Résumé de l’éditeur
La Porte est une coanfession. La narratrice retrace sa relation avec Emerence qui fut sa femme de ménage pendant une vingtaine d’années. L’une est vieille, l’autre jeune, l’une sait à peine lire, l’autre ne « respire » que par les mots, l’une arbore l’humilité comme un blason, l’autre l’orgueil de l’intellectuelle sur-cultivée. Et pourtant la vieille servante va tout apprendre à l’écrivain adulé, car elle est la générosité incarnée ; dès qu’il s’agit de sauver une vie, celle d’un Juif, d’un Allemand, d’un voleur ou d’un chaton abandonné, Emerence ne réfléchit pas une seconde. La narratrice fait le portrait haut en couleurs de ce personnage lumineux au caractère difficile et singulier, qui agit en véritable despote sur son entourage, qui consent à tout.
Avis d’Enora
Magda Szabò nous a quittés le 19 novembre 2007 à l’âge de 90 ans ; La porte qui a reçu le Prix Femina étranger 2003 est son ouvrage le plus connu en France. Pour ce roman elle s’est inspirée de sa vie et de l’étrange relation qu’elle a eue avec sa vieille employée de maison. Ecrivain, poète et enseignante de philosophie, l’auteur a été condamnée pendant les années dures du communisme hongrois (1948/1956) à enseigner dans une école primaire tandis que son mari, écrivain et journaliste, devait livrer du charbon ou servir de porteur aux épouses des hauts dignitaires du pays. Elle faisait partie d’un mouvement de résistance intellectuelle « Nouvelle lune » qui avait juré de ne jamais écrire pour ce régime et de ne jamais avoir d’enfants de peur qu’ils ne deviennent un moyen de pression.
Entre Magda et Emerence, ces deux femmes sans enfants (le renoncement à la procréation étant la conséquence directe de la lucidité d’après Schopenhauer) va s’installer une relation complexe avec toutes les incompréhensions et les difficultés à exprimer l’affection qui caractérisent souvent une relation mère-fille.
Deux autres thèmes importants sont ici abordés : la culpabilité et la relation à l’autre, tous deux mis en exergue par la symbolique du premier et dernier chapitre qui reprennent dans les mêmes mots, la description des rêves qui poursuivent la narratrice. Emerence conserve jalousement un secret derrière une porte fermée. Cette porte, Emerence l’ouvrira un jour pour Magda qui trahira sa confiance. Tout nous renvoie au pessimisme de la philosophie de Schopenhauer « L’égoïsme en chaque homme a des racines si profondes, que les motifs égoïstes sont les seuls sur lesquels on puisse compter avec assurance pour exciter l’activité d’un être individuel » : le fait que l’individu soit pour lui même le centre du monde explique qu’Emerence soit « punie » de son excès de confiance et explique aussi « la trahison » de la narratrice qui ne s’appuie que sur ses propres références pour aider Emerence, en toute bonne foi, par affection. Et là aussi le spectre du philosophe plane sur cette relation à l’autre qui n’apporte que malheur comme la plupart des rapports humains et dont l’exemple le plus marquant est pour lui, celui de la relation amoureuse « L’amour, c’est l’ennemi ».
Emerence a eu une enfance malheureuse et s’est construite autour de la souffrance. Elle en a tiré un don de compassion pour tout ce qui est vivant (humains et animaux), la souffrance des autres devient son moteur de vie. Cette pitié, seule vertu morale qui fait sens d’après le philosophe, la fait protéger les plus faibles (prisonnier allemand ou russe, enfant juive, chat ou chien abandonnés) même au prix de son honneur ou de son bonheur.
Elle s’est affranchie de toute religion après des expériences douloureuses et porte désormais un regard intransigeant sur Dieu qui renvoie à l’idéalisme athée de Schopenhauer « S’il y avait un Dieu, je n’aimerais pas être ce Dieu, la misère du monde me déchirerait le cœur… Les religions ont souvent une influence immorale. Ce qui est mis au compte des devoirs envers Dieu est soustrait aux devoirs envers les hommes »
La porte symbolise l’intimité des êtres, or pour saisir le monde explique le philosophe, il faut rentrer en soi-même c’est ainsi que l’individu peut prendre conscience que le monde est Volonté. Volonté étant quelque chose comme la capacité de produire des effets donc l’Action, de l’instinct sexuel à l’instinct de conservation. Ce concept de volonté aveugle, non maîtrisé rejoint ce que Freud nommera inconscient. D’ailleurs dans ce livre les actes d’Emerence ont une nature symbolique qui renvoie aux rêves : « Je ne lave pas le linge sale de n’importe qui » dit-elle ; laver le linge sale en famille c’est régler ses incompréhensions en privé, de même lorsqu’elle balaie devant la porte de la narratrice c’est lui demander de s’occuper de ses propres affaires avant d’essayer de régler les problèmes des autres. La porte (encore elle !) représente la personne et ses secrets, le balai, une image de la solution aux problèmes.
Mais la Volonté peut donner de fausses représentations ce qui fait que le libre arbitre n’existe pas et que même la conscience des erreurs passées ne peut modifier notre conduite ; c’est la fameuse obstination dans l’erreur qui avec la malhonnêteté et la vanité entre autres sont les causes de la dialectique. Et c’est bien ce qui se passe ici : Emerence dont la confiance a été trahie à de multiples occasions va de nouveau permettre à un être humain de rentrer dans ce qu’elle a de plus intime. « Ni aimer, ni haïr, » c’est la moitié de la sagesse humaine : « ne rien dire et ne rien croire » l’autre moitié. Mais avec quel plaisir on tourne le dos à un monde qui exige une pareille sagesse. » Cette « sagesse » Emerence ne l’aura pas et d’ailleurs on peut se demander l’intérêt qu’aurait une telle vie à moins bien sûr de la considérer à l’instar de Schopenhauer comme le produit d’un acte qui n’aurait pas dû être. Les conséquences de cette nouvelle « trahison » l’amèneront à « éteindre son vouloir-vivre ».
Avec son livre, Magda Szabò qui ne l’oublions pas était professeur de philosophie, nous conte le destin d’une femme calqué sur la vision de Schopenhauer pour qui la vie n’était qu’une farce lugubre et cruelle qui se vit dans la souffrance.
Fiche Technique
Format : poche
Pages : 300
Editeur : Viviane Hamy
Collection : bis
Sortie : 17 janvier 2005
Prix : 10,50 €
# ISBN-10: