Le rapport de Brodeck – Avis +

Résumé

Le lieu : un petit village au cœur d’une région montagneuse fictive, dont l’auteur a inventé le dialecte.

Le temps : une après- guerre.

L’histoire : elle débute par le meurtre collectif d’un étranger, De Andere, l’Autre. Le village va forcer le narrateur, Brodeck, à faire un rapport pour que cet acte soit compris et pardonné.

Pourquoi lui ? Parce qu’il a étudié à l’université (il envoie des notices à l’administration sur la faune et la flore), qu’il a une machine à écrire et surtout qu’il n’était pas présent lors de ce crime.

Brodeck commence alors, à écrire la vie de De Andere, cet homme de passage, bizarre et doux qui était différent et par là même si proche, ce double de lui-même qui l’a amené à ouvrir son âme, cet artiste qui peignait des portraits renvoyant à chacun son image… mais les miroirs ne peuvent qu’être brisés dans une communauté qui cache de lourds secrets.

L’enquête sur la mort de l’Autre fait remonter en parallèle les souvenirs de sa propre vie, la venue des soldats, la collaboration du village, sa désignation comme victime expiatoire car « étranger » et sa déportation.

L’écriture ou la vie a écrit Jorge Semprun, et Brodeck peut enfin mettre des mots sur l’indicible qu’il a vécu : le camp, les brimades, les tortures, les humiliations qu’il a endurées parce qu’il voulait vivre, parce qu’il voulait retrouver la femme qu’il aimait. La peur aussi, la peur surtout, la peur dont il n’est toujours pas parvenu à se défaire. Ils n’étaient plus des hommes, que des riens, des riens livrés à la mort. Les gardiens l’appelaient Chien brodeck, lui mettait un collier, une laisse. Les autres prisonniers refusaient de faire le chien ; ils sont morts ; lui est vivant. Il a choisi de vivre ces souffrances comme une punition car pendant le transfert au camp il a volé de l’eau à une jeune mère et il se sent à jamais responsable de sa mort et de celle de son bébé.

Quand Brodeck repense au meurtre de De Anderer, il se demande quelle aurait été sa réaction s’il avait été présent. Serait-il intervenu au risque de se faire tuer aussi, ou aurait-il laissé faire par lâcheté ? Il réalise alors, que la peur peut transformer en bourreau et que c’est la peur et non la haine qui l’ont désigné comme victime.

Au final, les villageois brûleront son rapport pour oublier et Brodeck quittera le village car pour lui la mémoire est la condition vitale de l’humanité.

Avis de Enora

Ce roman est le dernier d’une trilogie, le premier Les âmes grises explorait la guerre 14/18, le second La petite fille de Monsieur Linh, le génocide khmer et Le Rapport de Brodeck aborde cette fois le nazisme et la Shoah sans jamais les nommer.

Philippe Claudel nous dit que « ce livre s’est construit sur l’observation d’une société qui ne tolère pas l’autre, l’étranger, celui qui est différent ». La Vie, interview du 22.08.2007

Son personnage Brodeck est le bouc émissaire de cette société depuis son plus jeune âge et pourtant c’est un poète, un être rempli d’amour qui ira jusqu’à frôler l’idée du pardon vis-à-vis de ses bourreaux. Il incarne la culpabilité de toute une communauté, et paradoxalement comme beaucoup de survivants des camps, il se sent coupable d’être vivant. C’est la mémoire justement qui donne un sens à sa vie, parce qu’ainsi les morts vivent à travers lui.

Brodeck est à sa manière un prophète au sens étymologique du mot c’est-à-dire quelqu’un dont la parole éclaire ce qui se passe… or les prophètes, il arrive qu’on les sacrifie. D’ailleurs l’auteur nous explique que ce nom s’est imposé à lui « Brodeck est celui qui brode des histoires et en même temps, le K donne à entendre quelque chose comme une coupure, une crucifixion ». La Vie, interview du 22.08.2007

Philippe Claudel nous montre aussi à travers ce roman le danger de la pensée de groupe qui engendre la pression de la conformité, l’ostracisme et l’illusion d’une supériorité morale. Il dévoile aussi comment un individu pris dans un tel phénomène peut arriver à prendre des décisions irrationnelles et totalement contraires à ce qu’il est. Ainsi, Diodème, se suicidera après avoir écrit à Brodeck, une lettre dans laquelle il lui demande le pardon pour s’être laissé entraîner, n’avoir pas su résister à la pression des autres. Diodème, ça sonne un peu comme Diogène, ce philosophe cynique qui se promenait en plein jour avec une lanterne allumée et qui expliquait « Je cherche un homme ». Et si cet Homme c’était Brodeck ? Et à travers Brodeck tous ceux qui se souviennent et qui témoignent ?

Philippe Claudel nous confie que pour lui l’écrivain n’est qu’un veilleur, qui se réinocule quelque chose (la mémoire) pour combattre le mal, et à travers une écriture très élaborée, alternant conte, parabole et poésie, il nous emporte grâce à son humanisme vers ce devoir de mémoire.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 400
Editeur : Stock
Sortie : 22 août 2007
Prix : 21,50 €