Interview de Pascal Dessaint

Onirik : Quelle a été votre démarche en écrivant Un Homme doit mourir ?

Pascal Dessaint : J’éprouve une certaine désespérance vis-à-vis de la nature. On ne peut pas raisonner vis-à-vis de la nature sans devenir dépressif. Tous les jours on vous annonce qu’une espèce disparaît ou qu’on va ravager un beau paysage. Cela nous accable, cela nous écrase. Quand vous aimez la nature vous finissez par être très déprimé, je voulais montrer ça.

Onirik : On peut observer que ceux qui saccagent la nature le font avec différents degrés de cynisme.

Pascal Dessaint : Le personnage d’Alexis ne fait pas partie des plus méchants. C’est un petit requin. Son ami Raphaël est redoutable. C’est quelqu’un qui a une forte capacité de nuisance, comme tout personnage de cette planète aujourd’hui dont l’idée fixe est de faire du profit au détriment de toute morale, de toute conscience écologique, mais tout simplement égoïstement.

Moi j’avais envie de me mettre dans la peau d’un personnage comme ça pour voir, en sachant que je n’avais pas trop envie de développer, parce que c’est trop indisposant. Je n’avais pas trop envie de partager les pensées d’un type comme ça. Mais par contre c’est un exercice d’écriture qui peut être apaisant, avec un certain cynisme.

La vie professionnelle d’Alexis repose sur l’exploitation du bois. Il culpabilise un peu. Mais comme il le dit ce n’est pas comme s’il trafiquait du gaz de schiste dans l’Alberta. Il partage sa vie avec une femme qui le fait culpabiliser sur son empreinte carbone. C’est un méchant pas trop méchant. Il a la possibilité de se transformer, ce qui n’est pas le cas de Raphaël pour qui il n’y a pas de pardon possible.

Dans le roman noir il y a des nuances. On s’interroge sur l’origine du mal et pas sur le mal en lui-même. Moi j’avais besoin d’un personnage qui ait une marge de progression vers le bien. Il pose des questions. Ce n’est pas sa faute si les arbres partent en Hollande, puis vont en Chine avant de revenir. Lui il fait du business. Il aime l’argent. Je le mets tout de suite dans une situation en plein soleil et son premier problème à partir du moment où il cesse de penser à l’argent c’est comment soigner ses coups de soleil. Tout de suite j’ai pris la voie du grotesque, de la caricature et c’est assez étrange comme ce livre est reçu de ce point de vue là.

Le personnage de Boris est une des conséquences de la législation. Il y a encore 20-25 ans quand vous aviez un projet industriel vous contactiez les élus. On ne posait pas de questions. On agissait sans se soucier de l’impact sur la nature. Aujourd’hui tout a changé. Il faut reconnaître que grâce à l’Europe, dans une certaine limite, on ne peut plus faire n’importe quoi. Pour la centrale nucléaire de Gravelines on n’a posé aucune question à personne.

Par contre, pour un terminal méthanier il a fallu faire des études d’impact, il a fallu faire des compensations, il a fallu déplacer une plage. Le « grand opérateur d’énergie » a été contraint de déplacer une plage et de faire de la compensation, c’est-à-dire de créer des espaces naturels qui n’existaient pas jusqu’à maintenant et qui ont surcompensé l’impact industriel.

Mais Boris illustre de nouvelles méthodes parfois très contestables. Toujours est-il que Boris est le fruit de cette nouvelle donne. C’est un naturaliste dont la vocation a priori est noble. Il s’est retrouvé à un mauvais endroit. Il s’est fait embaucher par un cabinet d’expertise qui travaille à décharge. Lors d’un projet industriel on va faire une simple étude d’impact obligatoire. Mais à l’enquête succède une contre-expertise et c’est là que Boris intervient avec un certain cynisme et aussi une certaine désinvolture.

Comme Alexis, Boris est un personnage qui au départ semble avoir une marge de progression intéressante et surtout il n’existait pas en littérature. Il y a encore dix ans c’était un personnage qui ne pouvait pas exister. C’est un personnage qui n’éprouve pas de grande motivation.

Onirik : Par opposition on trouve également « Pépé ».

Pascal Dessaint : J’aime les personnages complètement dingos. Cet écologiste forcené est un individu un peu fantasque. Je suis naturaliste. J’ai toujours été entouré de gens formidables très engagés. En montagne, vous pouvez être piqué par un taon et vous vous dites qu’un personnage qui se consacre à cet animal est dingue. Ça peut être un beau personnage pour la littérature.

Si vous êtes piqué par un taon la première chose que vous faites c’est de l’écraser. Imaginez des gens qui le prélèvent délicatement pour le mettre dans un tube. Et il y a des centaines d’espèces de taons ! J’ai rencontré des naturalistes formidables. J’ai aussi constaté leur manque de militance sur le plan écologiste. Ils sont trop naturalistes et pas assez écologistes.

Cela repose sur la somme de connaissances qu’il faut accumuler. C’est aussi une question de regard : un herpétologue regarde le sol, tandis qu’un ornithologue regarde le ciel. En tant que spécialiste vous ne pouvez pas embrasser tout le champ des connaissances. Dès lors cela vous focalise et parfois c’est au détriment de votre action. Mais s’il y a un projet d’enfouissement de déchets là où votre libellule préférée prospère vous devenez militant sur une ZAP.

Je pense que l’engagement d’un individu, d’un citoyen se fait parce qu’il n’a plus le choix. La plupart du temps les gens sont désemparés quand tout d’un coup ils sont agressés sur leur territoire parce qu’on va construire une route, sans les consulter, toujours soi-disant pour l’intérêt général et c’est ainsi qu’on va se retrouver avec des friches industrielles extrêmement polluantes et, à un moment, les personnages n’ont pas d’autre choix que de réagir avec plus ou moins de raison.

Par exemple Florent, c’est un vrai personnage, je l’ai rencontré. Ce livre se déroule dans les Landes. J’étais en train de réfléchir où j’allais loger Boris. Pour accentuer le contraste j’ai décidé de le mettre chez des gens qui font du bio. Il fallait qu’il y ait de l’électricité dans l’air et savoir comment la relation allait se détériorer entre eux. Il fallait qu’il y ait une bonne raison.

La fosse de Capbreton dans les Landes est une des failles les plus profondes du monde avec 3 500 mètres de profondeur. Pendant plusieurs décennies, entre les années 50 et la fin des années 70, on a déversé toutes les semaines des fûts radioactifs civils et militaires français et anglais. Cela a été autorisé avec la bénédiction des États.

L’ironie de l’histoire c’est que c’est devenu un des endroits de surf les plus incontournables du monde. Les fûts sont en train de se désagréger et toute la côte landaise est en train de monter en radioactivité. « Florent » me dit que tous les surfeurs de sa génération ont des pathologies incroyables à commencer par les femmes qui n’ont pas pu avoir d’enfants ou bien ont eu des enfants déformés.

Dans le roman j’évoque très clairement notre rencontre. J’avais la pièce manquante pour justifier la relation entre Boris et Florent. À ce moment-là ça donne au récit une intensité dramatique qui fait qu’on comprendra mieux si Florent va s’installer dans un arbre.

Onirik : Comment élaborez-vous un roman ?

Pascal Dessaint : Si je tiens des personnages qui me semblent avoir un intérêt il va se passer une histoire. Il est obligatoire au départ de savoir comment le roman va finir parce que le destin des personnages va conduire à un certain point. Les personnages, le paysage et puis un sujet. Le titre Un homme doit mourir est tiré d’un film américain des années 50 avec Kirk Douglas.[[Un homme doit mourir (The Hook) film de guerre de George Stanton (1963)]]

Onirik : Pourquoi les deux héros ont-ils été recrutés pour tuer quelqu’un ? Pourquoi les assassins potentiels demandent-ils du renfort ?

Pascal Dessaint : Je pense que certains personnages savourent leur puissance en manipulant les autres. Il y a quelque chose de diabolique, une perversion au départ.