Pèlerin d’Orient, à pied jusqu’à Jérusalem – Avis –

Présentation de l’éditeur

Dans le labyrinthe des chemins qui conduisent à Jérusalem, François-Xavier de Villemagne a choisi les sentiers oubliés de l’Europe orientale, l’immense plateau anatolien et les déserts du Levant. Compagnon imaginaire des pèlerins de jadis, c’est à pied qu’il a tracé sa propre voie, en quête de paix intérieure. Depuis Paris, il a ainsi parcouru 6 400 kilomètres en huit mois, emporté par son élan vers la ville trois fois sainte. Un chemin riche de rencontres, et aussi une expérience de découverte de soi. Pourquoi partir? Comment affronter la solitude et, de sédentaire, devenir passant? Au fil des mois, les questions se précisent et des réponses se dessinent, tandis que se profile la terre des prophètes. Le lac de Tibériade et les oliveraies de Samarie seront les dernières étapes avant Bethléem, en Judée, que l’auteur atteint avec émotion la veille de Noël.

Avis de Eric

A trente-six ans, François-Xavier de Villemagne (FXV dans la suite de ce texte), cadre supérieur de l’informatique dans le secteur bancaire, croyant catholique, mène une vie qui ne le satisfait pas et il est malheureux. De multiples raisons, très banales, le convainquent de partir : « Ces choses qui arrivent à tout le monde. Mais peut-être pas si fort, pas toutes en même temps… ». On s’étonne déjà du manque de lucidité, de connaissance des autres vies et de cette capacité à s’affliger. Il va donc marcher de Paris à Jérusalem. Il se fixera deux principes : ne compter que sur ses pieds – à l’exception du Bosphore – et privilégier l’hébergement chez l’habitant de préférence à l’hôtellerie commerciale.

Ce qui frappe tout au long de ce récit, ce sont deux choses : d’une part l’orgueil du narrateur et d’autre part la conscience qu’il a de son orgueil, ce qui a le mérite de la franchise et lui confère un capital de sympathie. Mais cet orgueil est envahissant et le capital s’effrite au fil des pages.

Dans l’un des premiers chapitres en Autriche, un artifice littéraire lui fait démarrer un dialogue fictif avec sa conscience morale et spirituelle à travers une marionnette représentant le personnage du Commandeur dans Dom Juan, lequel dialogue se poursuivra de place en place tout au long du récit. L’artifice porte bien son nom et rend la lecture laborieuse et hachée.

Après l’Autriche vient la Hongrie (Nagyion szép orszàg, ‘Très beau pays’) où la santé de FXV le contraint à se reposer quatre jours à Szeged. Là et peu de temps avant, il aura durement ressenti que le monde, la compagnie de ses amis lui manque. Mais plus important encore pour la suite de la lecture, il constate qu’ « un fil incroyablement ténu me relie au monde d’avant » (p. 61).

En Roumanie, FXV parmi de multiples anecdotes raconte sa rencontre avec Gabriela, une vieille femme germano-hongroise, misérable et vivant dans l’amertume, et « dont je vois bien qu’elle est une dame et non pas une femme ordinaire. Elle met un point d’honneur à tenir la tête haute dans l’adversité qu’elle vit depuis tant d’années. » (p. 76). A la page suivante, il rencontre la bonne du curé du village que Gabriela lui a présentée. C’est une vieille femme roumaine et de seule langue roumaine. Comme ils ne peuvent échanger un mot ensemble, elle va chercher une vieille boite en fer qui contient en photos un résumé de sa vie. Pour celle-ci, il écrit : « Je tâche de témoigner de la sollicitude envers la vieille femme, tout en masquant la pitié qu’elle m’inspire. » FXV à l’évidence ne pressent pas ce que pourraient inspirer à ces deux vieilles femmes et à ses lecteurs si peu de considération pour la seconde, et une telle différence de considération entre les deux.

Ce regard normatif sur les personnes qui lui ouvrent leurs maisons est une constante de ce marcheur hébergé. Comment dire mieux ? Avoir des avis et des réactions sur les événements et les personnes est humain. Mais faut-il juger pour autant ?

En Roumanie encore, il rencontre un prêtre hongrois germanophone de son âge, lequel le remet en cause ingénument en s’exclamant « Tout à pied, il faut vraiment avoir beaucoup de péchés à expier, n’est ce pas ? », quand FXV, en un obscur contentement de soi, se voit moins comme un pénitent que comme quelqu’un qui entreprend quelque chose de « bien tout court ». Ce même prêtre exprime également son admiration et son envie : « Heureux homme ! Pour accomplir ton périple tu disposes de temps et d’argent. »

– Oui bien sûr… Mais le premier je l’ai gagné en travaillant parfois durement, et le second, j’ai choisi de le prendre… »

Clairement FXV ne veut ni entendre ni comprendre. Comme si les choses et la vie se présentaient toujours ainsi ; c’est beau comme un conte de Noël ! L’on croirait entendre ces beaux esprits de chez nous : « Il suffit de s’organiser ! » FXV s’en tire par une pirouette et tire la couverture à lui. Après tout c’est lui qui raconte et non son interlocuteur, dont il est clair que son récit différerait très significativement.

En Turquie, il sympathise avec un routard professionnel : Américain, 70.000 kilomètres à pied en quinze ans, revenant de temps en temps aux États-Unis pour faire le plein d’argent (quinze mille dollars en trois mois la dernière fois), un enfant au Pérou vu deux fois en huit ans (à la naissance et récemment à l’âge de huit ans), une petite amie chinoise à Taiwan, une mère à New York : tout ceci manque d’arguments solides pour nous faire partager l’admiration qu’il ressent pour lui.

Une autre rencontre en Turquie est un morceau d’anthologie de mauvaise foi entre un couple de jeunes touristes français et FXV, chacun réfutant dans les choix de vie de l’autre…on se demande bien quoi, d’où un dialogue de sourds, dont on a pitié pour FXV qu’il s’y soit laissé entraîné.

Le point d’orgue de ce passage dans cette région turque où abondent les touristes montre combien après des milliers de kilomètres le pèlerin reste centré sur lui-même : « L’assimilation à la troupe des voyageurs sans effort me vexe profondément. Je ne trouve plus mon lot quotidien d’admiration dans les yeux de ceux que je rencontre. » Comme chantait l’autre : « Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse ».

Un autre épisode souligne les limites de la cohérence la démarche de pèlerin de FXV qui s’en remet avec confiance à son prochain du jour pour lui procurer un hébergement pour la nuit. A Gölyazı, un policier turc, Ibrahim, qui a été plusieurs fois arrêté et expulsé d’Europe comme travailleur clandestin et qui ne lui est guère sympathique l’héberge et, au-détour d’une conversation, lui demande où il habite. Le commentaire de FXV est le suivant : « … je n’ai aucune envie de le voir débarquer chez moi lors de sa prochaine tentative illégale. Pourtant il m’a ouvert sa maison ce soir. En brouillant les pistes, j’ai le sentiment pesant de trahir quelqu’un qui m’a fait du bien. » Autrement dit : faites au pèlerin que je suis ce que je ne serai pas prêt à faire pour vous.

J’en passe bien d’autres, et une meilleure encore.

Arrivons en Israël. Y entrant par la Jordanie, et convaincu par divers témoignages du risque à continuer à pied, il effectue en autobus les quarante kilomètres de la frontière jordanienne jusqu’au Lac de Tibériade. Il s’en veut pour les raisons qui tiennent aux règles qu’il s’était fixées. Il le vit comme un échec, orgueil encore. Or, cet échec n’en est pas un aux yeux du lecteur qui accepte le parti-pris de départ mais qui a bien conscience de l’ampleur des difficultés physiques, mentales et spirituelles qui peuvent provoquer une ‘entorse’ à la règle, bien vénielle l’entorse.

Ce qui en revanche n’est pas du tout véniel pour le lecteur, c’est cette avalanche de flagellation de soi à laquelle se livre l’auteur quand suit cette révélation extraordinaire (p. 275): « Il y a cinq mois, j’avais interrompu mon périple pour une distance autrement plus importante : de Szeged, j’avais pris le train puis l’avion pour passer cinq jours à Paris afin de consulter un médecin pour mon dos et renouveler mon passeport. » Il est temps de l’apprendre !

Souvenons-nous, il parlait de « fil ténu » à Szeged. Inutile de gloser. Je veux bien qu’on me raconte une histoire, mais à l’instant où elle se passe. Après, ce n’est plus l’histoire, ce sont des histoires !

La fin du livre se lit avec exaspération pour cette raison.

Au final, l’impression est celle d’un pèlerin et narrateur orgueilleux, centré sur lui-même, peu apte à s’oublier pour s’ouvrir aux autres. Ce premier récit de pèlerinage est une impasse, ce qui est d’autant plus regrettable que le pèlerinage suivant a donné lieu à un texte autrement plus convaincant !

Fiche Technique

Format : boché
Pages : 368
Editeur : Transboréal
Collection : Sillages
Sortie : 22 janvier 2009
Prix : 22,50 €