Rencontre avec Marysia Nikitiuk

Présentation officielle

L’histoire de Vitka, une petite rebelle de cinq ans, de sa cousine adolescente Larysa et de son petit « Scar », un jeune criminel, se déroule dans l’Ukraine rurale.

Après le décès de son père, Larysa se trouve à un carrefour de sa vie. Elle aimerait pouvoir être réellement elle-même, mais le reste du village la marginalise à cause de sa relation avec Scar. Larysa découvre que sa grand-mère a autrefois renié son amour pour un jeune gitant, à cause des valeurs traditionnelles et de l’opinion publique. La mère de Larysa est trop faible psychologiquement pour soutenir sa fille.

Larysa et Scar projettent d’échapper à un vie de crimes et de misère, et de fuir leurs proches. Mais sont-ils prêts à payer le prix de la liberté ?

Avertissement : cette session de questions-réponses a été faite après la projection du film Quand les arbres tombent, pendant le festival de la Nouvelle Vague du Cinéma Ukrainien. Elle peut donc révéler/contenir des éléments le concernant.

Présentatrice : Je vais poser la première question, je sais que vous êtes aussi la scénariste du film, je voulais donc savoir qui entre toutes ces femmes est la première à être apparue ? Comment sont-elles toutes apparues et pourquoi est-ce que c’est la plus petite qui est au cœur de l’histoire ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Alors il est assez difficile de dire laquelle de ces femmes est apparue en premier. Mais personnellement, à la base, j’écris beaucoup de textes, j’écris de la prose, j’ai aussi écrit plein de petites histoires et des nouvelles enfantines dans un genre réaliste-magique. J’ai notamment écrit sur une petite fille, qui apparaît comme ça, comme un nuage dans la vie de sa grand-mère. C’était des textes à la base plutôt tristes, mais aussi assez pastoraux. C’était des réflexions de mon enfance, des sensations de l’époque. Ces textes étaient tout ce que je ressentais de mon enfance et cela s’est transformé en personnage de Vitka. Ce n’est pas 100 % autobiographique, cela a été beaucoup retravaillé artistiquement parlant, mais il y a quand même un bon reflet de ma personne.

Question du public : Merci beaucoup pour ce film, pour ce beau moment, cependant, il y a beaucoup de morts, pourquoi en avoir mis autant ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Je trouve que la mort est une grosse partie de la vie. Nous, avec nos vies dans les grandes villes, avec notre vie qui est sursaturée et qui est parfois beaucoup trop rapide, on oublie la mort. Premièrement pour moi, la mort, c’est une sensation de complétude, cela donne plus de profondeur à la vie, cela donne plus de sens et d’importance aux choses qui s’y passent.
Deuxièmement, je suis une drama queen, enfin, je sens le monde dans un sens tragique, il y a donc beaucoup de tragédies dans la vie, dans ma vie, donc pour moi c’est aussi une partie de la vie. c’est pour ça que la mort est là.

Question du public : Ce qui m’intéresse beaucoup dans ce film, c’est le rôle de la famille des Tsiganes. Je pense que j’avais compris dès le début qui ils étaient, car les Tsiganes font partie de l’Ukraine et personnellement, j’ai compris qu’ils avaient un rôle de justicier dans ce monde injuste.

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Merci beaucoup pour votre question, elle est vraiment intéressante. Alors oui, vous avez raison, ce sont dans un certain sens des rôles de justifiant. Pour moi, enfin, beaucoup de gens me disent que j’ai beaucoup de « romantisme » dans ces images des Tsiganes. Je dirais que ces personnages représentent l’image de la liberté tsigane. Cela a beaucoup à voir avec la justice.

Concernant leur apparition dans le film et la raison de leur présence, en fait, quand l’Ukraine était sous domination soviétique, il existait une loi qui obligeait les Tsiganes à rester sur certaines terres, ils devaient être sédentaires, ne plus bouger. Ils étaient donc obligés de rester dans des villages, dans des villes, pendant longtemps. C’était des décisions administratives dictées par la loi, mais les populations locales ne les acceptaient pas et de même du côté des groupements qui n’appréciaient pas le devoir de rester dans un même endroit. Mais ils devaient quand même apprendre à coexister. Cependant, cette situation a créé beaucoup de conflits et de bagarres racistes et xénophobes entre ces deux populations complètement différentes. Après la chute de l’Union soviétique, la loi a été annulée. Cependant, plusieurs groupes de Tsiganes ont essayé de rester où ils avaient été installés, d’autres ont essayé de partir. Ce que j’ai apporté au personnage de Vitka, ce sont mes souvenirs, et j’ai vu les Tsiganes partir. C’était une image assez nostalgique pour moi et j’ai essayé de bien documenter cela dans mon film. Je ne pense pas avoir réussi à 100 %, mais c’est déjà pour moi des questions sur moi, sur mon histoire.

Question du public : Je veux vous féliciter pour ce film qui démontre à mon avis une grande maîtrise. Beaucoup de films que l’on voit sont souvent sans intérêt, ou bien on peut leur formuler de nombreux reproches. Ce qui n’est pas le cas de votre film, j’espère donc que vous pourrez continuer à en faire d’autres, avec votre sensibilité et de l’ambition. Et comme question, est-ce que votre film sera distribué à l’étranger ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Merci beaucoup pour vos compliments, cela me fait très plaisir. Alors sinon, le film a voyagé, il a été montré à 30 ou 40 festivals de part le monde. La première a eu lieu à la Berlinale dans la section Panorama, ensuite, il a été projeté à San Francisco, à Varsovie, en Ukraine bien évidemment. Avec la distribution en salle, ce n’est pas aussi simple, il est sorti à Taïwan, même si ça peut paraître un peu bizarre. On est en négociation avec la Pologne, car le film est une co-production Ukraine, Pologne et Macédoine, mais on n’a pas encore de réponse. Bien sûr, le film a été distribué en Ukraine, mais les chiffres ne sont pas très bons malheureusement. On peut donc dire que le principal public de ce film est un public de festival.

Question de public : Merci beaucoup pour le film, il est saturé avec plusieurs symboles, qui me paraissent très intéressants. Il me fait penser à Emir Kusturica[[Cinéaste, acteur et musicien serbe. Il a notamment été deux fois lauréat de la Palme d’or au Festival de Cannes, en 1985 pour le film Papa est en voyage d’affaires et en 1995 pour le film Underground.]], mais aussi à Lars von Trier et son Melancholia. La question est donc qui sont vos professeurs, qui sont les gens qui vous inspirent dans le monde du cinéma ? Est-ce les maîtres ukrainiens ou d’autres cinéastes étrangers ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Si on parle de professeurs, des vrais à l’université, alors non, je n’ai pas de professeurs car je n’ai pas d’éducation cinématographique. À la base, je suis journaliste, j’ai eu mon diplôme de journalisme et je suis aussi critique de théâtre. Pendant 6 ans, j’ai écrit des critiques de théâtre, à côté de cela, j’écrivais déjà beaucoup d’autres textes. De manière plus simple, mes textes et mes critiques se sont unis, me poussant alors à écrire des scénarios. À partir de 2012, j’ai quitté le théâtre, le monde du théâtre m’a, dans un certain sens, perdu. J’ai commencé à écrire des scénarios pour le cinéma, c’était très intéressant, j’ai pu avoir beaucoup de retours. À ce moment-là, je me suis donc exclusivement concentrée sur la rédaction de scénario.

J’ai cependant eu plusieurs scandales avec différents réalisateurs. Il m’était difficile de comprendre comment ce que j’écrivais se transformait. Ce que je voyais à l’écran était totalement différent de mon travail, je me suis engueulée avec plusieurs réalisateurs. C’est cependant au moment où j’ai commencé à tourner mes propres courts-métrages que j’ai compris ce qu’était la maîtrise, la possibilité de pouvoir tourner, créer ce qui existe dans sa propre imagination. De plus, j’ai vu à quel point le travail de scénariste et celui de réalisatrice sont des métiers vraiment différents, avec des approches différentes, et il faut bien en tenir compte. J’ai dû me réconcilier avec les gens avec qui je m’étais disputée, je me suis excusée et c’est à partir de là que j’ai vraiment pu être réalisatrice.

Concernant les personnes qui m’inspirent, j’aime beaucoup Lars von Trier[[Réalisateur de Nymphomaniac et The House that Jack Built qui est sorti dernièrement en France]] et notamment son film Melancholia[[Film sorti en France en 2011]]. C’est un de ces films qui m’a inspirée, et j’ai aussi beaucoup aimé sa série de films montrant de la « beauté absurde ».

Je peux également nommer Béla Tarr[[Réalisateur, scénariste et producteur de cinéma hongrois, il a reçu l’Ours d’Argent au festival de Berlin pour le film Le cheval de Turin]] qui m’inspire beaucoup. En ce qui concerne les réalisateurs modernes, j’ai vu le superbe film portugais de deux réalisateurs[[Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt]] qui s’appelle Diamantino[[Il a été présenté au Festival de Cannes 2018 dans la section Semaine de la critique dont il remporte le Grand prix. Il est sorti en France le 28 novembre 2018]]. J’ai aussi vu et beaucoup aimé le premier film français de Camille Vidal-Naquet Sauvage qui a été présenté à la semaine de la Critique, je vais donc suivre son parcours car il m’inspire beaucoup.

En ce qui concerne les réalisateurs ukrainiens qui m’ont inspiré, il y a Alexandre Dovjenko[[Ses films les plus connus sont Arsenal et La Terre, qui forment avec Zvenigora sa « trilogie ukrainienne ». C’est à ce titre que certains historiens le considèrent comme un des fondateurs du cinéma ukrainien.]], Sergueï Paradjanov[[Réalisateur soviétique controversé en Union soviétique mais très défendu et apprécié par les cinéphiles occidentaux]] et Yuri Illenko que vous avez pu voir pour Le lac des Cygnes – La zone. Mais je dois avouer que j’ai vu tous leurs films seulement après avoir déjà commencé à tourner comme réalisatrice. Je l’ai fait pour m’éduquer, trouver l’inspiration et voir que je ne suis pas seule à avoir de tels symboles dans mon esprit. Je dois aussi nommer Myroslav Slaboshpytskiy avec son film The Tribe[[Film sorti en France en 2014]] qui a gagné la semaine de la critique en 2014 et a eu trois prix. J’adore son approche, sa façon de travailler. Parmi les réalisateurs de genre ukrainiens, je vais aussi nommer Roman Bondartchouk avec son film Volcano[[Film qui a été présenté au Festival]] qui est en salle actuellement en Ukraine. J’adore aussi le travail de Marina Stepanska[[Réalisatrice, scénariste, notamment pour le film Falling]], Antonio Lukich, et Nariman Aliev.

Pour moi, c’est la nouvelle génération de réalisateurs ukrainiens. C’est très intéressant d’échanger des images, des idées avec eux et j’espère qu’on gardera cette possibilité d’échanges.

Question du public : Je voudrais demander comment vous avez choisi les acteurs pour ce film ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : En fait, j’adore mes acteurs, dans mes parcours, j’ai fait trois courts-métrages [[Parmi les arbres (V derevakh), Peste (Skaz) et Mandragore qui ont été présentés au Festival International du film d’Odessa et au festival Molodist]] et pour eux tous j’ai travaillé avec Alla Samoilenko[[Celle-ci joue d’ailleurs dans le film dans le rôle de Tamara, la mère de Laryssa]] la même directrice de casting qui est la meilleure qui existe en Ukraine. Elle travaille avec la plus grande base de données d’acteurs et elle travaille de manière très correcte sur son approche de recherche. Elle ne fait pas que me proposer des acteurs qu’elle a déjà dans sa base, mais elle va aussi en chercher d’autres. Elle va dans les villes, les petits villages, elle trouve ces acteurs amateurs qu’elle fait devenir professionnels grâce à son aide. Il y a aussi eu des appels de casting sur Facebook. Alla travaille avec beaucoup de sensibilité, c’est vraiment une vraie professionnelle et elle propose aussi un ensemble d’acteurs. Habituellement, les directeurs de casting ne nous proposent que des beaux premiers rôles, alors qu’elle, elle nous propose tout un ensemble de très bonne qualité. J’ai toujours le choix et je prends toujours ce qui me plaît personnellement. Ensuite, s’il me manque un personnage, on peut toujours faire des recherches sur Facebook. On les considère donc tous et toutes, mais on finit par trouver la bonne tête.

Question du public : Comment avez-vous trouvé Larysa ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : On a seulement eu deux mois pour la préparation du film, ce n’était vraiment pas beaucoup. On a eu plusieurs processus parallèles, la recherche pour les acteurs principaux a commencé six mois avant le début du tournage. On a commencé à chercher les acteurs pour le personnage de Larysa, pour Scar[[L’acteur de Scar est Maksym Samchik]] et Vitka. Pour Vitka, on a commencé la recherche au mois de mai[[Le tournage ayant débuté en septembre.]]. On a eu une centaine de petites filles qui sont venues, mais c’était une sorte d’hystérie. C’était très triste, je pensais même à changer le scénario car je trouvais que les enfants ne m’écoutaient pas, ils ne voulaient pas faire ce que je demandais et j’ai donc vraiment eu un moment de détresse. Mais finalement, on a rencontré Sofia Halaimova, qui avait 4 ans à l’époque, elle nous a vraiment impressionnés et j’ai donc finalement choisi de ne pas changer le scénario.

Pour Laryssa, on l’a cherchée pendant plus longtemps, près de six mois, et c’est la jeune actrice ukrainienne Anastasiia Pustovit qui incarne Larysa dans le film. C’est ma directrice Alla Samoilenko qui m’a montré ses photos sur Facebook, et c’était un peu bizarre, car il y avait trop de choses sur les photos, je ne percevais pas son visage. Je dis souvent aux acteurs qui viennent au casting de se laver le visage pour pouvoir le voir brut, pour voir vraiment leur émotion. Pendant un moment, on l’a alors oublié, on a regardé de nombreux visages sans trouver Larysa. J’ai été frustrée de ne pas trouver la bonne actrice. Cependant, c’était assez drôle car Anastasiia était en train d’être approchée pour confirmer un rôle dans un autre film ukrainien qui se tournait au même moment que mon film. C’était une situation très délicate, mais je cherchais vraiment un personnage qui pouvait être comme un petit animal, mais qui pouvait aussi être sexy et rebelle, vivante et sensible à la vie, on est donc revenue vers elle. Le premier conflit était donc celui de deux réalisateurs ayant choisi la même actrice, et ensuite quand elle a choisi notre film il y a eu un second conflit. Mais c’est la vie et c’est comme ça que je l’ai eue dans mon film.

Question du public : Est-ce qu’il y a une vraie histoire qui a inspiré le scénario ?

Marysia Nikitiuk (Réalisatrice) : Toutes les histoires de ce film sont d’une façon ou d’une autre réelles. Je travaille de cette manière, je cueille l’information qui me vient de partout, je vais sur de nombreux supports différents et je retiens des histoires, je demande à mon entourage, je regarde les informations dans les journaux, dans l’actualité, les histoires de mes amis et ma vie aussi. Je récupère tout dans ma tête, puis je reformule et retrace cette histoire dans ma tête. C’est à ce moment-là que je crée l’histoire. Je pense au fond qu’aucun scénariste ni écrivain ne part jamais de zéro, mais d’histoires réelles. Tout ce qu’on voit, les films et séries à la mode, de fantasy, ce sont tous des archétypes d’histoires avec une base véridique, de choses qui se sont passées dans une vraie vie. Je pense que tous les créateurs travaillent avec des faits réels pour construire leur histoire.

Si on parle concrètement de mon film, le personnage de Vitka, c’est l’histoire d’une petite fille, avec ma mémoire de petite fille, de celle que j’étais dans mon enfance. Le village, c’est aussi un certain entourage de mon enfance. Le personnage de la grand-mère reflète beaucoup ma propre grand-mère, je n’ai même pas changé son prénom. Quand ma mère a vu le film, elle était un peu déçue en disant « Mais ta grand-mère, elle était quand même bonne. ». C’est un peu l’image de ma vie. Ensuite, le garçon que vous voyez avec des marteaux dans le groupe de Scar, c’est une image que j’ai eue dans la ville où j’ai grandi. Dans les années 90, il y a eu plusieurs affrontements de gangs entre les jeunes, c’était très spectaculaire et très sanglant, car ce n’était pas fait avec les mains, mais avec des marteaux. Cela renvoie aussi aux années 2000 car j’ai entendu beaucoup d’histoires, et j’ai connu beaucoup de femmes qui attendaient leurs hommes qui n’étaient pas des gentils garçons et fréquentaient des milieux mafieux. Ce sont des femmes qui ont attendu des hommes des années alors qu’ils étaient déjà morts depuis longtemps.

Présentatrice : Merci beaucoup pour votre venue et d’avoir répondu à nos questions.

WHEN THE TREES FALL by Marysia NIKITIUK. Official teaser from directory films on Vimeo.