Le cimetière des poupées – Avis –

Présentation de l’éditeur

« Fiction ou fait divers ? Du fond de son cachot, une femme se souvient de la lente descente aux enfers qui l’a menée à l’irréparable : tuer son enfant »

Avis de Enora

Je n’avais jamais eu, jusqu’à maintenant, le désir de lire les œuvres de mademoiselle Pingeot, mais j’avoue avoir été interpellée par le sujet de sa nouvelle fiction. Je me suis interrogée sur ce qui pouvait pousser une jeune femme, au passé d’enfant clandestin et qui vient d’être mère, à écrire sur l’infanticide ? Est-ce un coup médiatique ? L’opportunité de profiter d’une publicité indirecte de l’affaire Courjault ? D’ailleurs la réaction ne s’est pas faite attendre, car avant même que livre ne soit sorti, sur la simple juxtaposition des mots « infanticide » et « congélateur », une pétition a circulé en vue d’en interdire la parution pour protéger la famille et les deux enfants (vivants) déjà traumatisés.

Or, comme le dit Martine Laval dans Télérama : « Mazarine Pingeot, en romancière, ne raconte pas l’histoire de cette famille en particulier, elle fait acte total de fiction. Depuis la nuit des temps, les écrivains s’inspirent de la réalité, notamment des faits divers…. impossible de ne pas s’inquiéter de cette tentative d’atteinte à la liberté d’écrire, de publier »

Peut-on publier une fiction sur un sujet d’actualité, humainement dérangeant ? Et c’est LE point positif du roman de Mazarine Pingeot, je lui reconnais le courage d’avoir abordé ce sujet difficile qui nous rappelle « la complexité insondable de l’esprit humain et également l’intrication étroite entre la barbarie apparente et la souffrance » comme l’explique le Dr Paul Bensussan (Le Monde, 18 octobre 2006)

Le livre

De sa prison, ou elle se laisse mourir de faim, une femme écrit une longue lettre à son mari où elle parle de son enfance, de ce père qu’elle n’a pas connu, de cette mère qui ne l’a pas aimée, de la monstruosité qu’elle sentait en elle : « J’avais pris peur de moi-même… c’étaient mes Barbie qui en prenaient pour leur grade et elles portaient toutes mon nom… Ken les violaient, je les retrouvais mortes, les cheveux emmêlés, dans le terrain vague qu’était mon bac à sable… Je me dis aujourd’hui que si j’avais cessé de vivre enfant, ma mère m’aurait aimée »

Il n’y a qu’auprès de sa grand-mère qu’elle trouve un peu d’affection ; il y a un très beau passage ou la vieille dame lui explique qu’elle garde toujours contre elle un mouchoir que son mari lui avait offert et que de cette façon ils continuent à être ensemble malgré la mort. Elle coupe le mouchoir et lui en donne la moitié pour qu’à sa disparition, en réunissant les deux morceaux de tissu , elle la sente ainsi toujours présente à ses cotés. Malheureusement sa mère ne la préviendra pas de la mort de sa grand-mère et elle vendra toutes les affaires « l’autre bout de mouchoir, je ne l’ai jamais revu, pas plus que la tombe de ma grand-mère »

Plus tard, elle rencontrera l’homme qu’elle va épouser et qu’elle ne cessera d’aimer. Un amour dés le départ basé sur un rapport pervers dominant/dominé, car elle n’a jamais su départir l’amour de la peur, elle n’aime que ce qui la terrifie.

Tout va se dégrader avec la naissance de leur premier garçon. Son mari ne supportera pas de la voir si heureuse dans la plénitude de la grossesse, il va nourrir une rancœur, une jalousie vis-à-vis du lien qu’elle tisse avec ses enfants et commence alors un cauchemar quotidien. Il va la harceler jouant sur son complexe de culpabilité « petite, je savais déjà que j’étais coupable », la remettant inlassablement en question dans son rôle de femme, d’amante, de mère, d’être humain. Il ne supporte pas que les enfants pleurent, jouent, aient des amis, aiment leur mère. Il ne supporte pas que les membres de sa famille existent en dehors de lui.

Quand elle se retrouve une nouvelle fois enceinte, elle refuse de soumettre ce bébé qu’elle aime à la tyrannie de son mari. Elle ne cherche pas à avorter car déjà dans son esprit la folie s’installe « Tu es contre l’avortement, moi aussi. Comment peut-on, dans le ventre arracher la vie… il n’y a que celui qui aime qui peut donner la mort, parce que c’est encore donner, et non enlever, retirer et punir ». Elle cachera cette grossesse à ce mari qui la regarde si peu, et elle étouffera le nouveau né par sentiment de toute puissance, pour le garder à elle, rien qu’a elle dans ce qu’elle pense être l’amour le plus absolu que rien n’entachera, surtout pas la vie et la pureté d’un lien que personne ne pourra briser ; elle le conservera dans le congélateur pour se venger de son mari « je l’ai mis dans ta maison… parce que un jour tu sauras, tu sauras le secret dont tu es responsable mais dépossédé »

L’auteur décrit parfaitement le cheminement psychologique de cette femme, un peu trop parfaitement, un peu trop logiquement un peu comme une thèse psychiatrique « L’infanticide ou le suicide du double ». Est-ce de là que vient le manque d’émotion en tant que lecteur ? Avec un sujet pareil, on pourrait s’attendre à ressentir de la compulsion ou de la répulsion vis-à-vis de cette femme, ça touche quand même à ce qu’il y a de plus profond et de plus refoulé chez l’être humain. Mais, non, rien qu’une sensation de longueur et d’ennui profond dont on émerge que deux ou trois fois au cours du récit. C’est dommage…

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 155
Editeur : Julliard
Sortie : 16 août 2007
Prix : 17 €