Le figurant – Avis +

Résumé de l’éditeur :

 » Si vous vivez dans le passé ou le futur, n’insistez pas. Vous ne ferez jamais un bon figurant. » Pour le narrateur du roman, le cinéma, ce ne sont pas les grandes stars… celles qui hantent vos nuits blanches. Non, pour lui, ce sont ceux qui sont derrière, qui animent l’image, qui remplissent les décors pour donner l’illusion de la vraie vie. Et c’est ainsi qu’il est devenu un élément de ce petit monde qui imprime discrètement la pellicule, anonyme, toujours présent, indispensable. Sa vie elle-même est figuration; il est transparent aux yeux des autres, à son propre regard. Jusqu’au jour où un meurtre est commis sur un tournage. Une étrange jeune femme s’installe chez lui, sa mère lui avoue un secret familial, une comédienne promise à un bel avenir s’attache à lui… Peu à peu, les pièces du puzzle s’ajustent. Un titre hommage à Buster Keaton pour un roman burlesque, sentimental et policier où les arrière-plans sont des miroirs qui ne demandent qu’à être traversés.

Avis de Marnie :

Ne cherchez pas un récit réaliste sur le petit monde du cinéma ou une histoire pittoresque avec en arrière-plan, des personnages façon Almodovar, hauts en couleur, aux effets dramatiques et passionnés. Ce figurant là a tout d’un hommage poétique au cinéma muet et plus spécialement comme il est dit en quatrième de couverture, au grand Buster Keaton… Non, pas à ses films, malgré ce que l’on pourrait croire en lisant le titre, mais surtout une évocation du personnage lunaire au visage sans expression, aux yeux éteints, au teint blanc, subissant les évènements avec une retenue douloureuse, presque tragique.

Ce roman est construit comme un film, et nous passons de plan en plan sans qu’il y ait même de conclusion à la scène, simplement les couleurs et sensations se mêlent, et qui partent un peu dans tous les sens, comme le font les rêves… C’est cette construction qui fait son charme, mais peut-être aussi ce qui nous empêche d’éprouver une réelle empathie pour les personnages ou même l’histoire. Si l’on est cinéphile, on apprécie les clins d’œil et aussi la démarche. Qui n’a pas une seule fois regardé l’arrière-plan, oubliant les héros pour se focaliser sur une silhouette inconnue qui se fond dans le décor, comme une pièce rajoutée, un meuble qui soudain prend vie ? Un être au plan présent, qui n’a ni passé, ni avenir…

C’est ainsi que se dépeint le narrateur lui-même : «Le figurant parfait ne s’ennuie jamais. Le figurant parfait n’est jamais impatient parce que le figurant parfait se contente de vivre le moment présent. C’est à ce prix qu’il imprime la pellicule de cinéma juste comme il faut. Si vous vivez dans le passé ou le futur, n’insistez pas. Vous ne ferez jamais un bon figurant.»

Le Personnage principal qui narre ce qu’il ressent à la première personne, n’a pas de nom. Il dit lui-même qu’il ressemble à Buster Keaton et devient de plus en plus blanc, de plus en plus effacé, de plus en plus transparent, fondu parmi les figurants, puis dans le décor, au fur et à mesure que les évènements plus ou moins étranges se déroulent : ainsi, entre cette fille qui vient soudain habiter chez lui pour mourir et qui semble renaître à la vie lorsque notre héros lui fait faire de la figuration, son refus d’être connu, reconnu, même identifié par ses voisins, son entêtement à décevoir ses parents en se focalisant dès sa première expérience de spectateur sur ceux dont on ne saura jamais qui ils sont, et enfin son obstination passionnée à ne pas devenir célèbre, contrariant celle qui pourrait devenir la femme de sa vie, le narrateur perd peu à peu son identité, la notion du temps qui passe, de ce qui est réel ou ne l’est pas. Comme Alice qui serait de l’autre côté du miroir, l’action soit la résolution du meurtre de l’actrice principale du film dans lequel il tourne, est décrite paradoxalement en arrière-plan. Qui sont les suspects ? Les figurants du film.

Le héros refuse de devenir célèbre, de s’engager, d’entrer dans la vraie vie et donc disparaît peu à peu. Nous pensons beaucoup au très bon film méconnu d’Yves Robert, Salut l’artiste avec Marcello Mastroianni et Jean Rochefort, tous deux figurants dans les films, continuant leurs conversations entre amis, parlant de leur vie alors que la caméra se focalise sur les acteurs principaux, oubliant ces deux êtres qui perdent toute substance, empêtrés dans leur vie, effectuant leur métier sans passion, attendant d’être enfin reconnus, mais sans conviction, et surtout interprétés par deux des plus grands comédiens de leur génération, l’image de ces inconnus destinés à le rester étant soudain représentée sous les traits d’acteurs à la renommée internationale. Le fait ici de faire ressembler le héros à un des plus grandes figures du muet, aujourd’hui oublié, mais toujours impassible, absent, le regard vide, se confronte avec l’image même de la célébrité. Existe-t-on que parce que l’on est connu ? Que l’on a du succès ? Ou tout simplement n’existe-t-on qu’à travers des yeux des autres ? Ce sont eux qui vous font exister ?

C’est bien entendu une réponse toute onirique qui nous est donnée, l’auteur tentant le plus souvent avec succès, mais quelque fois avec quelques effets faciles, de nous emporter dans cette fable… Là encore, un autre film nous vient à l’esprit, pour décrire ce non-sens, cette atmosphère de rêve éveillé, ces personnages étranges, souvent touchants mais seulement ébauchés, qui n’ont ni passé, ni avenir… le roi de cœur de Philippe de Broca, ou les pensionnaire d’un asile d’aliénés avaient pris possession d’une ville désertée et déambulaient… Ce roman se lit également comme une jolie histoire de cœur, ou le héros se transforme par amour pour sa belle ! Une écriture soignée et posée ou la tendresse pour le septième art transparaît, par petites touches distanciées. Un agréable et harmonieux exercice auquel il manque juste une pointe de sensibilité !

Biographie de l’auteur

Claire Vassé est l’auteur d’un premier roman, Bientôt la bête sera morte (Seuil, 2006), d’un essai, Le Dialogue : du texte écrit à la voix mise en scène (Cahiers du cinéma, 2003), et de deux ouvrages d’entretiens, Corps amoureux, avec Catherine Breillat (Denoël, 2006), et Serrer sa chance, avec Claude Miller (Stock, 2007).

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 219
Editeur : Editions du Panama
Sortie : 3 janvier 2008
Prix : 18€