Interview de Val McDermid

Onirik : Pour mieux vous connaître, pourriez-vous nous dire s’il y a plus de Karen le policier ou de Bel la journaliste [[personnages féminins principaux de « Sans laisser de trace – A darker domain »]] en vous ?

Val McDermid : Je ne pense pas que ces deux femmes sont vraiment proches de ma personnalité, mais je suppose qu’elles ont toutes les deux quelques points communs avec moi, notamment dans leur façon de mener des enquêtes.

En fait, vu mon métier, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de gens de milieux différents. J’ai comme une énorme base de donnée dans mon cerveau et mes personnages représentent un peu le mélange de tout cela, à l’exception des cannibales qui sont plutôt issus de mon imagination ! (rires…)

Onirik : Quels sont les auteurs qui vous ont le plus influencée ?

Val McDermid : On peut dire que j’ai été influencée par Robert Louis Stevenson, un écrivain écossais, célèbre auteur de L’Île au trésor, un des plus grands romans d’aventures, mais aussi de Docteur Jekyll et Mister Hyde, roman beaucoup plus noir et plus profond. Non seulement le récit est passionnant, avec un style et une très belle écriture, mais quand vous lisez et relisez Stevenson, vous allez au-delà du texte que ce soit la construction ou la narration.

Je pense que le livre qui m’a appris comment écrire était L’Île au trésor. Cela a été vraiment une découverte fondamentale pour moi. Ruth Rendell est aussi quelqu’un qui a beaucoup compté, car elle est capable d’écrire toutes sortes de livres, du roman policier comme ceux qui mettent en scène le commissaire Reginald Wexford, mais également ceux écrits sous le pseudonyme de Barbara Vine, non seulement pour l’intrigue mais surtout pour la psychologie, l’état d’esprit et le caractère des personnages. Sara Paretsky [[qui a créé le personnage féminin du privé V. I. Warshawski]] est également un écrivain important pour moi. Quand j’ai lu pour la première fois un de ses romans, j’ai été enthousiasmée par sa façon de décrire une héroïne féminine que je pouvais comprendre. Cela m’a permis moi-même d’imaginer et de décider quel genre de livre j’aimerais en fait écrire.

Onirik : Dans le domaine du thriller, quelle est pour vous la différence entre la « british touch » et la « patte » écossaise ?

Val McDermid : Je pense qu’il y a quelque chose de très spécifique dans le ton des romans écossais. Historiquement, les Ecossais ont en fait été très marqués par la Réforme et le calvinisme. Il y a toujours cette notion qu’il y avait les damnés d’un côté, les élus de l’autre. Il existe en fait deux facettes pour nous, l’une noire et répressive avec la notion du péché, et l’aspect gaélique très joyeux où l’on fait des fêtes en buvant du whisky. Il y a donc toujours ce mélange d’analyse psychologique, de noirceur humaine et de traits d’humour, comme si seul le rire pouvait éclaircir ce côté particulièrement sombre. Et quand les choses vont mal, nous plaisantons !

Onirik : Paraissent en même temps, en poche, Sous les mains sanglantes, l’avant-dernière enquête de Tony Hill et Carol Jordan, avec comme arrière-plan l’hystérie et l’urgence provoquée par une attaque terroriste, et en grand format Sans laisser de trace qui relate les grèves très dures qui ont entraîné une crise du syndicalisme et la misère les mineurs britanniques en 1984. Qu’est-ce qui vous a fait passer de l’insécurité, la politique et les problèmes des minorités, à la révolte économique sociale ?

Val McDermid : C’est seulement l’écriture d’un livre après l’autre. Je pense que c’est le travail d’un écrivain de parler des problèmes de notre temps. Suivant les histoires, je développe différents aspects des us et coutumes de notre société, mais aussi je me dois de critiquer les endroits dans lesquels nous vivons. C’est l’histoire qui est primordiale, car sans intrigue, personne ne lira le livre, et c’est l’histoire qui est le cœur du roman, et c’est aussi l’histoire qui permet de développer la critique sociale.

Onirik : Très souvent dans vos romans, vous menez parallèlement deux enquêtes. Dans certains cas, elles se rejoindront (comme dans Sans laisser de trace et pour d’autres, les conséquences de l’une influeront le final de l’autre comme dans La fureur dans le sang, Sous les mains sanglant. Quand vous commencez à écrire, toutes les pièces du puzzle sont-elles assemblées ?

Val McDermid : Quand je commence à écrire j’ai le plan en tête mais il me manque les détails. C’est quelque fois quand je suis au milieu de l’intrigue que soudain je ne sais plus ce qui va se dérouler ensuite. L’écrivain américain L. Doctorow compare l’écriture à la conduite d’une voiture de nuit avec les phares allumés. Vous ne pouvez pas voir tout le paysage ou votre destination, vous apercevez seulement ce que vos phares éclairent quand vous avancez, et au dernier moment les routes que vous croisez. Je choisis alors l’option du scénario qui rend le chemin plus intense mais tout cela se fait dans une sorte de folie.

Onirik : Êtes-vous satisfaite de la série La fureur dans le sang très appréciée en France, notamment des scénarios qui ne sont pas tirés de vos romans ?

Val McDermid : Je n’ai pas tout écrit, mais j’ai lu tous les scripts ; je suis consultante sur la série. Donc, j’ai un droit de regard sur tout les scénarios qui ne sont pas écrits par moi. Je pense qu’écrire déjà mes romans est suffisant. Ils ont vraiment fait du très bon boulot, même si le travail effectué par la télévision est différent. Cependant, ils ont gardé le ton de mes polars.

En fait, quand vous avez lu mon livre et que vous regardez un épisode, vous y retrouvez le petit quelque chose qui vous avait plu, et si vous avez vu la série et que vous vous plongez dans mes romans, vous reconnaissez l’atmosphère que vous avez appréciée.

Onirik : Comment définiriez-vous la relation complexe et évolutive de Tony Hill et Carol Jordan ?

Val McDermid : Difficile ! (rires…). Le problème pour mes deux héros, c’est qu’ils ont subi de lourds traumatismes, et que certaines choses ont été détruites en eux. Ensemble, ils se sentent en sécurité. Ils trouvent l’un pour l’autre, le réconfort que personne ne peut leur apporter. Petite révélation : leur relation va continuer d’évoluer dans le prochain livre de la série, car ils vont se retrouver dans une situation dramatique et un endroit dangereux, mais je précise, qu’il n’y aura pas de « happy end » (rires…)

Onirik : Le ressenti des minorités est un thème qui semble vous tenir à coeur. Dans votre série « Tony Hill et Carol Jordan », et notamment dans Sous les mains sanglantes vous évoquez les problèmes liés à l’intégration des minorités pakistanaises dans un contexte actuel politique difficile. De plus, vous mettez en scène non pas une mais deux femmes policiers homosexuelles, Chris et Paula, d’âge, de caractère différents, possédant des « revendications » différentes. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Val McDermid : Je veux parler de n’importe qui, pas seulement de la classe moyenne ou des minorités. Le monde dans lequel nous vivons est constitué de gens de tous horizons et de toutes origines, avec un ressenti différent. Je veux juste parler de tous ces gens qui m’entourent.

Onirik : Je crois que vous avez commencé à écrire votre premier roman policier en 1984, alors que vous étiez journaliste, soit au moment des grèves dont il est question dans Sans laisser de trace. Est-ce que vous étiez alors influencée par les évènements dramatiques qui se déroulaient à Kirkcaldy, sur la côte est de l’Ecosse, le village minier de East Wemyss où vous avez passé votre enfance et que vous décrivez dans votre roman ?

Val McDermid : Je n’ai jamais oublié d’où je venais, les gens de ma région, de mon village. Lorsque j’étais journaliste, j’ai été profondément touchée par ce qui s’est passé, les grèves, les pertes subies et les transformations radicales du paysage social comme les fermetures des mines, et l’influence dramatique que cela a eu sur les emplois.

J’ai su alors qu’un jour, je parlerai de tout ce ce traumatisme. Lorsque l’occasion m’a été donnée d’écrire une oeuvre de fiction, j’ai intégré tout ce ressenti. Mais si j’ai attendu, c’est qu’il me fallait exactement « la bonne histoire » pour cela. Et lorsque cette idée m’est venue, j’ai su que cela serait le support idéal pour raconter ce qui s’est passé.

Onirik : Vous soulignez très souvent, par toutes petites touches, les travers du monde sexiste dans lequel nous vivons. Ainsi, vous faites dire à Karen : « Quand une femme policier a une intuition, on dit que c’est l’instinct féminin, et quand c’est un homme, on applaudit sa logique« … Il semble que cela n’ait pas beaucoup évolué en vingt ans, qu’en pensez-vous ?

Val McDermid : Même si nous n’obtenons pas encore le respect que nous méritons, je peux affirmer tout de même que l’attitude des hommes a changé. Par exemple, de nos jours, ils ne pourraient plus se permettre de plaisanteries sexistes. Quand j’étais journaliste et que je travaillais pour un journal à Manchester, il y avait une centaine d’hommes et seulement trois femmes au bureau ! Maintenant, il y a tout de même beaucoup plus de femmes qui y travaillent et certaines ont des postes importants.

J’ai une anecdote : sur Sport Channel, l’un des deux présentateurs d’un match de football faisait des remarques très sexistes se croyant hors antenne, alors qu’il était enregistré. La conversation a été diffusée sur internet et il s’est fait virer. Il y a seulement dix ans, la direction l’aurait gardé en alléguant qu’il s’agissait juste d’une plaisanterie. Mais cette évolution est liée au fait que les spectateurs ne permettent plus ces dérapages qu’ils trouvent inacceptables. Seulement, il y a encore du chemin avant que tout nos droits soient respectés. Le combat n’est pas terminé !

Onirik : Karen Pirie est une héroïne particulièrement attachante. Elle est « bien dans sa peau », ce qui change un peu de certains personnages torturés, et ses relations tragicomiques avec son chef à qui elle dame le pion à chaque fois deviennent rapidement attendus par le lecteur. Y a t-il une chance que nous la retrouvions dans une nouvelle intrigue de « cold case » (dossiers classés sans suite) ?

Val McDermid : J’aime bien jouer avec les attentes du public, les attentes des lecteurs. Toutefois, dans mes thrillers, j’ai aussi envie de mettre en scène des caractères plus « normaux », pas seulement les cinglés, ou les borderlines. En y repensant, c’est vrai que Tony Hill et Carol Jordan sont pour le moins déglingués ! (rires…). Les gens « normaux » peuvent aussi permettre d’entraîner des réactions inattendues suivant les situations proposées. Et oui, pourquoi pas, c’est fort possible qu’un jour j’écrive une nouvelle histoire avec Karen Pirie.

Onirik : Quel est le thème de votre prochain roman ?

Val McDermid : Il s’agit d’une nouvelle enquête de Tony Hill et Carol Jordan. Nous allons revoir un des plus fameux méchants de la série, l’animateur de télévision Jack Vance [[lire la Fureur dans le sang]], et le contexte sera – je vous préviens – très très noir, puisque nos héros seront en prison…

Onirik : Merci beaucoup !

Val McDermid : You’re welcome !