu’un an de travail pour son journal. Il a commencé à jouer au paparazzi et s’est retrouvé à la tête d’une agence.

Quand on étudie la biographie de Britney Spears, on trouve l’épisode de la tonsure dans un modeste salon de coiffure. Elle a réalisé sur elle-même une boule à zéro. À ce moment elle va vraiment mal. Quand on voit agir les paparazzis en meute, on ne les aime pas. Mais j’ai fréquenté individuellement des paparazzis français et brésiliens. Les Brésiliens sont des immigrants qui viennent travailler à Los Angeles, comme ils venaient travailler autrefois dans l’aéronautique (Los Angeles était autrefois une grande région de construction aéronautique).

Le plus âgé avait commencé comme gardien de parking, ce qui est le métier à peu près le plus bas dans l’échelle sociale et le plus ingrat. La légende veut qu’un patron d’une agence de paparazzis leur ait distribué quantité d’appareils photos jetables au cas où ils verraient quelqu’un de célèbre. Il était attaché à la surveillance de Britney Spears depuis 6 ans et quatre mois.

J’avais été agréablement surpris car ils parlaient d’elle en bien, de manière étonnamment peu machiste. L’un m’a raconté comment il l’avait ramassé une fois alors qu’elle sortait des urgences psychiatriques. Étrangement elle était apparemment venue avec son propre véhicule. Mais elle était à présent incapable de conduire. Donc il a pris le volant et l’a ramené chez elle.

Quand il fait cela il se met en position où il ne peut pas faire son boulot. Il m’a montré les vidéos qui avaient été faites par des collègues à lui qui attestaient qu’indéniablement il l’avait ramené chez elle au volant de la Mercedes. C’était l’époque où elle s’envoyait en l’air avec n’importe qui. Mais il a juste souligné la marque de confiance extraordinaire qu’elle avait prodiguée en le faisant entrer dans sa maison.

L’autre, un ancien flic, l’a repêché. On a des images de lui assez touchantes où à l’aube elle se flanque à l’eau sur la Pacific coast highway, l’artère qui longe le Pacifique. Elle plonge tout habillée dans l’océan. L’eau du Pacifique est en toute saison assez glaciale. Il lui donne le bras et ainsi il lui est interdit de faire des photos de Britney sortant de l’eau avec les vêtements qui lui collent à la peau. Ces deux paparazzis étaient des Chrétiens très fervents et ils m’étaient très sympathiques.

Onirik : On trouve également dans votre livre de nombreuses descriptions de Los Angeles qui réussit à s’imposer aux dépens de Britney Spears.

Jean Rolin : Un certain type de lieu m’attire. L’idéal absolu pour moi c’est la friche portuaire, la manière dont les ports s’étendent en poldérisation, le territoire complètement artificiel sur lequel une forme de nature se développe, par exemple Dunkerque ou la zone de Fos-sur-Mer. Ce qui m’intéresse c’est de définir un cadre.

À Los Angeles, on trouve une autoroute sur pilotis, ce qui est un décor impressionnant la nuit. Vous voyez le jour se lever sur les plages de Malibu qui ne sont pas particulièrement belles. On voit les vagues du Pacifique se briser sur les palmiers, les dauphins qui bondissent, les pélicans qui pêchent. Dans le port de San Diego des otaries se prélassent.

En ville, les collines c’est pour les riches et les plaines pour les pauvres (avec des nuances). On peut marcher partout. Plus s’est élevé et escarpé, plus c’est chic. On se retrouve sur des voies extraordinairement sinueuses et finalement il n’y a plus de trottoir. Le jardin se termine sur la chaussée.

Soit on marche sur la chaussée avec le risque de se faire renverser par une bagnole, soit on marche sur la pelouse des gens. Tout comme mon personnage j’ai pris mon courage à deux mains. Je suis rentré à travers une haie et me suis retrouvé dans une réunion privée, sans que personne ne me remarque.

Je me suis aussi pointé à la cérémonie d’enterrement de Daryl Gates, l’ancien chef de la police de Los Angeles qui a réprimé avec brutalité et efficacité les émeutes de 1992. Ses funérailles grandioses ont donné lieu au rassemblement de flics en uniforme et en civil le plus vaste de l’histoire de l’humanité.

Je n’en ai pas fini avec Los Angeles. Il serait peut être excessif de dire que je connais bien cette ville. Mais je connais dans cette ville des coins qu’assez peu de gens connaissent.

Onirik : Une chose que vous ne mentionnez pas au sujet Britney Spears et qui constitue un indice sur son état mental, c’est son soutien à Georges Bush et à l’invasion de l’Irak. Pourquoi n’est-ce pas évoqué dans votre livre qui nous indique une menace d’attentat, alors que cela pourrait constituer un mobile ?

Jean Rolin : Franchement les positions politiques de Britney Spears, tout le monde s’en fout. Elle est à peu près illettrée. Elle devait avoir 17 ans quand elle a dit cela. Elle est aussi très militante, pro-gay et lesbienne. Cela ne veut pas dire grand-chose. C’est dans l’air du temps. Elle n’est pas méchante. On ne va pas lui en vouloir surtout pour l’invasion de l’Irak. Elle ne savait pas où était l’Irak. Cela n’apporte rien.

C’est trop français comme raisonnement. En France on se soucie assez de savoir les orientations politiques des stars. Mais aux Etats-Unis pour une star du type Britney Spears, c’est sans importance. Ce qu’il y a d’important c’est de savoir si oui ou non elle va au festival gay et lesbien, cela oui. Mais ses opinions politiques aujourd’hui….