Juste la fin du monde – Avis +

Lieu : Paris

jusqu’au 2 juillet 2023

Présentation officielle

Douze ans après son départ, Louis retourne voir les siens pour leur annoncer sa mort prochaine. Revenir en famille après des années d’absence, se retrouver ou non. Qu’a-t-on à se dire ? D’ailleurs s’est-on jamais vraiment parlé ? Comment trouver les mots justes ? Les mots qui ôteraient l’habit tragique de ce retour et permettraient de se toucher une dernière fois sans se briser.

Avis de Claire et Audrina 

C’est une situation qui, au premier abord, parlera à beaucoup : prendre le train et rendre visite à sa famille le temps d’une journée. Mais les choses sont un peu plus complexes que cela pour Louis. Tout d’abord, cela fait plus d’une décennie qu’il n’a pas vu sa mère, son frère Antoine – la femme de ce dernier, Catherine – et sa jeune sœur, Suzanne. Ensuite, sa visite est motivée par une nécessité bien précise, qui est celle d’annoncer à ses proches qu’il mourra bientôt. Ce n’est pas une surprise, le spectateur est prévenu d’entrée de jeu, c’est même le ressort principal de l’intrigue. 

En guise de comité d’accueil, le fils prodigue doit faire face à une sœur nerveuse et surexcitée de le redécouvrir. Son frère l’accable de reproches et de haine. Sa belle-sœur, pour laquelle il n’est qu’un inconnu, en fait autant, de manière moins franche.  Sa mère, en revanche, semble relativement passive face à toute cette situation, se raccrochant désespérément à des souvenirs du passé qu’elle détaille de façon exagérée. 

Juste la fin du monde est une pièce au texte lourd dans laquelle dialogues de sourds et mots s’échangent plus rapidement qu’un match de tennis endiablé visionné en accéléré. De longs et intenses monologues, souvent sérieux et solennels, alternent sans cesse, créant un chaos permanent. Malgré quelques moments de très bref répit, on ne peut pas dire que ce soit une pièce durant laquelle on se détend, au contraire, car la tension entre ces personnages qui ont tant à se dire mais n’y parviennent pas est palpable dès la première seconde. 

Juste la fin du monde reste malgré tout une pièce qui parle d’amour. Mais qui dit amour, dans le cas de cette famille brisée, dit aussi conflit. Dans ce conflit, Louis est stoïque, et les personnages qui l’entourent déversent leurs doléances comme face à un mur, mur qui cependant semble avoir des oreilles attentives. Même si Louis ne parle pas, son langage corporel s’exprime pour lui. Il est silencieux, du moins face à sa famille, puisqu’il s’adresse bien plus facilement au public, comme un Hamlet se questionnant tout haut s’il vaut mieux être ou ne pas être – cependant, ici, Louis ne peut pas choisir de vivre ou de mourir, mais seulement de parler ou de se taire. 

Il y a une triste ironie à voir cette famille réunie physiquement mais où chacun reste cependant seul et déconnecté des autres. Tous se sentent abandonnés, ils se chassent et se fuient sans cesse. Ils tentent en vain d’ouvrir leur cœur, crient, pleurent, regrettent. Puisque chacun a un rôle à jouer dans cette famille, ils sont des catalyseurs les uns des autres, souvent pour le pire. On attend de Louis, en tant qu’aîné, d’être le néo-chef de famille, ce qu’il n’est pas, et c’est peut-être de là que naît une partie de ce conflit : le poids des attentes de toute la famille. 

La mise en scène vient contraster ce texte si brut. Chaque détail compte et rien n’est laissé au hasard. L’atmosphère se révèle aussi pesante qu’hypnotisante. Le décor est immersif, mais il est aussi grand et vide, comme un parallèle aux longues tirades sans réelle profondeur des divers personnages. La parole, qui est pourtant au coeur de la pièce, apparaît plus comme une source d’incompréhension et s’ajoute aux conflits. Il n’est pas rare que les personnages disent plusieurs fois la même chose en variant le ton, en changeant juste la conjugaison ou le temps d’une phrase.

Ecrite en 1990 par Jean-Luc Lagarce, cette pièce résonne pourtant de manière intemporelle. Elle fait également écho à la vie de l’auteur, dans sa dimension tragique, puisqu’il meurt du Sida cinq ans après. Juste la fin du monde est, globalement, une pièce qui peut parler à chacun, mais qui n’est peut-être pas faite pour tout le monde, symbolisant l’essence même du théâtre dans toute sa puissante fonction cathartique. Alors n’hésitez pas à venir observer cette famille dysfonctionnelle, jouée par une troupe vibrante d’émotion. Peut-être y reconnaîtrez vous en partie la vôtre… 

Fiche technique

Adresse : Théâtre du Nord-Ouest – 13, rue du Faubourg Montmartre – 75009 Paris
Horaires : dates et horaires divers, consulter theatredunordouest.com
Tarif : 25 € (tarifs réduits certains jours, consulter la billetterie) 
Texte : Jean-Luc Lagarce
Mise en scène : Théophile Gros
Avec : Roxanne Dif, Théophile Gros, Anne Langlois, Jade Lenoir, Guillaume Millet
Durée : 120 minutes