
Les deux co-réalisateurs du film d’animation Anzu, Chat-fantôme étaient présents lors de sa projection au Forum des Images lors de la reprise de la Quinzaine en salle !
C’est donc le 16 juin 2024 qu’on a eu l’occasion de participer à la rencontre avec Yoko Kuno, réalisatrice de film d’animation, et Nobuhiro Yamashita, réalisateur de films en prise de vue réelle.
Attention, certains éléments du film sont révélés dans cette session de questions-réponses.
Présentation du film
Anzu, chat-fantôme raconte l’histoire de Karin, 11 ans, abandonnée par son père chez son grand-père, le moine d’une petite ville côtière de la province japonaise. Celui-ci demande à Anzu, son chat-fantôme jovial et serviable bien qu’assez capricieux, de veiller sur elle. La rencontre de leurs caractères bien trempés provoque des étincelles, du moins au début… (sortie du film le 21 août 2024)
Question : Pouvez-vous nous dire ce qu’est un chat-fantôme dans la culture japonaise ?
Nobuhiro Yamashita : C’est une question difficile. C’est un peu compliqué d’expliquer, car au Japon il y a beaucoup de yokai, de créatures japonaises, d’esprits, il y a des parapluies-fantôme… Mais le chat-fantôme n’est pas une créature terrifiante. Je ne sais pas si j’ai bien répondu à la question.
Question : Concernant l’animation, vous avez dit que c’était un mixte entre des prises de vues réelles et de l’animation, et en tout cas, vous aviez chacun cette spécialité-là. C’est de la rotoscopie, est-ce que vous pouvez un petit peu expliquer comment vous avez travaillé ? Et qu’est-ce que la rotoscopie ?
Yoko Kuno : La rotoscopie est une technique qui existe depuis longtemps, par exemple, Blanche Neige de Disney a été réalisé ainsi. Cela consiste tout d’abord en un tournage de prises de vue réelles, puis on dessine sur ces images, images où il y a donc des acteurs qui ont joué les scènes. Par exemple le personnage de Anzu a été interprété par un vrai acteur humain et ensuite, nous avons dessiné sur ces images un gros chat.
Question : La particularité de ce film, c’est aussi que c’est une co-production franco-japonaise. Comment avez-vous fait pour travailler un pied dans chaque pays et comment s’est déroulé le travail avec les équipes ?
Yoko Kuno : Pour parler un peu de la genèse du projet, Miyu production, notre co-producteur français, aimait beaucoup mes films précédents, ils sont donc venus me contacter et m’ont dit qu’ils voulaient travailler avec moi. À ce moment-là, j’avais le projet de la production de Anzu, c’est pour ça que nous avons proposé qu’ils le coproduisent et c’est ainsi que le projet est devenu une vraie co-production. Au niveau du partage du travail, tout le décor a été créé par l’équipe française. Tous les personnages et ce qui est en mouvement, c’est l’équipe japonaise. Tout le travail est donc bien à 50-50.
Question du public : Tout d’abord des félicitations pour le film, par rapport à la rotoscopie, pour des personnages un peu grotesque comme Anzu, avez-vous seulement utilisé la rotoscopie ou vous avez utilisé d’autres techniques ? Je veux dire, il a des expressions exagérées, avez vous donc utilisé une autre technique pour cela ?
Nobuhiro Yamashita et Yoko Kuno : Anzu a vraiment été interprété par un homme, un humain et donc toutes les séquences avec ce personnage ont été réellement tournées, donc la base de ses mouvements proviennent vraiment de prises de vue réelles. Après, il y a des séquences, comme la course-poursuite avec les voitures, qui n’ont pas pu être tournées. Cette séquence a donc été entièrement fabriquée en animation. Après, quand on a travaillé l’étape de l’animation, on a parfois un peu exagéré les mouvements, les gestes, parce que si on reprenait uniquement les mouvements de l’acteur, ce n’était pas assez prenant, pas assez fort. Donc, parfois, pour donner la même impression, il fallait les exagérer.
Question du public : Par rapport au son, quand vous avez tourné les scènes en prises de vue réelles, étiez vous dans un studio, dans les environnements ou étiez vous à l’extérieur ? Parce que je voulais vraiment vous féliciter pour l’intégration du son, on se sent vraiment dans les mêmes espaces.
Nobuhiro Yamashita : 70% du son vient du son direct enregistré pendant le tournage de la prise de vue réelle. Après, parfois les conditions n’étaient pas réunies pendant le tournage, donc 30% des sons ont été enregistrés après.
Question du public : Vous avez dit au début qu’il s’agissait d’une adaptation d’un manga, je voulais donc savoir si c’était une adaptation au plus proche du manga et si vous nous conseillez de lire le manga ?
Nobuhiro Yamashita : On est vraiment restés fidèles à l’esprit de l’œuvre originale, mais après, on a inventé pas mal de choses pour le scénario du film. Par exemple, on ne trouve pas le personnage de Karin dans le manga ni sa mère, donc ils sont vraiment des inventions pour le film. Mais le personnage de Anzu, sa personnalité, son caractère ou ce qu’il se passe dans la ville, les descriptions du quotidien, ce sont des choses qu’on retrouve dans le manga d’origine.
Yoko Kuno : Mais vraiment, l’œuvre originale est extraordinaire et j’espère que vous allez découvrir ce manga.
Question : quelle est la scène qui a été la plus difficile à réaliser en termes d’animation ?
Yoko Kuno : Il y a une scène à la fin du film où Karin serre dans ses bras Anzu, c’était probablement la scène la plus difficile à réaliser. Tout d’abord ce plan dure assez longtemps et il y a aussi l’évolution de la psychologie de Karin, donc petit à petit il y a ses émotions qui apparaissent. Il faut donc exprimer ça à travers ses expressions, ses gestes, donc ça a été un grand défi pour l’équipe des animateurs et les directrices de l’animation.
Question du public : Moi, j’aurais aimé savoir comment vous avez travaillé à l’écriture tous les deux, notamment sur la scène avant d’entrer en Enfer et la blatte qui se balade ?
Nobuhiro Yamashita : L’écriture du scénario a pris beaucoup de temps, en fait elle a pris si ans. Parfois, on écrivait, parfois le temps passait, ça a pris six ans. Il y avait nous deux, mais aussi un scénariste avec lequel on travaillait. Ensuite, l’équipe française est arrivée en mi-production, donc on a de nouveau réfléchi ensemble sur le scénario, donc oui ça a pris beaucoup de temps. D’ailleurs dans les premières versions, il n’y avait pas les séquences de l’Enfer.
Question du public : Qui a eu l’idée de faire l’Enfer dans un hôtel ?
Nobuhiro Yamashita : c’est l’idée du scénariste Shinji Imaoka. C’est quelqu’un qui est à la fois réalisateur et scénariste. Il a un univers très particulier et son idée de montrer l’Enfer sous le modèle d’un hôtel nous a beaucoup plu.
Question du public : Bonjour, j’aimerais savoir d’un point de vue technique si des scènes du réel ont influencé ou si certaines scènes auraient été totalement différentes si cela n’avait été que de l’animation.
Yoko Kuno : En fait, quasiment la totalité du film a été tournée en prise de vue réelle donc oui, ce film en animation existe au final grâce au film qui a été tourné initialement. Parce que si on n’avait pas tourné en image réelle, on n’aurait pas travaillé autant sur les détails. Par exemple, les scènes de combats avec des plantes entre le dieu du Malheur et Anzu, il y a vraiment des expressions de visages incroyables et si on n’avait pas tourné en live, on n’aurait pas pu faire autant d’expressions. De telles expressions spectaculaires proviennent des vrais acteurs humains. L’interprétation était tellement extraordinaire que ces scènes sont devenues intéressantes.
Nobuhiro Yamashita : Moi-même, je suis un réalisateur en prise de vue réelle, habituellement, je ne fais que ça. Je ne fais jamais le découpage avant le tournage et c’est sur le plateau que je décide du découpage et à quel moment je coupe les plans. Et comme j’ai beaucoup de respect pour le jeu des acteurs, ça devient souvent des plans-séquences et donc il n’y a finalement que peu de plans par rapport à un film d’animation habituel. Donc si on n’avait pas tourné en live et qu’on l’avait fait directement en animation, alors le nombre de plans aurait été deux à trois fois plus important. En effet, notre film a beaucoup moins de plans qu’un film habituel, car nos plans sont plus longs.
Question du public : J’ai une question sur le chara-design de Karin et de sa maman, comme vous l’avez dit, ils n’apparaissent pas dans le manga, alors comment on développe leur caractère, leurs caractéristiques, leur apparence ?
Nobuhiro Yamashita : En fait dans le manga original1, c’est une succession d’histoires courtes, donc pour un film, il fallait une histoire plus longue, il fallait un fil conducteur, c’est pour ça qu’on a inventé cette fille Karin. Ensuite sa personnalité, son caractère, je voulais une fille compliquée toujours de mauvaise humeur, mais ça, c’est un goût personnel, car j’aime bien les filles de mauvaise humeur.
Yoko Kuno : Pour le chara design, on a d’abord choisi les acteurs qui les interpréteraient, et donc leur physique vient des vrais acteurs.
Question du public : Comme le film a d’abord été tourné en prise de vue réelle, y a-t-il un montage du film ainsi et si oui, cette version serait-elle diffusée dans le cadre d’un making-off ?
Nobuhiro Yamashita : Moi, j’aimerais bien que le public découvre la version live, mais tous les acteurs ne le souhaitent pas. Il va y avoir quelques extraits, en tout cas si vous le voyez, vous allez comprendre à quel point Yoko est talentueuse.
Question du public : Au visionnage du film, cela m’a fait penser au Voyage de Chihiro de Miyazaki, notamment une jeune fille qui se retrouve dans le monde des morts à la recherche de ses parents, une jeune fille au cœur d’une quête initiatique. Je voulais juste savoir s’il y avait une inspiration, même au niveau de la physionomie des esprits, ou si ça se raccrochait au folklore japonais ?
Nobuhiro Yamashita : Personnellement, j’ai beaucoup pensé au film en prise de vue réelle Déménagement2 de Shinji Somai. C’est l’histoire d’une fille dont les parents sont en train de divorcer. Pendant l’écriture du scénario, j’ai beaucoup parlé de ce film, donc si je dois en citer un, ça serait celui-ci.
Yoko Kuno : Moi, je trouve qu’il y a des points communs entre Shinji Somai et Hayao Miyazaki, en tout cas quelques liens, notamment dans l’idée de construction, la manie de montrer des personnages, des jeunes filles, peut-être que leur intérêt se ressemble. Mais en tout cas, oui, il y a des points communs.
Question du public : Y a-t-il eu la création d’un storyboard avant le tournage ou pas du tout ?
Nobuhiro Yamashita : Non, je n’ai pas du tout fait de storyboard avant le tournage.
Yoko Kuno : Après, exceptionnellement pour les quelques plans de séquences de l’Enfer, parfois, on a tourné dans un endroit où le décor n’avait rien à voir avec le film qu’on voulait créer, donc pour ça, j’ai fait du storyboard mais juste pour aider le tournage, mais après, niveau découpage, même sur le plateau et pendant le tournage, ça a changé.
Question du public : Merci beaucoup pour ce magnifique film, c’est surtout une question au niveau de l’industrie, il y a peu de réalisatrices pour des longs-métrages, pouvez-vous nous dire si en étant une fille, c’est aussi accessible d’être une réalisatrice et quel est votre parcours personnel ?
Yoko Kuno : Quand j’étais petite, il n’y avait pas beaucoup de réalisatrices de long-métrage d’animation au Japon, mais aujourd’hui, il y en a pas mal. En fait, c’est un métier où on est tout le temps assis, donc il n’y a pas de question de physique, c’est équivalent pour les deux. C’est sûrement pour ça qu’il y a pas mal de réalisatrices au Japon et je pense qu’il y en aura de plus en plus.



