Exhibitions, l’invention du sauvage – Avis +

Présentation officielle

Cinq siècles d’exhibitions et l’histoire incroyable de femmes, d’hommes et d’enfants exhibés comme des « sauvages » ou des « monstres ». Dans cet immense spectacle exotique, des millions de visiteurs sont venus les voir dans des zoos, des théâtres, des cirques, des villages reconstitués et dans le cadre des expositions universelles et coloniales. Ces zoos humains sont au cœur du regard de l’Occident sur le monde.

Avis de Claire

En à peine quelques années [[Le musée a été inauguré en 2006]], le Musée du Quai Branly, ou Musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, est devenu un pôle culturel incontournable à Paris. Le visiteur est happé par un jardin vert et touffu, véritable havre de sérénité au cœur de la Capitale, derrière lequel s’abrite le bâtiment imaginé par Jean Nouvel, imposant.

A l’intérieur, l’agréable balade se poursuit le long de la Rivière de mots, installation de Charles Sandison (2010) qui invite le promeneur à s’immerger dans un fleuve de 16 597 mots [[Ce sont tous des noms de peuples ou de lieux géographiques présents dans le Musée, comme autant de résonances de ce que le visiteur va pourvoir rencontrer]] en mouvement, projetés au sol à des rythmes et condensations variables, jusqu’au palier des collections.

L’exposition Exhibitions est à l’image de ce musée, passionnant, original et généreux. A travers une mise en image variée de l’altérité, son objectif est de montrer quel regard l’Occident a porté sur l’Autre : outil de propagande coloniale, objet d’étude scientifique ou encore moyen de divertissement. Les répercussions sont nombreuses.

Première exposition majeure, avec une approche internationale, sur ce que l’on désigne sous le terme de « zoos humains », Exhibitions, l’invention du sauvage s’attache à sortir de l’anonymat ces femmes, ces hommes, ces enfants, figurants, « bêtes de foire », acteurs ou danseurs, en dévoilant leurs histoires aussi diverses qu’oubliées.

Du point de vue historique, on peut dire que tout a commencé avec Christophe Colomb en 1492, lorsqu’il a ramené avec lui six Amérindiens, et l’on peut dater la fin de ce phénomène en 1958, année où a eu lieu la dernière exhibition à Bruxelles, avec un pic d’intérêt entre 1850 et 1930.

Parmi les figures les plus remarquables, celle d’Omaï le Tahitien, présenté à la cour du Roi George III en Grande-Bretagne. Il est connu pour avoir accompagné l’une des expéditions du capitaine James Cook. Pour lui, et pour beaucoup d’autres, les commissaires d’exposition Nannette Jacomijin Snoep, Pascal Blanchard et Lilian Thuram ont tenu à ce qu’un énorme travail de reconnaissance soit effectué.

Ces visages ont des noms. Ainsi, il ne s’agit, par exemple, plus seulement de « Venus Hottentote », mais de Saartje Baartman, jeune femme originaire d’Afrique du Sud. C’est donc bien évidemment l’identité qui prime, grâce à cette exposition tous ces anonymes malmenés à travers les âges ont enfin une histoire, un passé.

Quelques 600 œuvres sont ainsi proposées au regard des visiteurs qui sont invités à s’interroger sur l’altérité et à reconnaître les acteurs de ces exhibitions en tant qu’individus à part entière. Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants méritent de retrouver leur dignité.

Parmi les pièces les plus surprenantes, un carnet de reproductions de fragments d’épiderme (collections de la B.N.F. 1737), ou encore quelques témoignages d’exhibés à travers des souvenirs de descendants, de journaux intimes ou de récits de voyage, rares mais essentiels.

Le parcours s’organise autour de quatre axes : « la découverte de l’autre », où l’on contemple à travers des tableaux, des sculptures ou des gravures l’image de l’Autre. Ensuite « monstres & exotiques » nous confronte à la triste horreur des « cabinets de curiosités », zoos, foires et exposition coloniales qui traitaient l’Autre comme une sorte de « chaînon manquant ».

La troisième thématique, « le spectacle de la différence », nous fait pénétrer dans le milieu sordide des spectacles qui mettaient en scène les exhibés dans toutes leurs différences, ils devenaient ainsi acteurs de leur propre déchéance… Des miroirs déformants nous invitent à nous remettre aussi en question.

L’exposition continue dans une quatrième partie, « mises en scène raciales et coloniales », avec une iconographie d’affiches, de photographies de propagande, de cartes postales, vantant les mérites du colonialisme, ou de films d’archives.

Lilian Thuram, pour lequel une telle exposition s’imposait, insiste sur le fait que, de nos jours, la prévention du racisme passe avant tout par l’éducation. Pour lui, il faut également « avoir le courage de reconnaître ses propres préjugés et d’y réfléchir« .

Et cela commence tout simplement par le combat entre les inégalités entre hommes et femmes. Il cite volontiers l’anthropologue Françoise Héritier, « La question de l’inégalité des sexes est immensément politique. Ce modèle inégal est la nature de tous les autres régimes d’inégalités« .

Pour clore l’exposition, Lilian Thuram a choisi de mettre en lumière une installation de l’artiste Vincent Elka, où ce dernier donne la parole aux populations stigmatisées d’aujourd’hui, qui sont-elles ? Comment se définissent-elles par rapport à l’Autre ? Voilà qui nous pousse immanquablement à nous interroger sur nous-mêmes.

Une émouvante exposition à ne pas manquer ! Il était plus que temps de proposer une réflexion pour poser à plat les dérives du colonialisme, et de remettre en cause les frontières de l’altérité. Après tout, comme le souligne à juste titre Vincent Elka, « on est toujours à un moment donné l’autre de quelqu’un« .

Informations pratiques

Adresse : Musée du Quai Branly – 37, quai Branly – 75007 Paris
Mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h
Jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h
Tél. : 01 56 61 70 00