Mon cher frère – Avis +

Présentation de l’éditeur

Stockholm, 1913. Le criminologue Andreas Bjerre prépare un livre d’entretiens avec des détenus condamnés à de longues peines. L’angoisse de la page blanche l’empêche pourtant d’achever ce livre révolutionnaire, l’oeuvre de sa vie.

Comment vivre avec le sentiment de sa propre nullité ? Comment se mesurer à un frère aîné, le célèbre psychanalyste Paul Bjerre, familier de Freud, convaincu, lui, d’être un surhomme ?

La haine fraternelle qui l’unit à Paul ronge Andreas. Une femme fait pourtant tout pour le sauver. Madeleine. Mais en voulant à tout prix être la messagère qui réconciliera les deux frères, ne court-elle pas elle-même à sa perte ?

Avis d’Enora

Avec un style à la Per Olov Enquist, Hakan Bravinger se penche sur les relations torturées des frères Bjerre. Paul (1976-1964), surnommé le médecin des âmes fut un des fondateurs de la psychanalyse suédoise ; intime de Freud dans les années 1910, il s’éloigna progressivement de son mentor et de sa théorie des pulsions. Andreas (1879-1925), criminologue, publia un ouvrage célèbre sur l’étude psychologique des meurtriers.

A partir de journaux intimes et de lettres, l’auteur mêle fiction et réalité pour imaginer les relations compliquées qui lièrent les deux frères. Fils d’un homme qui, parti de rien, acquit la fortune dans l’industrie du beurre, ils grandissent dans un foyer sans amour. Andreas est le préféré d’un père englué dans la haine du sien et Paul celui d’une mère rigide, froide et castratrice. Cette rivalité enfantine se transformera en haine à l’âge adulte, lorsqu’Andreas épouse Amélia, et que Paul se marie à la mère de celle-ci, Gunhild, ajoutant à la complexité de leurs relations, celles de leur femme. Cette situation amènera Andreas à se séparer de son épouse pour se remarier avec la meilleure amie de celle-ci, Madeleine. Toutes ces familles contiennent leurs lots de non-dits, de scandales, d’enfants non reconnus. Dans une tragédie grecque ils seraient affligés de boiterie, métaphore de la défaillance de la transmission parentale, et du déséquilibre entre les générations. Le déficit trans-générationnel sera d’ailleurs supporté par l’enfant d’Andreas et d’Amélia, Sören Christer, psychotique qu’on exilera en Australie.

Pour Paul qui a une haute opinion de lui-même, une sexualité inexistante et le don de toujours se mettre en avant, son frère n’est qu’une source de tracas. Il ne cherchera jamais à guérir le mal qui les sépare et à se réconcilier avec lui. Andreas, lui, est un mélancolique, alcoolique, sujet à des accès de dépression et d’angoisse qui le paralyse dans l’écriture de ses recherches. Sa sexualité tourmentée le pousse à aller chercher des pratiques particulières auprès des prostituées. Il a la conviction constante de mal agir, d’avoir toujours tort. Incapable d’atteindre l’amour véritable, il abandonnera successivement les deux femmes qu’il aime, l’une par divorce, l’autre par suicide. La haine de son frère le consume et il s’en rend compte. Malgré les rejets successifs, il continuera à multiplier les essais de contact.

C’est peut-être Madeleine qui saisira le mieux ce qui lie les deux frères, les imaginant comme un seul être divisé en deux, dans un jeu de miroir dont chaque moitié , reflet inversé de l’autre, donne le spectacle de sa propre image déformée. L’un se voit en maudit et l’autre en sauveur.

Avec une prose lumineuse, Hakan Bravinger nous livre un roman passionnant non seulement sur la famille Bjerre mais aussi sur le Stockholm au début des années 1900. Son souffle imaginatif nous fait assister à cette relation fratricide comme si nous y étions. La structure de son roman (semi-documentation, semi-fiction) contribue à un esthétisme dramatique tout à fait intéressant. Un premier roman réussi pour ce poète et éditeur renommé.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 380
Editeur : J.C Lattès
Collection : Littérature étrangère
Sortie : 24 février 2010
Prix : 22,90 €