Grace is gone – Avis +

Résumé

La vie de Stanley Phillips, père de deux petites filles, bascule lorsqu’il apprend la mort de sa femme, Grace, tuée au service en Irak.

Comment annoncer à ses filles que leur mère les a quittés ? Stanley tente de repousser ce moment en conduisant les petites à un parc d’attractions en Floride, dans un voyage impromptu qui le met face à son chagrin.

Avis d’Enora

Il y a des films qui pâtissent de l’étiquette qu’on leur colle, Grace is gone en est un exemple parfait. Catalogué comme un film antimilitariste (peut être à cause de la présence de John Cusack, dont on connait les prises de positions politiques virulentes), il fut à la fois, boudé par une partie du public à sa sortie aux USA et vilipendé par une autre qui le trouvait trop tiède dans son engagement. Ce film, qui a obtenu l’année précédente le prix du Public à Sundance et le prix de la critique au Festival américain de Deauville, n’avait à l’origine d’autre but que d’appréhender la dimension intime du conflit irakien, à travers le drame de la perte d’un être aimé, mort au combat. A l’origine du scénario, la décision du gouvernement d’interdire les photos des cercueils de combattants tombés en Irak. Jim Strouse comme John Cusack et la productrice Grace Loh, ont pensé que ces soldats méritaient d’être honorés au lieu d’être ramenés en catimini et dissimulés au regard de la collectivité. [1]

Jim Strousse qui nous avait livré le magnifique scénario de Lonesome Jim, réalisé par Steve Buscemi, en 2005, passe pour la première fois derrière les caméras. Il réalise là un film subtil qui repose essentiellement sur le scénario et le jeu des acteurs. Centré sur le deuil et la force qu’il faut pour continuer à vivre, il joue avec les plans de la caméra pour montrer l’évolution des relations entre le père et ses filles. De la difficulté de communication du début, qui est mit en exergue par les plans larges et fixes, on arrive peu à peu à des plans plus intimistes avec des prises de vue très mobiles, qui montrent comment ces trois êtres vont se trouver et se souder pour faire face à la perte de celle qui faisait lien entre eux.

John Cusack est dans un de ses meilleurs rôles. Loin de ses sempiternels personnages de séducteurs, il est ici complètement métamorphosé en chef de rayons, renfermé et introverti. Empêtré dans ses interrogations et ses contradictions psychiques, il l’est aussi dans son physique et dans sa démarche légèrement boiteuse, au point même de piéger les critiques « Si empâté que ses jambes frottant l’une contre l’autre l’empêchent de marcher » Libération, 28 mai 2008.

« À l’écriture, j’ai veillé à ce que Grace is gone ne devienne pas un film polémique, un tract anti-guerre. Je souhaitais poser des questions, et non apporter des réponses. » Jim Strouse

Pari réussi pour le jeune réalisateur qui livre un film intelligent, grave, traitant d’un sujet douloureux avec brio et sans jamais tomber dans l’écueil du mélo.

A noter la remarquable prestation de Shélan O’Keefe, très jeune actrice à suivre et la musique de Clint Eastwood qui se fond totalement et avec bonheur dans l’esprit du film.

[1] Il serait intéressant d’analyser plus profondément la réaction de la société vis-à-vis de ses soldats depuis la Seconde guerre mondiale. L’interdit du meurtre fait partie des trois interdits fondamentaux qui permettent la survie du groupe humain, avec celui de l’inceste et celui de l’anthropophagie, la transgression de ces lois symboliques amenant la disparition du groupe et la mort réelle ou psychique de l’individu.

En cas de guerre, le groupe lève l’interdit pour quelques individus à qui l’on délègue le droit de défendre la survie des autres. Pour ces individus qui transgressent une des lois fondamentales, il n’y a de survie psychique qu’à travers la reconnaissance du groupe. Or depuis la moitié du XXe siècle, les soldats à la fin des conflits sont rejetés par le reste de la société (Algérie, Vietnam, Afghanistan, Irak). Ce qui explique les pathologies de traumatisme chez ces anciens combattants et leur impossibilité de réadaptation à la vie sociétale.

Fiche technique

Genre : drame

Durée : 92 minutes

Sortie : 28 mai 2008

Avec John Cusack, Alessandro Nivola, Gracie Bednarczyk , Shélan O’Keefe, etc.