Invisible – Avis +

Présentation de l’éditeur

New York, 1967 : un jeune aspirant poète rencontre un énigmatique mécène français et sa sulfureuse maîtresse. Un meurtre scelle bientôt, de New York à Paris, cette communauté de destins placés sous le double signe du désir charnel et de la quête éperdue de justice. Superbe variation sur « l’ère du soupçon », Invisible explore, sur plus de trois décennies, les méandres psychiques de protagonistes immergés dans des relations complexes et tourmentées.

Le vertigineux kaléidoscope du roman met en perspective changeante les séductions multiformes d’un récit dont le motif central ne cesse de se déplacer. On se délecte des tribulations du jeune Américain naïf et idéaliste confronté au secret et aux interdits, tout autant qu’on admire l’exercice de haute voltige qu’accomplit ce très singulier roman de formation. Au sommet de son art narratif, Paul Auster interroge les ressorts mêmes de la fiction, au fil d’une fascinante réflexion sur le thème de la disparition et de la fuite.

Avis de Kyle Histo

Invisible est d’abord une réflexion sur la mort et l’essence de la littérature. Pourquoi écrit-on ? Pour conjurer la mort. Paul Auster nous rappelle que la littérature -j’entends par là une œuvre de fiction et non une autobiographie- permet tout en un de se survivre et de se dissimuler. Se survivre quand la mort s’invite trop tôt, se dissimuler quand votre vie fut trop scandaleuse.

C’est ainsi qu’Adam Walker, frappé par un mal incurable, rédige en toute hâte un récit des temps forts de son existence et s’y abîme sans complaisance et sans fards. Mais soucieux d’épargner ses proches, il adresse son texte à un ami, l’écrivain Jim, qu’il charge de revoir son récit et à qui il laisse la responsabilité de publier ou non l’inventaire de ses démons. Lourde tâche pour Jim devenu son exécuteur testamentaire littéraire. Peut-il le publier sans choquer Gwyn, la sœur d’Adam dont l’honneur est exposé ? Rebond sur la nature de la littérature et sur la pertinence de toute publication à l’instar du poème hermétique de Lycophron traduit par la jeune Cécile.

Une thématique essentielle dans l’œuvre de Paul Auster qui n’a jamais cessé de réfléchir sur la posture de l’écrivain et sur l’identité de l’auteur. Qui écrit vraiment ? Est-ce le narrateur qui ne cesse de changer, passant d’Adam à Jim puis à Cécile ? Le passage du « je » au « tu » nous l’évoque non sans échos à l’œuvre de Borges. Où est l’auteur qui, entre autres, pourrait être à la fois le jeune Adam, mais aussi le romancier Jim, sans oublier le mystérieux Born ? Qui sont les personnages dont tous les noms, nous est-il rappelé, sont inventés ?

Le roman croise habilement l’intrigue à ce questionnement et multiplie les chassés-croisés. Chassé-croisé entre 1967 et aujourd’hui, entre la jeunesse et la vieillesse, entre celles des personnages qui vécurent l’année 1967 et s’en souviennent quarante ans après. Chassé-croisé entre l’amour et la mort, entre les amours et les morts. Amour romantique de Cécile, amours libres de Margot, amour incestueux d’Adam. Mort criminelle d’un jeune délinquant, mort brutale d’Adam, mort des nos parents, mort de notre passé. Sans oublier le Chassé-croisé des genres littéraires combinant les registres de la poésie, du récit épistolaire (structurant le roman), du roman (roman classique, noir et policier) et du journal intime.

Au total, le roman multiplie les perspectives et brouille l’intrigue à loisir. D’abord un meurtre brutal, puis d’étonnantes confessions avant de terminer par de curieuses révélations. Un roman brillant et enrichissant qui nous renvoie à nous-mêmes et à nos propres contradictions. Dans un style relevé et dans une langue travaillée, Paul Auster se plait à surprendre le lecteur et nous maintient en haleine jusqu’au bout, nous laissant pourtant, comme dans ces films des années soixante-dix, un peu sur notre faim. Le dénouement lui appartient et nous reste invisible.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 293
Editeur : Actes Sud
Collection : Lettres anglo-américaines
Sortie : 28 février 2010
Prix : 22,50 €