De Lucy à Betty…

La genèse de cet article remonte à la vision un après-midi d’un épisode culte de la série I love Lucy, vous savez cette série en noir et blanc ou l’on nous raconte les déboires de cette épouse drôle, tendre et gaffeuse qui attend tranquillement son mari à la maison… et qui n’arrête pas de se mettre dans des situations inextricables. Je me suis alors demandée si dans les années 50, il existait d’autres séries mettant en scène des femmes. Et là, soudain, se dessine l’évolution de la femme au cours des 50 dernières années, mais attention seulement aux Etats-Unis.

1) 1950

En effet, parce que si nous regardons les séries des années 1950… aucune autre femme ne porte un programme sur les épaules… aucune. Seule Lucy, pétulante, séduisante, clown aux mimiques désopilantes et surtout épouse qui s’ennuie chez elle à attendre le retour de son mari (à la ville comme à la scène) est devenue une icône de la télévision américaine. Nous sommes dans l’après-guerre… Après avoir demandé aux femmes de construire des avions, de travailler aux champs, de faire toutes sortes de métiers réservés aux hommes pendant cinq ans, voilà que ces messieurs revenus, on leur demande de retourner au foyer élever les enfants et faire la cuisine.

C’est ce malaise et cette insatisfaction que pendant près d’une décennie, Lucy va montrer chaque semaine à la télévision américaine. Commençant comme chorus girl, beauté en papier glacé, chanteuse et danseuse à la dizaines d’apparitions dans des comédies musicales dans les années 30, Lucille Ball fera évoluer la femme, osant exposer son personnage Lucy enceinte et accouchant, inacceptable dans les années 50, et productrice avisée, rachètera les studios RKO en 1957… Une étonnante, brillante femme d’affaires mais surtout une actrice géniale !

2) 1960

La libération de la femme est portée… par Samantha, notre sorcière bien-aimée. Et oui, toujours le même topo : elle est chez elle, épouse et mère, mais grâce à ses pouvoirs, arrange les affaires de son publiciste de mari, plus futée que lui, plus courageuse que lui. Les particularités étonnantes de Samantha lui permettent de nous montrer que « cette minorité » est capable d’agir comme un homme. Alors, comme pour vite créer un rempart à cette intelligence qui n’ose pas encore s’affirmer, les garces ou les innocentes à secourir nous envahissent. Elles pullulent dans chaque épisodes des Mystères de l’ouest

Et voici, l’arrivée des femmes à poigne, symbolisées par des actrices mythiques de l’âge d’or hollywoodien, comme pour nous montrer que NOUS AUSSI, on a du caractère, mais en 1960 c’est parce que l’on est exceptionnel, telles : Endora, la mère de Samantha (Agnès Moorehead) ou encore Victoria Barclay (Barbara Stanwick) dans la Grande Vallée et Lisa Douglas (Eva Gabor), dans Les arpents verts. De timides avancées se font jour lorsque nous voyons pour la première fois la secrétaire de Mannix, Gail Fisher première actrice noire récurrente de la télévision, ou encore, pendant une seule saison, Annie (les débuts de la toute jeune Stephanie Powers) spin-off des Agents très spéciaux.

Mais dans nombre de séries, les femmes n’ont qu’un rôle de potiches quand elles sont récurrentes, qu’il faut souvent remettre dans le droit chemin, qui se trompent (mais pourquoi tombent-elles toujours amoureuses du bad boy que les héros démasquent avec un final ou elles pleurnichent dans les bras du gentil qui soupire en tapant dans leur dos ?), que ce soit dans L’homme de fer, Star Trek, le Virginien, Bonanza, Chapparal, la seule exception étant la série qui détonne, en avance sur son temps : Mission impossible. Dans la série des années 80 qui revisite cette décennie, on ne s’y trompe pas puisque seuls des garçons sont les héros des Jours heureux, la maman dépassée imite coiffure à l’appui Lucy, et la petite soeur insupportable n’est qu’un désagrément pour eux…

3) 1970

Youpi ! la révolution sexuelle est passée enfin par l’Amérique… et soudain, la femme sort de sa cuisine, non pour sauter dans le lit, mais s’asseoir devant un bureau… Elle bosse, mesdames et messieurs !

Cette décennie est dominée par une figure totalement inconnue du spectateur français, Mary Tyler (Mary Tyler-Moore), co-productrice d’un journal d’informations d’une station de télévision locale, à Minneapolis et ses aventures qui font plus pour l’avancée de la cause de la femme que n’importe quelle loi. De même, la femme est contestataire de gauche dans l’étonnante (et inédite en France) satire sociale qu’est la série All in the family, elle trompe son mari, met au monde un fils qui n’est pas de son époux ou divorce dans le très amusant Soap… Ah elle boit aussi, n’est-ce pas Sue Ellen (Dallas) ? Et soudain, elle prend le pouvoir mais qu’elle est ignoble dans Dynastie, Côte Ouest ! la femme se dévergonde, ouh la vilaine !

Mais attention, elle exerce un métier d’homme aussi ! Dans Drôles de dames, voici les trois pin-ups qui montrent qu’elles sont capables de se battre comme des hommes, de trouver les méchants comme les hommes, et d’avoir des copines… heu, comme les hommes ? Dans M.A.S.H., tout le monde se souvient du personnage de “Lèvres en feu” (Loretta Swit), ah oui mais elle n’est qu’infirmière hein, ce sont les hommes qui sont docteurs… Dans un registre plus sérieux (plus sombre et plus intéressant) le Sergent Anderson est un flic… comme les hommes. Et quand en plus, elle est interprétée par la sublime Angie Dickinson, que demander de plus ? Et bien, tout simplement que leurs chefs de soient pas des hommes…

Pourquoi Super Jaimie a-t-elle plus de problèmes existentiels pour se trouver un petit ami que Steve Austin ? Vous ne trouvez pas qu’elle s’amourache de tous les beaux passagers cette gourde de Julie dans La croisière s’amuse ? Ou sont les femmes dans Starsky et Hutch, les rues de San Francisco, Kojak ? Avez-vous seulement vu dans la série Colombo (et non dans le spin-off) l’ombre de Madame Colombo ?

4) 1980

La voici… ni inférieure, ni supérieure (garces de manipulatrices !!!), notre Maddy Hayes (Cybill Shepherd) va soudain se lancer dans un affrontement égalitaire avec son David Addison (Bruce Willis) dans l’excellentissime Clair de Lune. De même, les deux héros discutent, s’affrontent et s’aiment dans le fameux bar de Cheers. Elle est aussi bonne avocate que ses confrères dans La loi de Los Angeles, et docteur au même titre que les autres dans l’attrayante série médicale Saint-Elsewhere. Et quand son mari et elle travaillent, ce n’est pas évident d’élever deux enfants dans Quoi de neuf, docteur ?. La voici un flic comme les autres, deux femmes portant même une série sur leurs épaules dans Cagney et Lacey.

Soudain, la femme n’a plus besoin d’être une beauté fatale… grâce à ces deux flics aux mêmes problèmes que vous et moi. Apparaît alors Roseanne, obèse, avec des problèmes financiers et qui baisse les bras. Elle les relève quand elle s’appelle Kate Jackson, mère au foyer quelconque qui joue à l’agent secret dans Les deux font la paire. Qui mène ses enquêtes toute seule comme une grande ? Une chouette grand-mère, oui, la seule, l’unique, Jessica Fletcher dans Arabesque. ahhhh, les petites mémés, les chaînes n’hésitent plus à leur confier une série rien que pour elles : Les golden girls.

Les séries deviennent plus réalistes, on nous montre des femmes qui doivent se battre dans un monde d’homme, et justement pour mieux dénoncer ce fait, on les compte sur les doigts de la main dans Hill Street Blues (Capitaine Furillo), ou encore isolées lorsque ce sont des femmes d’affaires frayant avec un homme d’une classe sociale jugée inférieure comme dans Madame est servie. Cela touche à la satire qui dénonce le rêve américain avec la femme au foyer qui fume cigarette après cigarette dans Mariés, deux enfants. La voici donc devenue aussi bête que son homologue masculin…

5) 1990

C’est la décennie du grand passage… ou l’on retrouve soudain dans les séries l’originalité, la qualité, les dialogues, l’innovation, la construction… enfin tout ce qui fait qu’elles vont surpasser le cinéma. Ou se trouvent les femmes dans cette évolution ? Et bien, elles étaient les égales des hommes… tellement égales que leurs rôles devenaient interchangeables avec celui de nos mâles, maintenant, elles vont être aussi présentes, mais en plus différentes !

Elles ont leur série ! Murphy Brown (Candice Bergen), Cybill (Cybill Shepherd), mais aussi notre avocate qui ne sait pas ce qu’elle veut, Ally McBeal, ou encore notre tueuse de vampires préférées, Buffy, ainsi que Sabrina, l’apprentie sorcière, ou les sorcières plus confirmées de Charmed mais terminons par celle qui restera pour beaucoup la préférée de la décennie, Fran (Fran Dresher), Une nounou d’enfer.

On nous montre des couples, ou chacun a sa personnalité et cultive son jardin secret jonglant dans une difficile relation de couple, que ce soit dans Dharma et Greg, ou Dingue de toi ou encore Loïs et Clark (ouais, ça doit pas être facile tous les jours d’être mariée avec Superman, je vous le concède !).

Et même quand il n’y a qu’une femme pour trois hommes, elle tire son épingle du jeu, comme Julia Louis-Dreyfus à la forte personnalité dans Seinfeld, ou les trois amies de Friends. Sans oublier qu’elles continuent de bosser… docteurs, infirmières dans Urgences ou Chicago Hope, policiers et procureurs durs et intraitables dans tous les dérivés des New York District, mais quand elles travaillent, leur vie de famille en prend un coup comme pour Les dessous de Veronica.

N’oublions pas le retour aux sources de la mère méritante de famille nombreuse qui supporte tout vaillamment à l’aide son mari et de la religion, (c’est la fin de l’ère Clinton, vive Bush !) avec Sept à la maison, ou se débrouillent pour survivre avec l’aide des grands frères après la mort de leurs parents dans un déluge de larmes dans La vie à cinq. On vous montre même comment vivre en couple, quand chacun des deux héros a trois enfants de son côté dans Notre belle famille… ou encore les anges du bonheur qui nous abreuvent de sirop, au point d’en attraper une crise de foie.

6) 2000

Ah… petit retour à l’ordre moral qui se confronte avec la provocation la plus éhontée (oh les petits chenapans… rien ne les arrête !). A ce jour, avec la grève des scénaristes, les maisons de production en ont profité pour faire cesser ce qui leur semblait dangereux, pour qui, pour quoi ? L’avenir nous le dira.

D’un côté, nous sommes passés des quatre trentenaires qui travaillent et cherchent l’âme soeur de Sex in the city à nos quatre femmes à la maison et pas spécialement heureuses de l’être, Desesperate housewives. Ou est la solution ? Justement, la réponse semble être, il n’y en a pas, débrouillez-vous pour tirer votre épingle du jeu ! Ah, elle travaille, entre sa mère, ses frères, sa fille, ce n’est pas la joie pour le juge Amy… Et c’est loin d’être évident d’être une femme et travailler à la maison blanche dans West Wings, comme se plaignent toutes les personnages féminins. Nous retrouvons ce thème récurrent dans The closer ou l’héroïne (Kyra Sedgwick) doit faire tout le temps ses preuves, ou dans Cold Case ou la jeune enquêtrice (Kathryn Morris) se sent obligée de garder une maîtrise parfaite dans toutes les situations, sans oublier Candice Bergen qui a fort à faire pour lutter en toute égalité avec notre “Dennis Crane” dans Boston Justice. Et que dire de la pauvre Sydney Bristow (Jennifer Garner) dans Alias, qui non seulement se retrouve agent double, mais qui en plus ne sait pas qui de sa mère ou de son père souhaite la tuer ! Figurez-vous qu’il arrive le même problème à l’héroïne de Tru Calling.

De l’autre côté de la barrière, des séries comme Gilmore girls ou trois générations de femmes se confrontent avec pour chacune, l’idéal de la décennie qu’elle représente… Il y a aussi Joan qui discute avec Dieu, on se pose bien quelques questions mais cela reste gentillet. Quand on est Médium, on embête toute la famille, n’est-ce pas Patrica Arquette ? Tout au long de la série on plaint mari et enfants à qui l’on trouve beaucoup de mérites de supporter cela. Hop, débarque celle qui a traversé la planète, Ugly Betty, moche et surtout présentée comme moche, victime mais fière de l’être, méritante qui arrive à s’en sortir, hein ! (soyons optimistes tout de même). Dans un autre genre, mais véhiculant en fait les mêmes stéréotypes, nous accueillerons bientôt les filles futiles de Gossip Girl, symboles d’une jeunesse dorée américaine… et survient la garce de service, Couteney Cox qui reprend du service dans Dirt. Intéressant d’ailleurs de constater que l’on adorerait épouser les odieux Docteur House, ou Sharks alors qu’on demanderait bien à Buffy de revenir vite fait bien fait planter un pieu dans le coeur de Courteney Cox !

C’est peut-être là que ça coince… les hommes restent séduisants même si ce sont des salauds (n’est-ce pas messieurs les chirurgiens esthétiques de Nip/Tuck), alors que le personnage d’avocate manipulatrice qu’interprète magnifiquement Glenn Glose, est insoutenable de méchanceté dans Damages et m’a fait quitter la série au bout du troisième épisode… Pourquoi ne leur donne-t-on pas le même ton décalé, et l’humour qui nous attire chez les hommes ? Pourquoi ont-ils, eux, une petite lueur de vulnérabilité au coin de l’oeil, et pas elles ?

Bon… au final, il y a encore du travail à faire à Hollywood !