Onirik : Une famille chaotique constitue-t-elle l’épanouissement idéal pour la vie d’un policier?
Jean-Christophe Grangé : J’ai toujours aimé les sagas familiales. J’ai eu envie d’écrire sur une famille. Jusqu’à présent, je restais collé à l’intrigue policière qui restait la colonne vertébrale du récit. Je me suis dit : « lance-toi! »
Dans cette enquête policière des chapitres sont consacrés uniquement aux relations entre ce père, qui est un personnage terrible et ses trois enfants. J’ai écrit des chapitres donnant un élément qui font avancer l’enquête. Cela reste de l’univers adjacent. La famille est très chaotique, très haineuse et cela m’a permis d’éviter le décrochage, le déficit d’intérêt avec le flic qui rentre chez lui où l’attend une vie banale quotidienne. Parfois la famille est plus violente que le tueur en série lui-même.
Dans cette famille, le père est une éminence grise de la place Beauvais. Après les événements de mai 68, où il était à la fois flic et révolutionnaire, on lui a demandé de faire un tour en Afrique pour laisser se reposer les événements. Au Congo, un tueur en série s’en prenait aux femmes blanches et les transformait en statues criblées de clous.
À l’époque, ce jeune flic s’est lancé seul sans moyens et a arrêté « l’homme-clou ». C’est auréolé de gloire qu’il est revenu en France où il a commencé à devenir un super-flic à la criminelle. Mais il a aussi œuvré dans l’ombre en s’occupant des combines de l’État. Il est devenu un personnage sombre « le Pasqua de gauche ». Il a été du côté des Socialistes. Mais il a réglé des petits problèmes. Il est devenu maître-chanteur et barbouze. À force d’avoir les mains dans le moteur, il est devenu indispensable et il avait des dossiers sur tout le monde. Donc personne ne pouvait oser le renvoyer.
Onirik : Il a en lui une part de folie.
Jean-Christophe Grangé : Mon idée, c’était que ce père a instillé la folie dans cette famille en battant sa femme en permanence y compris en présence des enfants qui auraient eu besoin d’amour. Les trois enfants ont été traumatisés et ils ont géré ce traumatisme chacun à leur manière.
Erwan, le grand-frère, est devenu flic et a essayé de contenir par les règles de son boulot la folie qui est en lui.
Le fils cadet a essayé de suivre les ordres du père : de devenir un grand marin et un grand skipper et en même temps il va devenir un grand alcoolique dans les bars bretons. Il va prendre la fuite dans l’alcool et la drogue. Ayant failli mourir en Inde, il va être sauvé par un gourou qui va à la fois l’associer au bouddhisme et à la grande finance. Il va ainsi devenir un grand financier génial, tout en étant bouddhiste ce qui fait qu’il se fout complètement des résultats. Son problème, c’est qu’il a raccroché de l’alcool et de l’héroïne, mais pas de la coke. Donc c’est un très grand cocaïnomane et il divorce de sa femme qui veut absolument la garde des enfants.
La jeune soeur veut faire du cinéma et couche avec des producteurs, mais juste pour embêter son père qui la fait suivre. Mais peu à peu on va découvrir qu’elle a un plan secret. Elle couche avec des gens qui vont lui permettre de détruire sa famille, une famille dont la clef de voûte est la haine.
Erwan va être confronté aux anciens actes de son père par un premier meurtre. Suite à un bizutage, un élève-officier de la Marine s’est pris un missile lors de manœuvres du porte-avions Charles de Gaulle. Le corps est en morceaux et il va falloir attendre les résultats. Erwan découvre que l’amiral (une sorte de Dracula dans son château) a lui-même une culture de la violence. Peu à peu il va comprendre que l’homme-clou qui a été interné, il y a quarante ans a sans doute inspiré un nouveau tueur.
Onirik : Parallèlement Erwan reçoit pour missions secondaires de la part de son paternel et supérieur hiérarchique de régler quelques petits problèmes familiaux : prostitution de sa soeur et pour son frère consommation de drogue et divorce.
Jean-Christophe Grangé : Le père ne vit que pour ses enfants qui le détestent. La plupart du temps, les policiers des romans sont considérés comme des guerriers qui font la guerre jour et nuit. Jusqu’à présent les flics n’avaient pas de vie familiale.
Onirik : L’un des éléments majeurs de l’intrigue concerne des statues africaines criblées de clous. D’où vient votre inspiration?
À Paris, j’habite à coté du musée du quai Branly où sont exposés les « arts premiers ». J’y ai assisté à des expositions sur l’art le long du fleuve Congo. Dans la statuaire spécifique à cette région des statues ont la particularité d’être criblées de clous. Le guérisseur plante un clou dans la statue. Dans le roman le tueur laisse des victimes entièrement criblées de clou en s’inspirant de cette magie.
Onirik : Un de vos collègues Pascal Marnet a exploité cette idée d’artefact magique dans Tiré à quatre épingles, un roman policier teinté de fantastique [[Édition Michalon, mai 2015]].
Jean-Christophe Grangé : Sans blague?! Je ne connaissais pas. Mais je vais le lire.
Onirik : Comment concevez-vous votre rôle d’écrivain?
Jean-Christophe Grangé : Je trouve que le boulot de l’écrivain, c’est d’exprimer au mieux l’histoire qu’il a en lui. Un écrivain est en marge de la vie. Il crée un autre monde imaginaire, hors de la réalité. Le propos de l’écrivain, c’est de s’isoler.