J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd – Avis +

Présentation officielle

Ce film est adressé à mon ami Vincent, mort il y a dix ans. Vincent était Sourd. Il m’avait initiée à la langue des signes. Je lui donne aujourd’hui des nouvelles de son pays, ce monde inconnu et fascinant, celui d’un peuple qui lutte pour défendre sa culture et son identité.

Avis d’Emilie, elle-même sourde

Parce que le défaut d’ouïe ne se voit pas, les sourds sont invisibles. La plupart des fonctionnaires ne sont pas formés à la langue des Signes, les films français ne sont jamais sous-titrés au cinéma, dès qu’on a besoin d’aide dans la rue, c’est la croix et la bannière pour se faire comprendre.

Vincent, à qui est dédié ce film, souffrait énormément de cette situation. Il détestait qu’on pense à lui comme à un handicapé. Les sourds parlent simplement une langue étrangère, ils ne sont pas handicapés. En ce sens, ils ont développé une culture qui leur est propre et c’est ce que Laeticia Carton a voulu montrer dans ce film. Elle met en lumière les invisibles.

Elle nous parle de son parcours d’entendante qui souhaite apprendre la LSF. Elle nous parle de son professeur, de sa première amie sourde… C’est également l’occasion d’aborder leur éducation. Beaucoup d’entre eux ont dû apprendre à parler de façon oraliste. Ils devaient passer des heures un casque sur les oreilles, essayer d’écouter des sons qu’ils n’entendaient pas pour pouvoir les restituer. Qui imaginerait ça ? C’est quasi de la maltraitance !

On aime voir les sourds dialoguer entre eux. Leurs propos sont sous-titrés, mais parfois, des petits passages manquent. Ce n’est jamais quelque chose d’important. Il s’agit d’un passage d’un conte raconté à des fillettes, ou encore de deux femmes qui parlent d’amour. Quelques instants de vide, où l’entendant qui regarde peut alors se mettre à la place de ce que les sourds ressentent quand on leur parle sans savoir.

La plupart du temps, les sourds ne parlent pas de leurs problèmes dans ce long métrage. Ils parlent de leur vie de tous les jours. On peut ainsi constater qu’ils ne sont pas différents des entendants. Ils font la fête avec leurs amis, passent du temps avec leurs enfants, cherchent l’homme idéal, travaillent…

Montrer ce côté ordinaire, voire quotidien, fait la force de ce film. Avec simplicité, il nous offre une vision sur ce qui n’est au final qu’un pays différent à l’intérieur même du nôtre. Le fait que ce film ait été envisagé il y a une trentaine d’années et ait été réalisé mais surtout imaginé sur du long terme (plus ou moins 20 ans) montre l’évolution dune société. Malheureusement pas la société entendante, toujours assez peu mobilisée pour intégrer les sourds, mais plutôt l’évolution de la société sourde, qui s’érige en communauté.

On y voit très bien que loin d’être exclus, les entendants sont au contraire tout à fait bienvenus dans cet univers. Ils sont initiés et acceptés très vite, là où très souvent, dans le sens contraire, on éprouve une gêne ou un malaise en présence d’une personne sourde qui signe ouvertement.

Ce film est avant tout un hommage à un homme sourd, décédé il y a 10 ans. Réalisé par une entendante, il montre sans juger, il expose pour expliquer et cette humilité, qui touche à la candeur, nous offre un film sincère et plein d’émotion qui mérite vraiment d’être vu. Par ailleurs, la diffusion au cinéma, média d’excellence, lui promet un bel avenir.

Qu’on connaisse un peu, beaucoup ou pas du tout la communauté sourde, on découvre, on rit et parfois on a bien envie de verser une petite larme. C’est un film magnifique, ouvert sur l’autre, et quand bien même il concerne les sourds, son enseignement peut s’appliquer à l’ensemble des personnes qu’on pense différentes.

Fiche Technique

Sortie : 20 janvier 2016

Durée : 120 min

Genre : documentaire