Le marchand de lunettes (et mes autres histoires juives) – Avis +

Présentation de l’éditeur

Deux Juifs, Kohn et Grün, se rencontrent rue Dob, à Budapest dans le temps, dans le temps mauvais, dans l’un de ces très nombreux temps mauvais quand il fallait trembler, craindre pour sa famille, ses biens, son travail, sa vie (dans cet ordre). Kohn chuchote à Grün :

– As-tu entendu que des jumeaux otaries sont nés au zoo d’Oslo ?

Grün, inquiet, se rapproche de Kohn et lui murmure tout bas à l’oreille :

– Non, je ne l’ai pas entendu. Mais dis-moi, Kohn, c’est bon pour nous, ça ?

L’argent, la religion, la famille, l’ambition, la richesse, la pauvreté, l’amour, les traditions, l’Histoire… Vingt-neuf nouvelles aussi drôles que cruelles racontées par Adam Biro, devenu au fil de la plume un «marchand de lunettes» facétieux qui contemple avec tendresse celui qui est la cible de tant de plaisanteries savoureuses : le Juif.

Rien n’est épargné au lecteur. Tout, ici, est une question d’interprétation… juive !

Avis de Marnie

Brillante idée que de reprendre vingt-neuf histoires juives extrêmement connues que l’on se transmet de génération en génération, d’amis en collègues, de Belges aux Corses, et que l’auteur prend la peine d’étirer, d’élargir, d’approfondir avec un humour savoureux pour retranscrire de façon captivante ce que l’on pourrait pompeusement appeler l’essence de l’âme juive. La réussite est au rendez-vous !

Pour mieux expliquer ce qu’a voulu faire l’auteur, il faut expliquer qu’il est Juif, né à Budapest en Hongrie, qu’il a quitté en 1956 pour Genève. Il vit à Paris où il rédige une maison d’édition de livres d’art… Il est nécessaire d’évoquer ce passé cosmopolite, puisque l’auteur, par petites pensées plus ou moins profondes, plus ou moins humoristiques, plus ou moins politiques, plus ou moins de bonne ou de mauvaise foi, ne se sent chez lui nulle part, comme tout Juif errant. D’une Hongrie où l’on a expulsé les Juifs au Moyen-Age (comme en France ou en Angleterre…) à 1920 où le traité de Trianon définit les frontières d’un pays qui a perdu la guerre, amputé de deux tiers du territoire (la Transylvanie est donnée à la Roumanie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Voïvodine sont rattachés à la Serbie et la Ruthénie et la Slovaquie rejoignent la Tchécoslovaquie), et qui après la Seconde guerre mondiale fait partie du bloc communiste, ce pays perd alors son identité avec un bouc-émissaire tout trouvé…

Adam Biro parle de la migration des Juifs, ballotés au gré de la petite ou la grande Histoire. Ses histoires se déroulent dans les pays d’Europe, Pologne, Russie, Hongrie, Roumanie mais aussi Angleterre et France… pour franchir l’Atlantique avec pour seul but : devenir scénariste à Hollywood. Tout cela pourrait paraître joliment exotique comme un livre d’images, Adam Biro effleure le folklore comme pour mieux mettre en relief l’insécurité, l’injustice, les clichés antisémites, la survie… et aussi l’innommable. Chaque histoire prête à sourire, comme elle entraîne une réflexion plus profonde sur la haine et la cruauté contre une minorité renfermée sur elle-même mais qui rêve à trouver un endroit où vivre en paix… Ces histoires parlent du mythe que représente Israël… ou l’Amérique. Nous oscillons entre désespoir, optimisme, besoin de retrouver ses racines plongées dans des traditions, et nécessité d’avancer idéologiquement pour transformer une existence faite de brimades et de frustration, désillusion et rêve d’une vie meilleure !

Ce voyage à travers « l’interprétation juive » représente une très plaisante et réjouissante façon de mieux connaître les errances d’un peuple à travers une Europe qui l’a parqué dans des guettos… avec dans l’idée que le Juif sera la prochaine victime. Cela peut prêter à sourire ou s’agacer, mais cela met en relief la réalité d’un ressenti. Le ton est chaleureux, toujours revendicateur, jamais pleurnichard, malicieux mais jamais lourd. Les digressions partent dans tous les sens, dérisoires, réalistes, dénonciatrices ou totalement hors de propos, mais entraînant pourtant toujours le même constat : il vaut mieux en rire qu’en pleurer !

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 229
Editeur : Belfond
Sortie : 22 janvier 2009
Prix : 18 €