
Cette année Miraculous : Les Aventures de Ladybug et Chat Noir, la série d’animation française la plus connue et reconnue mondialement, fête ses 10 ans.
À cette occasion, le 30 juin dernier, l’association Cité européenne des scénaristes (qui a pour vocation de rendre le métier de scénariste plus accessible à tous) a organisé une masterclass ouverte au grand public dans les locaux de Mediawan en présence de Thomas Astruc, créateur et réalisateur de la série, et de Sébastien Thibaudeau, directeur d’écriture et producteur exécutif. Interrogés par Fabien Suarez, vice-président de l’association, Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau sont revenus sur leurs parcours respectifs et sur celui de Miraculous, dont le succès n’a cessé de croître depuis un peu plus d’une décennie.
Un parcours surprenant
Tout d’abord, Thomas Astruc, le « papa » de Ladybug et Chat Noir, revient sur son parcours surprenant. À l’origine, il rêvait de travailler dans le milieu de la bande dessinée car il aimait utiliser le dessin pour raconter des histoires (bien qu’il précise ne presque plus dessiner aujourd’hui), mais se forme auprès de l’école d’animation des Gobelins à Paris, où il finit sa scolarité avant-dernier de sa promotion. Il précise même qu’il a failli ne pas avoir son diplôme et ajoute, ce qui fait rire toute la salle : « la nullité peut mener à tout, à condition d’en sortir ». Il commence ensuite sa carrière dans l’animation en travaillant sur la série Blake et Mortimer (1997) adaptée de la BD du même nom, projet sur lequel il travaille en tant que layout artist1 : rien à voir avec l’écriture, donc. Ce n’est qu’avec la série Mikido (2008) qu’il s’initie pour la première fois à l’écriture de plusieurs scénarios, sans jamais avoir eu d’apprentissage formel en école pour ce rôle. Avant Miraculous dont la diffusion a débuté en 2015, Thomas Astruc a continué à acquérir de l’expérience en contribuant à d’autres séries animées françaises, notamment les très connues Totally Spies! et Code Lyoko.
Sébastien Thibaudeau quant à lui se prédestinait bien au monde de l’audiovisuel, mais par particulièrement au monde de l’animation. Après une formation à l’ESRA, il devient scénariste pour la télévision, puis enseignant dans le milieu du cinéma, et s’essaie aussi à différentes branches de l’audiovisuel, comme la production ou encore le montage. C’est le hasard qui le pousse en 2012 à entrer dans l’animation lorsqu’il rencontre le producteur de Miraculous, Jérémy Zag, à l’époque à la recherche un directeur d’écriture pour la série. Sébastien Thibaudeau décrit cette rencontre comme un « coup de foudre mutuel, comme quand on rencontre la femme de sa vie », ce qui n’a pas manqué d’amuser le public.
La naissance de Miraculous

Mais alors, à quoi exactement a ressemblé la naissance de Miraculous ? Thomas Astruc dit que même s’il a toujours aimé écrire des histoires, il a longtemps pensé qu’il n’avait rien d’intéressant à raconter, jusqu’à ce que lui vienne à l’esprit la superhéroïne coccinnelle que l’on connaît tous bien aujourd’hui, et dont le visuel marquant se révèlera être un atout auprès des producteurs par la suite. Cependant, à l’origine, il envisageait l’histoire de ce personnage dans une série de comics, et non pas pour le petit écran. C’est Nathanaël Bronn (directeur artistique de Miraculous) qui, en entendant l’idée de Thomas Astruc autour de l’année 2010, pense que cela ferait une bonne série animée et propose le projet à Jérémy Zag, qui se montre immédiatement extrêmement enthousiaste.
Thomas Astruc est cependant très clair : il veut carte blanche, et Jérémy Zag accepte de lui accorder toute sa confiance et une très grande liberté. La série met cependant plusieurs années à voir le jour car son développement est au ralenti. En effet, Miraculous ne correspondait pas du tout aux attentes du marché de l’époque : un format d’une vingtaine de minutes par épisode au lieu d’une dizaine, une héroïne et non pas un héros, une histoire qui se déroule très clairement à Paris tandis que la plupart des séries animées ne se localisent dans aucun lieu précis… Bref, le projet se vend mal auprès des chaînes de télévision, qui ne sont pas convaincues du potentiel de la série et de l’intérêt que les enfants pourraient lui porter.
Quelle cible pour Miraculous ?
Comme le précise Sébastien Thibaudeau, lorsqu’il découvre Miraculous pour la première fois, l’histoire lui semble même s’adresser à un public plutôt adolescent voire un public de jeunes adultes, alors que les diffuseurs recherchent un programme pour les 6-10 ans. Il a alors fallu convaincre les chaînes de télévision que Miraculous parlerait à la tranche d’âge qu’elles souhaitaient cibler, notamment en mettant en avant le côté assez répétitif dans la construction des épisodes. Mais Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau ne perdent pas en vue leur objectif de faire de Miraculous une série familiale s’adressant à toutes les générations, un objectif qu’ils ont pu atteindre grâce au succès qu’a rencontrée la série, lui permettant d’être renouvelée pour de multiples saisons au cours desquelles elle a évolué afin de réunir un public toujours plus large. En France, TF1 sont les premiers à acheter les droits de diffusion, suivis de Disney Channel quelques années plus tard, offrant à la série une bonne exposition et contribuant à son succès.
Fabien Suarez interroge d’ailleurs Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau à ce sujet : imaginaient-ils, il y a 10 ans maintenant, que la série rencontrerait un tel succès ? Thomas Astruc répond qu’à l’époque, il ne se posait pas la question, il essayait simplement d’écrire une histoire universelle. Cependant, lui et Sébastien Thibaudeau nous racontent une anecdote qui illustre bien l’enthousiasme immédiat du public : au début des années 2010, un test d’animation est réalisé en partenariat avec Toei Animation, un studio de production de films et séries d’animation basé à Tokyo.
Un test miraculeux !
Cette séquence de quelques minutes au style d’anime japonais n’a pas vocation à servir de bande annonce diffusée au public, elle est simplement un test permettant de voir à quoi pourrait potentiellement ressembler Miraculous à un stade où aucun script n’est écrit et où personne ne sait encore avec certitude si l’histoire sera sous forme de film ou plutôt de série, ni quel style d’animation elle adoptera. Mais le producteur Jérémy Zag, si satisfait de la séquence d’images produite par Toei Animation, la publie sur YouTube et la vidéo accumule rapidement un grand nombre de vues. Nous sommes en 2012, soit 3 ans avant la diffusion du premier épisode de la série telle que nous la connaissons aujourd’hui, et pourtant beaucoup de cœurs sont déjà conquis. Les fans de la première heure se mettent alors à illustrer, dans leur propre style, les personnages de Ladybug et Chat Noir vus pour la première fois dans cette vidéo. Sébastien Thibaudeau évoque même un souvenir marquant datant du premier jour d’écriture de la saison 1 de Miraculous, dans lequel il revoit Thomas Astruc recouvrir trois murs des studios avec des dessins réalisés par des fans alors même qu’aucun épisode n’a encore été écrit.

En parlant d’écriture, on peut s’interroger sur ce à quoi ressemble le processus d’écriture d’un épisode des aventures de Ladybug et Chat Noir, et Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau nous apportent de nombreuses informations à ce sujet. Tout d’abord, l’écriture d’un épisode dure en moyenne trois jours, ce qui est un véritable record précise Thomas Astruc.
En ce très court lapse de temps, les scénaristes produisent environ 31 pages, correspondant à un épisode de plus ou moins 21 minutes. Pour écrire ces épisodes, Sébastien Thibaudeau raconte que les scénaristes n’hésitent pas à se prêter à un genre de jeu de rôles pour ne pas simplement écrire les dialogues, mais devenir les personnages. C’est par exemple ainsi que leur est venue de manière spontanée et imprévue l’idée (spoiler pour ceux qui n’en seraient pas encore arrivés à la saison 4) que Marinette, qui est en secret Ladybug, révèlerait à sa meilleure amie Alya que c’est elle qui se cache sous le masque de la superhéroïne – un souvenir qui donne encore des frissons à Sébastien Thibaudeau.
Un autre principe d’écriture essentiel à Miraculous selon Thomas Astruc, c’est de ne rien s’interdire : il donne l’exemple d’une scène de la saison 6 dans laquelle une bataille est accompagnée d’une chanson interprétée par l’un des personnages plutôt que par des bruits de combat, un choix de mise en scène audacieux et original. Thomas Astruc ajoute aussi que lors de l’écriture d’un épisode, l’objectif est d’être « seriously stupid », c’est-à-dire que l’histoire racontée soit sérieuse mais désamorcée par l’humour. Il faut aussi ajouter que la création de chaque épisode de Miraculous repose sur bien plus que sur l’écriture et les scénaristes : l’équipe qui travaille sur la série est grande et en constante expansion, et bien des personnes qui travaillent dans l’ombre sont essentielles à la série, comme Wilfried Pain, co-réalisateur que Thomas Astruc cite comme étant quelqu’un sans qui la série n’existerait pas.
10 ans de réussite !
Cela fait donc 10 ans que Ladybug et Chat Noir vivent dans le cœur des petits et des grands, mais quel avenir pour eux ? La saison 6 (qui offre un nouveau style visuel plus moderne) est actuellement en cours de diffusion, et la saison 7 est déjà confirmée. En 2023, nos deux héros avaient également fait leur apparition sur grand écran à travers Miraculous, le film, un projet dont le budget conséquent était à peu près égal à celui de la réalisation des 6 premières saisons de la série, et sur lequel ni Thomas Astruc ni Sébastien Thibaudeau n’ont travaillé. Thomas Astruc explique que le projet de film, imaginé par Jérémy Zag et évoquant les comédies musicales des studios Disney, ne l’avait pas inspiré, d’où son absence de contribution, à l’exception d’une mise en garde : celle que le public chercherait forcément à comparer le film à la série, ce qui l’avait d’ailleurs poussé à encourager Jérémy Zag à ne pas hésiter à faire du film une histoire différente de la série. Depuis quelques années, l’univers de la série s’étend aussi bien au-delà de son cadre habituel parisien à travers un ensemble d’épisodes spéciaux intitulés Miraculous World dans lesquels nos héros ont déja visités plusieurs autres grandes villes du monde comme New York, Shanghai, ou encore Londres. Le prochain épisode spécial intitulé Tokyo, Stellar Force sortira cette année.

Au cours de cette masterclass, Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau ont également partagé quelques anecdotes qui ont surpris les fans présents dans la salle : par exemple, la fin de l’arc de Papillon, le méchant de la saison 1 jusqu’à la saison 5 de la série diffusée en 2023 avait déjà été écrite en 2016, soit juste après la diffusion de la saison 1 ! Thomas Astruc raconte aussi qu’au début de la production de la série les attentes étaient nombreuses et qu’on avait parfois voulu de lui qu’il écrive des histoires s’éloignant de son idée originelle, comme celle d’une équipe de superhéroïnes représentant chacune un insecte, ou une version de Miraculous dans laquelle Ladybug et Chat Noir ne seraient pas des adolescents superhéros, mais des professeurs adultes qui enseigneraient à des adolescents comment devenir des superhéros. Par chance, Thomas Astruc n’a jamais cédé à ces pressions extérieures, et l’histoire de nos superhéros telle que nous la connaissons en 2025 est fidèle à l’idée née dans son esprit il y a une dizaine d’années.
Un succès fulgurant.
À la fin de la masterclass, le public a pu poser quelques questions à Thomas Astruc et Sébastien Thibaudeau. L’une d’entre elles concernait les conseils qu’ils pourraient donner aux futures générations de scénaristes. Thomas Astruc a répondu que selon lui, il était important d’être diplomate, sans pour autant renoncer à son originalité. Sébastien Thibaudeau a lui aussi été dans ce sens en rappelant que même si satisfaire les producteurs est une nécessité, il ne faut pas pour autant s’éloigner de ses idées. L’un comme l’autre ont également évoqué l’importance de l’ouverture d’esprit : tandis que Thomas Astruc a insisté sur l’importance d’enrichir sa « bibliothèque mentale » en regardant des films, en lisant des livres et en essayant d’avoir une culture la plus large possible pour améliorer sa créativité, Sébastien Thibaudeau a encouragé les futurs scénaristes à ne pas hésiter à s’initier à d’autres métiers de l’industrie audiovisuelle comme lui a su le faire au cours de sa carrière.
En résumé, Miraculous : les aventures de Ladybug et Chat Noir a connu ces 10 dernières années un succès fulgurant auprès des jeunes et des moins jeunes partout dans le monde. Si la série a d’abord eu du mal a convaincre les chaînes de télévision, elle a su conquérir le cœur du public cible, et même bien au-delà, assurant à Miraculous un renouvellement pour au minimum 7 saisons, une adapation pour le grand écran, et un bon nombre d’épisodes spéciaux. Son succès, la série la doit à sa brillante équipe créative composée de personnes comme Thomas Astruc ou Sébastien Thibaudeau, qui n’ont eu de cesse que de défendre l’originalité de cette série, et de se battre pour la liberté dans son écriture. Miraculous est donc une success story inspirante pour les futures générations de scénaristes et de réalisateurs… Et vous n’avez pas fini d’entendre parler de Ladybug et Chat Noir !
- Le layout artist créé une « maquette animée » qui permet de prévisualiser ce à quoi ressemblera l’animation finale. ↩︎