Fragment – Avis +

– Le libre arbitre c’est un virus. Pour semer la destruction, il sufit de le lâcher dans la nature, activé par la « raison ». Et vous pouvez parier là-dessus, ça marche à tous les coups.

Cynthea Leeds, réalisatrice du reality-show Sea-Life, aurait dû être aux anges. Son émission de télé-réalité aurait dû être un succès. Regrouper des jeunes scientifiques sur un navire high-tech avec comme prétexte l’enseignement de diverses disciplines de la science était une idée géniale.

De même il aurait été « accessoirement  » possible de montrer le déclenchement de plusieurs amourettes. Mais ses efforts « désintéressés » pour former des couples ont échoué, sans doute parce que les jeunes et beaux participants ont passé les dernières semaines à essayer de gérer leur mal de mer. L’audience est en chute libre.

Mais voici le salut ! Une radio-balise signale un navire en difficulté. Un sauvetage de naufragés en détresse en perspective et puisque le navire s’est échoué sur une île déserte les jeunes et beaux participants vont pouvoir s’ébattre sur le sable !

Le débarquement est organisé, la production alertée, la liaison satellite est opérationnelle et grâce au direct 110 millions de téléspectateurs peuvent assister au massacre.

Constatations pour Cynthia Leeds :
– à New York les producteurs TV ne sont pas ravis
– l’essentiel des participants de son émission se sont faits dévorer par des créatures inconnues
– la flotte américaine vient de se déployer en urgence pour assurer le blocus de l’île empêchant tout navire d’accoster ou de quitter les environs
– le dernier caméraman de l’émission qui soit encore en vie refuse absolument de débarquer clandestinement pour réaliser des images spectaculaires de la faune locale

La botaniste Nell Duckworth n’avait participé à cette émission de télé-réalité que dans l’espoir de parvenir à la mythique île de Henders qui n’a été découverte qu’en 1791. La seule tentative de débarquement s’étant conclu par la mort énigmatique d’un marin. Jusqu’à cette année 2010, nul être humain n’avait accédé à cette île isolée du Pacifique sud (ou du moins n’avait pu en revenir).

Le fait d’être l’une des deux seules personnes à avoir survécu au débarquement, lui a permis d’accéder à un poste de responsabilités dans l’étude des créatures insulaires. Celles ci ont poursuivi une évolution séparée du reste de l’écosystème terrien depuis plusieurs centaines de millions d’années.

L’installation de Nell sur l’île avec des techniciens et des scientifiques dans un labo de la NASA conçu initialement pour l’exploration de la planète Mars a permis d’établir les conclusions suivantes :
– tous les animaux présents sur l’île appartiennent à la catégorie des carnivores
– ils sont extrêmement dangereux et capables de se reproduire dès le moment de leur naissance
– aucun insecticide n’affecte les insectes agressifs présents sur l’île, d’ailleurs toutes les créatures sont trop éloignées des autres espèces animales qui peuplent la Terre pour qu’une guerre chimique ou biologique soit efficace contre eux
– les prédateurs du reste du monde connu qui ont été débarqués sur l’île à des fins d’expérience n’ont survécu que quelques instants. Ceci implique qu’il n’existe aucun ennemi naturel qui puisse leur tenir tête dans le monde extérieur.
– les simulations informatiques en arrivent à la conclusion que si une seule espèce de l’île Henders parvenait à quitter l’île pour coloniser le reste de l’écosystème terrestre toute vie animale et humaine disparaitrait en moins de trente ans.
– enfin le plus préoccupant dans l’immédiat c’est que ce laboratoire de la NASA a été conçu pour résister à l’intrusion des virus. Mais en ce cas combien de temps faudrait-il à une créature locale, par exemple celle que Nells a baptisé Spider-Tigre et qui est de la taille d’un véhicule 4X4 pour percer une cloison ? D’ailleurs l’un de ces fauves est justement en train de regarder Nells avec gourmandise de l’autre côté d’un hublot d’observation.

Le chef cameraman Zero Monroe est l’autre rescapé de l’équipe qui a débarqué sur l’île Henders. Ses capacités sportives de marathonien lui ont permis d’atteindre la mer avant de se faire dévorer. Depuis il est resté inoccupé sur le bateau, tout en étant imperturbable aux exhortations de Cynthia Leeds pour y retourner. Mais voici que le président des USA souhaite se rendre compte des conditions réelles de vie sur l’île Henders. Les caméras robotisées ou fixées sur le dos d’animaux importés ont été détruites en quelques secondes. Il est donc nécessaire d’envoyer un caméraman sur place pour obtenir des images. Bien entendu il sera placé dans un véhicule approprié, en l’occurrence un super-rover de plusieurs tonnes conçu pour l’exploration spatiale et totalement étanche. Et il s’agit d’une requête présidentielle. C’est ainsi que « Zero » effectue son second débarquement sur l’île.

Quelques minutes plus tard le véhicule ultramoderne est immobilisé. En effet le sol génère de l’acide sulfurique faisant fondre les roues du véhicule qui aussitôt a été attaqué et percé par la faune locale agressive. Dès lors les passagers ont évacué en catastrophe et un nouveau massacre a été commis.

Zero court. Il a remporté plusieurs marathons. Mais les créatures de l’île Henders ont une composition sanguine à base de cuivre. Ceci leur procure un taux d’oxygénation supérieure à toute créature extérieure à l’île et Zero appartient à cette catégorie. Les bêtes qui le traquent sont également capables de faire des bons de quinze mètres et leurs nombreux yeux fournissent à leurs deux cerveaux une quantité phénoménale d’informations, telle qu’il est impossible de leur échapper, ce qui renvoie les raptors de Jurassik Park au rang de petits plaisantins. Néanmoins, Zero essaie, louvoyant entre les plantes carnivores et les arbres qui projettent des aiguilles. Et tandis que ses semelles se dissolvent peu à peu sous l’effet de l’acide, il ne peut s’empêcher de gaspiller un peu d’oxygène afin de lâcher un juron… et quelqu’un lui répond ! Obliquant vers cette voie familière Zero cherche un autre rescapé et au moment où il réalise que cette voie est la sienne il comprend que certaines des créatures d’Henders sont capables d’imiter parfaitement les paroles humaines !

Le professeur Redmond Thatcher est quelque peu préoccupé. Cet auteur renommé en vulgarisation scientifique a obtenu gloire et honneurs (le plus souvent grâce au soutien médiatique des non-scientifiques). Sa notoriété lui a valu d’être désigné comme conseiller scientifique présidentiel à bord du porte-avion Enterprise qui croise au large de l’île Henders. Aussitôt il s’oppose à l’anéantissement nucléaire d’un tel trésor écologique. Cependant les découvertes réalisées sur l’île Henders invalident de nombreuses théories personnelles. Aussi il envisage deux solutions : la première passe par l’élimination des scientifiques présents sur place. L’autre repose sur la propagation d’une ou plusieurs espèces dans le monde extérieur. Ayant atteint la soixantaine, il pourra dans un endroit isolé assister sereinement à presque toute la fin de l’occupation humaine sur Terre.

Ce roman de science-fiction – basé sur le phénomène bien réel du danger des espèces invasives – s’avère parfaitement cohérent. Si à première vue les ellipses narratives peuvent surprendre elles génèrent par la suite des surprises et fournissent indirectement au lecteur des informations pertinentes. Ainsi il faut plusieurs pages pour comprendre que pour échapper au scandale et à une demande de pension le professeur Thatcher a discrètement assassiné un enfant, en l’occurrence son fils illégitime dont il venait d’apprendre l’existence. Parfaitement amoral, motivé par l’égo, dissimulateur, déterminé et efficace, il constitue la pire menace pour l’humanité.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 460
Traducteur : Stéphane Carn
Editeur : JC Lattès
Sortie : mai 2009
Prix : 19,50 €