Interview de Chris Debien

Bonjour Chris,

Tout d’abord merci de te prêter à notre interview.

Kamana : Alors soyons original ! Pourrais-tu te présenter ?

Chris Debien : Eh bien, je suis une sorte d’hydre tricéphale qui partage son temps entre les urgences psychiatriques du CHRU de Lille, l’écriture de toutes les histoires qui encombrent mon cerveau et l’élevage de lutins (3 à mon actif !) que je partage avec ma femme.

Kamana : D’où te viennent tes inspirations et à quand remontent-elles ?

Chris Debien : Oh la, vaste question ! Pour faire simple, je puise mon inspiration dans tout ce qui parvient à me procurer des émotions : ce peut-être un film, un livre ou quelques riffs de guitare électrique…

Mais pour être tout à fait honnête et remonter aux sources, je crois que c’est la lecture de Jules Verne qui m’a « remué »pour la première fois : je devais avoir 8 ou 9 ans et je passais de longues heures à rêver sur les couvertures rouge et or ou sur les gravures qui enluminaient le texte. Ensuite, il y a eu Tolkien, bien évidemment, et puis des dizaines de rencontres : Howard, Vance, Poe mais aussi Baudelaire et j’en passe.

Sur le plan musical, mes goûts sont tellement éclectiques qu’il m’est difficile de ne citer que quelques albums mais en ce moment, j’ai flashé sur Pamela Hute, une jeune Française qui fait un rock comme cela faisait longtemps que je n’en n’avais pas entendu.

Quant au cinéma, comment ne pas citer Lucas, Carpenter,Cameron, Rodriguez, Tarantino ? Mais là encore, je pourrais remplir un magazine rien qu’avec les noms de réalisateurs que j’adore…

Kamana : Et maintenant, pour ceux qui ne connaissent pas tes œuvres, pourrais-tu nous présenter Les Chroniques de Khëradön ?

Chris Debien : Il y a des gens qui ne connaissent pas mes œuvres !? Wink
Plus sérieusement, Les Chroniques représentent mon travail le plus ambitieux et le plus abouti jusqu’à présent : il s’agit d’une trilogie (et c’est promis, il n’y aura ni « pre », ni « sequel ») que je qualifierais de Dark-fantasy, même si les puristes me le reprocheront sans doute.

J’y invite le lecteur à accompagner la destinée d’une poignée de personnages confrontés aux horreurs de la guerre. Certains se connaissent, d’autres ne vont faire que se croiser dans l’immense royaume des Terres Tranquilles mais chacun va devoir faire un choix. Le choix de renoncer, de se laisser abattre par l’adversaire, de se soumettre ou au contraire de se lever, de résister, ou encore celui de fuir, tout simplement, « tout humainement »…

Bref, ce qui m’intéresse c’est d’explorer les moindres facettes de chacun d’entre-nous et à m’interroger sur des notions qui m’ont toujours fasciné : qu’est-ce que le courage ? Où trouve-t-on la force de survivre lorsque tous nos repères se sont effondrés ? etc.

J’aurais d’ailleurs pu développer cette intrigue dans un contexte historique (les conflits meurtriers ne manquent pas…), mais je n’ai pas pu résister à l’envie de créer mon propre univers… Même si j’ai veillé à ne pas noyer le lecteur dans une pléthore de détails inutiles. C’est pour cela que j’ai choisi un mode narratif qui peut déstabiliser : j’utilise de nombreuses ellipses narratives pour ne m’intéresser qu’à des « scènes clefs », à des moments importants du parcours de chaque personnage. Une idée que j’ai empruntée à la série télévisée Heroes.

Kamana : Dans le Royaume des Terres Tranquilles, le bien et le mal vont vite se confronter et nous voyons arriver une troisième force, la Lahm. Pourquoi es-tu aussi avare en renseignements quand à cette dernière magie ?

Chris Debien : Sur internet, quelques lecteurs et un ou deux critiques, m’ont fait le même reproche (quelque fois de manière moins bienveillante d’ailleurs) : celui de ne pas révéler tous les aspects de mon univers dès le début. C’est un choix, et je l’assume. Je voulais entraîner le lecteur à la découverte des Terres Tranquilles, petit à petit, sans lui asséner des pages et des pages de descriptions et autres « modes d’emploi » pour montrer que j’avais fait de nombreuses recherches.

Non. Je voulais à la fois préserver un suspense à plusieurs niveaux (notamment sur les origines de ce monde, sur la nature de Graäneet celle de la magie) et conserver une dynamique narrative rapide peu compatible avec de longues explications. Et puis, la magie est encore balbutiante dans cet univers et rares sont ceux qui en connaissent les véritables arcanes… La Lahm vient à peine d’être découverte par des mages comme Arax et seule la Tisseuse de destin semble en connaître plus. Quant à vous, il vous faudra attendre le troisième tome (rire machiavélique) !

Kamana : Ton univers est à feu et à sang et tes personnages sont torturés physiquement et psychologiquement, pourquoi leur faire subir tant d’atrocités ?

Chris Debien : Comme je le disais plus haut, mon propos était d’étudier les réactions de personnalités bien différentes face à la barbarie des conflits à grande ou à petite échelle : il m’a donc fallu les plonger sans concession dans cette tourmente dévastatrice qu’est la guerre. La souffrance de chaque personnage n’est pas gratuite, elle s’intègre dans la logique du récit, aussi cruel soit-il.

Je ne suis pas sûr que mes « héros » souffrent plus que dans d’autres séries mais il est vrai que mon style, « au plus proche de la chair », renforce sans doute ce sentiment.

Kamana : L’Eveil du Roi laisse les personnages en fâcheuse situation pourquoi finir ce tome sur une note si obscure ?

Chris Debien : Je déteste les histoires qui se finissent bien… Mais cela ne veut pas dire que je ne fais pas ce que je déteste, parfois…

Kamana : Tu continues à exercer ton métier de responsable des urgences psychiatriques du CHRU de Lille, est-ce que cela t’aide d’une manière ou d’une autre pour forger la personnalité de tes personnages ? Et t’en inspires-tu ?

Chris Debien : Cela m’aide surtout à garder un entraînement sans faille pour les longues nuits d’insomnies que me procurent parfois les Chroniques… Mais il est évident que mon métier me sert à chaque fois que je dois construire une nouvelle personnalité : je ne peux me contenter de quelques traits de caractères même pour les personnages secondaires. Je dois absolument déterminer leur façon de réagir, leurs goûts, leurs aspirations, etc. Bref, je procède exactement comme lors du premier contact avec un nouveau patient : je cherche à établir un lien entre nous, à le connaître, à analyser sa manière d’envisager son environnement pour mieux le guider par la suite.

Kamana : En commençant ton écriture savais-tu déjà le déroulement exact de la trilogie et sa finalité ?

Chris Debien : Surtout pas ! Si jamais je détermine exactement à l’avance ce qui va se passer, je m’ennuie et je n’écris plus. J’ai besoin de laisser mes personnages vivre leur vie, de les regarder, qu’ils me surprennent !

Kamana : Tu souhaitais au départ que la trilogie soit éditée en une année, chose qui ne fut possible, maintenant que tuas changé de maison d’édition les fans auront-ils les trois tomes rapidement ?

Chris Debien : Tu touches un point particulièrement sensible car l’abandon de la trilogie par Hachette m’a profondément déçu : non seulement je n’ai pas pu honorer l’engagement moral que j’avais pris avec les lecteurs de finir en moins d’un an mais j’ai bien cru que Luther ne pourrait achever son histoire… Heureusement, il y a eu la rencontre avec Thibaud Eliroff et la reprise par J’ai Lu ! Cette nouvelle m’a tellement fait plaisir que je me suis engagé à retravailler le texte initial ! Les lecteurs pourront donc disposer des trois tomes au rythme d’un tous les 6 mois (le premier en mars dernier, le second en septembre prochain et le troisième en mars 2011) avec une foultitude de bonus : une carte corrigée dès le premier, un glossaire et quelques surprises au cœur du texte même…

Kamana : Entre ton métier, ta vie de famille, le temps que tu passes sur le net, quand trouves-tu le temps d’écrire ?

Chris Debien : La nuit ! Tu fais quoi toi, la nuit ? Moi,j’ai décidé d’arrêter de dormir et de commettre mes histoires lorsque l’obscurité est tombée, que le silence a (enfin !) envahi la maison et que j’ai fini de répondre à mes mails. En gros, j’écris deux heures par nuit soit entre 22 heures et minuit, soit entre minuit et deux heures…

Kamana : Je suppose que le troisième tome est déjà fini. As-tu d’autres projets ?

Chris Debien : Oui ! Oui ! Et trois fois oui ! Je suis en train de peaufiner une bande-dessinée qui devrait sortir début 2011 chez un nouvel éditeur, Aqua Lumina[[
Lucyloo et les Arpenteurs de rêve (dessin d’Ysha)]]. Ce sera une sorte de mix entre du manga, du comics et de la ligne claire dans un univers qui n’a rien à voir avec Les Chroniques puisqu’on pourrait le qualifier de« Dream-Punk » : une pincée de Burton, un zeste de Gaïman avec quelques touches de Steampunk. Et puis, il y aura aussi un thriller chez Octobre qui tourne autour des nouvelles technologies en matière de neuropsychiatrie…

Kamana : As-tu quelque chose à ajouter ?

Chris Debien : Un énorme merci de m’accueillir dans ton magazine à qui je souhaite longue vie !

Merci Chris pour ta gentillesse et ta disponibilité.


Damien Dhondt : L’affaire du boucher du Vieux-Lille : comment ont été élaborés les personnages ? Habitant la région je persiste à penser que contrairement à ce que laisse entendre ce roman certains habitants du Nord peuvent être considérés comme normaux (ou du moins en avoir l’apparence). Il semble qu’un second tome soit à l’étude.

Chris Debien : L’affaire… ou plutôt La nuit de l’Ange tel que je l’avais baptisé à l’origine, est mon premier roman, c’est aussi mon histoire la plus intime, la plus personnelle. Et avec le recul, je le considère presque comme un roman autobiographique… Mais tu as raison, aucun de ces personnages n’existe vraiment !

Chacun a été construit au gré de rencontres, d’anecdotes,de lectures qui m’ont marquées lorsque je suis arrivé à Lille. Chacun est une mosaïque « fabriquée » pour servir le récit et non pas donner une image réaliste des habitants du Nord. D’ailleurs, tu remarqueras que beaucoup de personnages ne sont pas originaires de la région, qu’ils sont, comme moi,des immigrés.

Pour ce roman, je voulais avant tout des personnalités fortes et originales, des personnages qui avait quelque chose à dire ou à faire ressentir et qui sortait de la « norme ». C’était un choix délibéré. En ce qui concerne « la suite » des aventures d’Ange, tu es bien renseigné car effectivement, j’ai même commencé à l’écrire (une dizaine de chapitre pour l’instant) même si j’ignore si ce roman ira jusqu’à la publication. Comme je le disais plus tôt, Ange est un personnage à part, très (trop ?) proche de moi et l’exposer est toujours complexe pour moi…

Damien Dhondt : Skyland : comment t’es tu retrouvé aux commandes de l’adaptation ? Quel est la proportion de fidélité par rapport à l’animé ? Comment s’est produit le choix des épisodes adaptés ? Pourquoi ne pas avoir choisi d’exploiter d’avantage les singulières personnalités avec la Tutrice Diwan et le Commandeur Oslo (sans porter un justement négatif sur les méthodes de recrutement de la Sphère)?

Chris Debien : J’avais déjà travaillé pour la Bibliothèque Verte à l’adaptation de Lanfeust de Troy avec Patrick Bauwen et Hachette en était plutôt satisfait. C’est ainsi que l’on nous a proposé la novelisation de Skyland que Pat a décliné, me laissant seul à la barre…

Dés le départ de ce travail, j’avais prévenu mon éditrice qu’il faudrait sans doute plusieurs épisodes pour parvenir à faire un véritable roman. Car il n’était pas question de gâcher ce magnifique animé par une adaptation écrite à la va vite, je voulais offrir aux lecteurs une histoire construite et non la simple juxtaposition de quelques épisodes. Nous nous sommes ainsi arrêtés sur quatre épisodes (les plus importants en termes de présentation des personnages, de l’univers ou de l’action) qui représentent environ la moitié du roman. Le reste ? Eh bien, j’ai eu la chance d’obtenir la confiance totale des créateurs et ils m’ont ainsi laissé tout le loisir de rajouter ce que je voulais à condition de rester cohérent avec l’univers, bien sûr !

Mon seul regret en effet est de ne pas avoir pu exploiter Diwan et Oslo de façon plus importante. Mais il s’agissait d’un premier tome et il fallait bien faire des choix quant à la mise en lumière de tel ou tel personnage. J’ai donc préféré me concentrer sur les « héros » : Mahad, Léna et les pirates… Mais si jamais le second tome devait sortir un jour, je vous assure que cette erreur serait réparée !

Damien Dhondt : Lanfeust de Troy : comment se passe la collaboration avec Arleston?

Chris Debien : De la manière la plus naturelle du monde… à condition de passer le « test du restaurant » !

Plus sérieusement, après une rencontre dont je me souviendrai longtemps dans l’une des meilleures tables d’Aix en Provence, Arleston nous (Pat et moi) a laissé la bride sur le cou tout en vérifiant de temps en temps que nous partions dans la bonne direction. Arleston nous donnait des conseils (surtout pour les tomes 1 et 2) tout en respectant notre travail. Il semble avoir tellement apprécié qu’il nous a donné son feu vert pour une adaptation plus adulte et la création du jeu de rôle !