Lettre à mon ravisseur – Avis +

Présentation de l’éditeur

Ça s’est passé comme ça. J’ai été volée dans un aéroport. Enlevée à tout ce que je connaissais, tout ce qui était ma vie. Parachutée dans le sable et la chaleur. Tu me voulais pour longtemps. Et tu voulais que je t’aime. Ceci est mon histoire. Une histoire de survie. Une lettre de nulle part. Un thriller psychologique qu’on ne peut ni arrêter, ni oublier.

Avis de Francesca

Gemma, une anglaise de 16 ans, est en transit avec ses parents à l’aéroport de Bangkok, et va se chercher un café lorsqu’elle est abordée par Ty, un charmant étranger un peu plus âgé qu’elle. Sans comprendre ce qui lui arrive, elle est droguée, kidnappée et atterrit au milieu d’un désert infini en compagnie de Ty dont elle ne connait rien et encore moins ses intentions…

Ce roman est tout à fait original et ne ressemble à rien de ce que l’on lit habituellement. De part la forme narrative du roman, la lecture déroute. On est désormais plus qu’accoutumé aux histoires racontées à la première personne du singulier, mais ce qui est assez inédit, c’est que la narratrice, Gemma, s’adresse à un individu en particulier, Ty, à la deuxième personne. En effet, le roman est construit comme une longue lettre de Gemma à destination de Ty, ce qui est vraiment troublant car le lecteur plonge totalement dans l’intimité de leur histoire personnelle, comme un spectateur privilégié de leur intimité. Et cela marche d’autant mieux que l’histoire est un huis clos entre Gemma et Ty pour la majeure partie du livre, sans aucune autre présence extérieure, rien que le désert inamical et ces deux protagonistes.

L’enlèvement de Gemma est donc le point de départ d’un face-à-face angoissant et étouffant car la narratrice, et le lecteur par la même occasion, sont complètement perdus, ne sachant rien ce de ce qui se passe et de ce qui va se passer, et ne voulant qu’une chose : s’enfuir. Mais le décor est hostile et les moyens sont dérisoires de sorte qu’on éprouve en même temps que Gemma la frustration face à l’impuissance, le désespoir et la peur, une immense peur de ce qui pourrait arriver.

Gemma est une jeune adolescente comme les autres, ancrée dans le monde contemporain réel et est donc au courant de toutes les atrocités qui s’y passe. Elle pense donc à de multiples possibilités comme la rançon, le viol, le meurtre. Elle n’est pas héroïque mais pas lâche non plus, et fait tout ce qu’elle peut pour s’en sortir même si c’est en vain. Chacune de ses tentatives suscite un immense espoir mais également une sourde inquiétude à l’idée de potentielles représailles. On dégringole avec elle vers une solitude profonde, proche de la folie, alors que face à elle se trouve un homme dont on comprend très vite qu’il a sa propre motivation et qu’il ne déviera pas.

Et pourtant, Ty n’a pas l’air d’un fou furieux au premier abord. Lors de faits divers réels violents, les témoignages du voisinage parlent toujours d’une personne charmante, insoupçonnable. C’est bien le cas ici, car Ty donne l’impression d’un individu normal, jeune et mignon, sauf qu’il a élaboré une réflexion complètement déséquilibrée qui a mené à cet enlèvement. Au fil du récit, on en apprend plus sur lui et sa logique, ses raisons qui l’ont menées jusqu’à ce point de non-retour, et, sans vouloir rien dévoiler, les révélations qu’on apprend au fur et à mesure sont vraiment horribles et dignes d’un psychopathe.

Et pourtant, au-delà de cette folie, on se surprend à s’attacher au moins un peu à ce personnage qui n’est finalement pas mauvais dans le sens qu’il ne veut pas faire le mal mais est persuadé au contraire de faire le bien, à cet être solitaire, dont l’enfance n’est pas des plus heureuses. Passer plusieurs mois en tête à tête avec une personne, même si on ne la connait pas ou on la hait de toute son âme, ne peut qu’amener à la découvrir et peut-être à la comprendre et à l’accepter, et c’est bien là le drame.

Le syndrome de Stockholm désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à développer une empathie, voire une sympathie, ou une contagion émotionnelle avec ces derniers. Inversement le syndrome peut s’appliquer aux ravisseurs, qui peuvent être influencés par le point de vue de l’otage. On parle dans ce cas du syndrome de Lima. Sans aller jusqu’à une totale communion entre Gemma et Ty, on peut se douter que plusieurs mois de promiscuité ne peut que favoriser des rapprochements, du moins un lien certain, que l’on ne comprend la portée qu’à la fin du livre.

A l’instar de Gemma, le lecteur est partagé par l’ambivalence de ses sentiments sur Ty et sur cette histoire, entre l’inacceptable et la compréhension, entre le crime et l’affection. Les deux personnages ont été affectés durablement par cet événement et on ne sait pas s’ils vont s’en sortir, ce qui est sans doute mieux qu’un pur happy end.

Un roman qui hante bien après la lecture et qui entraine un certain nombre de questions et de réflexion. Un roman vraiment pas comme les autres, et ça fait du bien.

Fiche technique

Format : poche
Pages : 268
Editeur : Gallimard Jeunesse
Collection : Scripto
Âge : à partir de 13 ans
Sortie : 9 septembre 2010
Prix : 12 €