La Loi de 1905 n’aura pas lieu : tome 3 – Avis +

Éditeur : ‎Maison des Sciences de l’Homme

de Jean Baubérot

Présentation de l’éditeur

Le 9 décembre 1905, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est promulguée. Si les deux premiers tomes de cette fresque historique ont dévoilé les difficultés menant à cette étape cruciale, ce troisième volet montre à quel point promulgation et validation ne riment pas toujours. De nombreux prélats catholiques déclarent le 1er janvier 1906 « jour de deuil », date à partir de laquelle « Dieu n’existe plus ».

Alors que les motifs d’inquiétude surgissent – la fin du « service public des cultes » et donc de leur financement par l’Etat, les inventaires des biens d’églises vécus comme une « spoliation » –, le pape choisit la résistance, condamnant successivement toutes les dispositions légales que l’Etat désire mettre en place pour l’exercice des cultes, et désavoue les évêques français. Le peuple, lui, semble avoir accepté la loi, les élections législatives de 1906 étant un nouveau succès pour la majorité sortante de gauche. Le recours à une histoire contrefactuelle (« ce qui serait arrivé si… ») montre comment des situations en apparence inextricables ont pu être dénouées par une stratégie d’esquive qui rend l’Eglise catholique « légale malgré elle ».

Renouvelant une historiographie trop lisse, ce troisième tome donne à lire les efforts d’un trio politique éclatant – Georges Clemenceau, Jean Jaurès et Aristide Briand – pour éviter une « guerre religieuse » résultant d’une « victoire excessive », et permettre à la République d’obtenir une victoire durable car pacificatrice.

Avis de Olivier

Jean Baubérot, sociologue et historien (spécialiste du protestantisme et de la laïcité) et professeur émérite à l’École Pratique des Hautes études publie ici la troisième partie de son ouvrage de référence sur la loi de Séparation. Il suit, à mon avis, un double objectif : mettre à disposition d’un public savant des sources historiques classées et commentées et… corriger les simplifications de notre mythologie républicaine. Il commente en détail les débats parlementaires (et les commentaires contrastés de la presse), en s’attachant à les remettre en contexte.

Par exemple, il commente le poids des élections de mai 1906 (pour le gouvernement français) et de la volonté affichée de pays d’Amérique du Sud de promulguer des lois de Séparation (pour le Vatican). Il montre le poids de la révolution française et du concordat sur la conscience collective des protagonistes. (chacun l’interprétant à sa manière). Et il présente avec habileté les changements de position des politiciens de premier plan et leurs changements d’argumentaires pour justifier parfois les mêmes positions. On comprend alors la difficulté de porter un regard objectif sur la pensée de tel ou tel ministre. En tout cas, Birand et Clémenceau sont les artisans de la Séparation (et non Combes). 

Les débats ont porté sur quatre domaines principaux (que l’on retrouve aujourd’hui par d’autres biais)  :

  • La question des biens ecclésiaux (perçu comme une confiscation ou comme une charge excessive pour les communes). Baubérot décrit en détail les tensions liées aux inventaires et aux expulsions, qui ont été (trop) rappelées lors des célébrations du 2005.
  • Les pensions aux prêtres, surtout les plus âgés. (La répartition de l’argent de l’Etat, la volonté de réaffecter les salaires des prêtres aux besoins sociaux, au risque de faire basculer le clergé dans la pauvreté).
  • L’articulation entre liberté de culte et contrôle des associations, qui se matérialise dans l’obligation de créer une association cultuelle pour célébrer des cultes et dans la question très débattue de la liberté de réunion (l’Eglise catholique s’appuyant sur la loi 1905 pour justifier sa liberté de choisir sa structure propre, incompatible, à ses yeux avec la loi). Il faut mentionner la forte crispation sur la question du clergé étranger (ou aux ordres de l’étranger) qui va compliquer bien des débats (certains souhaitent un catholicisme « français », le pape étant perçu comme une autorité politique étrangère s’immisçant dans les affaires françaises) et sur la crainte des émeutes liées aux syndicats ou à la sortie des bars. Il faut rappeler ici que le concordat permettait à l’Etat un contrôle direct des cultes (choix des pasteurs et prêtres, synodes soumis à autorisation…). 
  • La paix publique (ou la peur d’une guerre civile). « L’interaction entre deux logiques distinctes, celle de la liberté de conscience et celle de l’apaisement du conflit de deux France, a créé des conséquences non prévues (mais assumées par Briand) et paradoxales. » p.273 

On entend souvent la volonté de ne pas toucher à la loi de 1905, un discours récurrent depuis 1906… en réalité, il existe quatre lois de séparation successives et de très nombreux décrets. La loi du 9/12/1905 n’est donc pas, de loin pas, la seule référence.

En voici quelques exemples :

  • 9/12/1905 loi de séparation des Eglises et de l’Etat. 
  • 16/4/1906 troisième règlement d’administration publique : il précise que la loi n’autorise le culte public que dans les cas des associations 1905.
  • 31/8/1906 circulaire Briand : toute association qui célèbre un culte est considérée de fait comme cultuelle. 
  • 31/10/1906 le Conseil d’Etat considère qu’on peut célébrer des cultes prives sous la loi 1881. (obligation de déclaration de réunion)
  • 1/12/1906 Briand modifie la loi 1881 : une déclaration annuelle est suffisante. 
  • 11/12/1906 les biens des Eglises protestantes et des synagogues sont transférés aux associations 1905 créées. En parallèle : procès-verbal pour délit de messes non-déclarées. Expulsions des évêques et prêtres de presbytères.
  • 2/1/1907 nouvelle loi, précisant (ou modifiant) la loi 1905. 
  • 28/3/1907 loi abolissant l’obligation de déclaration préalable pour les réunions publiques. 
  • 13/4/1908 4e loi de séparation, portant sur les biens ecclésiastiques non-réclamés, incluant l’amendement berger confiant aux mutualités ecclésiastique les charges des fondations de messe (150 millions)
  • 27/9/1907 décret concernant l’Algérie (séparation à partir du 1/1/08)
  • 6/2/1911 décret concernant les Antilles et la Réunion.
  • 11/3/1913 décret instaurant la séparation à Madagascar
  • 23/12/1923 avis du Conseil d’Etat et 18/1/1924 encyclique Maximam gravissimamque : autorisant la création d’associations diocésaines. (permettant le retour dans la « légalité » du culte catholique). 
  • 5/7/1927 les prêtres et pasteurs de Polynésie ne sont plus payés par l’Etat (une plaisanterie circule dans les milieux catholiques : « Tu n’as pas honte d’aller verbaliser des prêtres », lance la femme du commissaire de police à son mari. L’époux répond : « Mais non ! Enfin je peux entendre une messe sans risquer ma place ! » )
  • 17/2/1906 encyclique Vehementer Nos
  • 14/6/1906 encyclique Gravissimo Officii
  • 12/1/1907 encyclique une fois encore « … ce que Nous avons réclamé […] pour l’Église, […] c’est le respect de sa hiérarchie, l’inviolabilité de ses biens et la liberté. »
  • 17/5/1908 lettre de Pie X interdisant la création de mutualité ecclésiastique. 
  • 17/7/1908 encyclique Pascendi

Fiche technique

Format : broché
Pages : ‎432
Éditeur : ‎Maison des Sciences de l’Homme
Sorti : 14 mars 2024
Prix : 29 €