Entretien avec Sedipeh Farsi

Onirik : Comment est née la genèse de Red Rose ? Comment vous est venue l’idée de réaliser ce film en huis clos ?

Sedipeh Farsi : En fait, c’était le postulat que m’a proposé Javad Djavahery pour réaliser ce film. L’idée originale c’était ça une histoire d’amour dans un huis clos en situation insurrectionnelle et la vague verte est un mouvement très important pour nous.

Beaucoup d’Iraniens ont été très touchés et très actifs pendant un voir deux ans, mais l’idée c’était de relayer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, plus de soubresauts donc la combinaison des deux et cette passion amoureuse dans un fond de révolte qui s’est déroulé en 2009 à Téhéran, ça a été oui de ma part, tout de suite. C’est comme ça que c’est venu.

Onirik : Je voudrais savoir si certaines vidéos que l’on voit dans le film sont tirées de….

Sedipeh Farsi : Toutes !

Onirik : Même celle de Sara où on aperçoit sa main ?

Sedipeh Farsi : Oui, cette vidéo est très connue. L’histoire des ongles rouges entre Sara et…, je l’ai ajouté car j’avais décidé de mettre cette vidéo. Il y a ainsi quelques passerelles entre l’histoire et la fiction, que j’ai mises en place, il y a la rose évidemment, les ongles rouges, les tweets. Il y a plusieurs choses comme ça des vidéos, des images d’archives ajoutées à la fiction que je trouve intéressant.

Onirik : Les avez-vous récupérées sur Twitter ?

Sedipeh Farsi : Oui et sur Youtube. Les journalistes étrangers avaient été priés de partir très gentiment dès le lendemain des élections. Pour les journalistes iraniens, c’était très dangereux de filmer eux-mêmes, du coup les citoyens ont commencé à filmer et c’est comme ça qu’on a eu accès sur Youtube à des images.

Cela a permis de documenter les exactions, sinon on aurait rien eu. Cela a ainsi évité un blocus. En fait, ils avaient tout préparé tranquillement. Heureusement que les gens ont commencé à filmer. La présence du portable dans notre société d’aujourd’hui, c’est quelque chose en réalité qui est devenue une arme.

Onirik : En combinant avec l’Adsl qui est une ouverture sur le monde

Sedipeh Farsi : Exactement ! En 2009, on n’avait pas l’Adsl, il n’y avait pas la 3G, c’était du bas débit donc c’était beaucoup plus compliqué pour les gens, pour les jeunes militants de les diffuser. C’était filmé après quelqu’un récupérait les vidéos et il fallait trouver ensuite un endroit où il y avait l’Adsl. D’où un peu cette histoire dans le film.

Onirik : Oui parce que l’on ne sait jamais vraiment si Sara vient pour Ali ou pour sa connexion ?

Sedipeh Farsi : Au début on se pose des questions, exactement !

Onirik : Avez-vous pu rencontrer des Iraniens qui ont participé à ce mouvement ?

Sedipeh Farsi : Beaucoup, oui. J’ai interviewé pas mal de gens ici, qui sont partis en exil, pas mal sont des étudiants ou des journalistes qui avaient été très actifs et qui ont dû quitter le pays.

Donc pendant la phase de recherche, quand on était en train de finaliser le scénario et toute la période après où on cherchait des comédiens, pour finaliser les détails, question de véracité aussi pour les comédiens, pour pouvoir les guider surtout Mina (interprète Sara dans le film), j’ai rencontré pas mal de jeunes femmes qui avaient participé au mouvement et qui avaient quitté le pays par la suite.

Onirik : D’ailleurs Mina est juste incroyable, comment l’avez-vous découverte ?

Sedipeh Farsi : Oui elle est formidable. Je l’avais croisée, quand elle avait 16/17 ans alors qu’elle démarrait au théâtre en Iran mais brièvement. J’avais demandé conseil à son oncle, qui dirigeait un théâtre, pour un casting. Elle était là, je l’avais vue passer, ça c’était arrêté là, je ne l’avais jamais vu jouer sur scène. Je ne savais même pas qu’elle était installée à Paris, pour le conservatoire d’Art dramatique.

Lorsque le rôle était écrit, j’ai carrément appelé le conservatoire sans me douter qu’elle était là. C’est drôle ! Et puis quelqu’un nous a dit «  mais il y cette fille Mina » et j’ai dit «  Je la connais », donc on s’est rencontré et voilà elle a tout de suite accroché. Après, ça a été quand même assez long avant que l’on prenne la décision de part et d’autre pour différentes raisons.

Onirik : Maintenant, elle ne peut plus retourner en Iran…

Sedipeh Farsi : Oui, c’est un choix difficile. Puis il fallait savoir si elle était capable de jouer, d’incarner ce personnage, car il y avait des choses qu’elles n’avaient jamais faites. Évidemment, c’est une très bonne comédienne mais il y a quand même des scènes radicales et intimes, pour elle c’était une première fois. Ne serait-ce d’un point de vue de la pudeur personnelle tout simplement, de se mettre complètement nue devant une caméra, ce n’était pas évident, ce n’était pas gagné.

Il a fallu qu’elle réfléchisse ; que l’on fasse des tests pour être sûr qu’elle y arrivait qu’elle correspondait, qu’elle était consciente des implications que cela allait avoir. Cela a mis du temps mais c’était intéressant.

Onirik : Pourquoi avoir changé le prénom de l’héroïne, tout à l’heure vous nommiez le personnage Mina ?

Sedipeh Farsi : Oui, c’est drôle. Pendant les répétitions, j’avais l’impression que c’était trop pesant que le personnage porte son vrai nom. On l’appelait Mina dans la vie, après sur scène aussi. C’était son premier rôle et j’avais l’impression que ça l’embrouillait. Du coup, je me suis dit ça ne peut qu’aider, même si moi j’étais attachée à Mina… C’est un signe fort d’avoir nommé sans le savoir le personnage Mina.

Je me suis dit il fallait peut-être qu’il y ait une distanciation, qu’elle ne se demande pas à chaque fois «  Est-ce que c’est le personnage ? Est-ce que c’est moi ? ». Donc un jour, je suis allée la voir « Voilà, à partir de maintenant c’est Sara ! » Tout le monde était étonné et finalement on s’y est fait.

Onirik : En fait, comment avez-vous vécu cette Vague verte ?

Sedipeh Farsi : Moi, j’étais partie une semaine avant. Je suis rentrée à Paris. J’étais en Iran à Téhéran le dernier jour pour finir un film qui s’appelle La maison sous l’eau, qui est le dernier film que j’ai tourné en Iran.

Je venais juste de rentrer à Paris, je commençais le montage d’un autre film, un documentaire que j’ai filmé avec un téléphone portable à Téhéran sans autorisation. Tout ça était assez drôle comme coïncidence. La question était : Je rentre ? Je pars ? J’ai décidé de rester. Je savais, vu que j’ai un casier et que je suis fichée…

Onirik : Que cela serait plus dur de repartir peut-être ?

Sedipeh Farsi : Bah on m’avait convoqué quelques mois avant, en me demandant Qu’est-ce que c’est que ce film, ce documentaire? J’avais été convoquée par les services de renseignements. Je savais que j’étais dans leur collimateur. Je ne suis pas retournée immédiatement. J’ai vécu la Vague verte à distance.

J’étais collée à l’ordinateur. On faisait partie des gens qui relayaient énormément. Bien sûr on manifestait à l’extérieur. Ici, on a pratiquement manifesté tous les jours pendant un long moment mais d’un point de vue technique, nous étions un certain nombre à relayer toutes les infos : twitter, Facebook, etc.

Onirik : Les portes paroles du mouvement ?

Sedipeh Farsi : Oui, à l’étranger, ça a fait beaucoup pour le mouvement. Chacun a pris sa petite part, évidement. Par contre, Mina, je pense qu’elle était là bas et même Vassilis.

Onirik : Oui parce que maintenant, il vit en Grèce c’est ça ?

Sedipeh Farsi : Oui, il est gréco-iranien. Il vivait déjà à Athènes mais il se trouve que l’été 2009, il était en Iran aussi. Donc le jour de la grande manif, vous savez avec la rose, il était là. Il me montrait sur l’image : «Mais j’étais là !». C’était quelque chose de très fort, car tous les deux (Mina et Vassilis) avaient vécu des moments assez proches des vidéos que l’on a utilisé dans le film.

On a beaucoup travaillé là-dessus. Je les ai nourris, à la fois avec des vidéos de Youtube et d’autres documentaires, d’autres films, de textes, de choses pour qu’ils puissent lire et se nourrir même s’ils avaient leur propre vécu. On a travaillé beaucoup en dehors du scénario. Bien sûr le scénario était la base mais on a construit un ensemble autour.

Onirik : Vous évoquez un peu le mouvement de 1988, l’avez-vous vécu aussi ?

Sedipeh Farsi : Moi non, j’avais quitté l’Iran en 1984. Par contre, j’ai vécu la répression de 1981. J’étais en prison en 1980-1981. J’avais 16 ans. J’étais lycéenne. J’étais dissidente et j’ai fait quelques mois de prison. J’ai vécu ce commencement de la chape de plomb. C’était le début de la guerre avec l’Irak, c’est là que ça a commencé à se verrouiller vraiment.

Par exemple, quand on m’a arrêté, il était encore possible de ne pas porter le foulard mais quand je suis sortie de prison, il n’y avait plus possibilité de marcher sans dans la rue. En 8 mois, voire 6 mois, le voile était devenu obligatoire, mais complètement obligatoire partout. Cela a été un choc ! A la prison, à l’intérieur, c’était obligatoire. Moi, je me disais : «On sort, bon voilà après c’est bon» eh non c’était fini.

Il y a eu beaucoup de changements comme ça. Le climat social avait changé et après pour aller à l’université j’ai dû quitter l’Iran. Car je ne pouvais pas rester, j’étais bannie tout simplement. Je suis venue à Paris faire mes études. 1988, je l’ai donc vécu également à distance. Je savais. On avait les listes des gens qui étaient exécutés. On nous les transmettait pour les divulguer. Il y avait tout plein de choses comme ça, mais j’étais déjà à l’extérieur.

Onirik : Merci. La musique est superbe dans le film, je voudrais savoir comment Ibrahim Maalouf est rentré dans le projet ?

Sedipeh Farsi : Par le biais d’un ami libanais qui me l’a fait connaître. Je ne connaissais pas son travail, sa musique et en fait il me dit «Il faut que tu l’écoutes !». Moi j’ai écouté l’album Beyrouth.

Je suis devenue… voilà… j’ai tout de suite parlée du projet mais comme il était très pris : «Mais non j’ai pas le temps, etc.». Puis le tournage a lieu, il ne répondait toujours pas. Il était en concert. A un moment, j’ai pris deux séquences qui me semblaient propices, et je les ai montées sur deux morceaux d’Ibrahim Maalouf. Je lui ai envoyé le montage. Cela a été très rapide. Il les a regardées et vingt minutes après il a dit : «Bon d’accord je le fais.»

Onirik : Vous l’avez convaincu

Sedipeh Farsi : Oui, c’était bien que j’essaie car si j’avais pris son non pour un non, ça n’aurait pas eu lieu et ça aurait été dommage.

Onirik : Oui je pense que ça donne une ambiance…

Sedipeh Farsi : Oui il est vraiment… Il a cette sensibilité à la fois très jazzy, très plaintive, orientale on va dire, mais quand même dans la veine expérimentale. Qu’il soit en solo avec sa trompette mais également dans ses arrangements. En tout cas, il possède un ensemble de caractéristiques, je trouve, qui se marie bien et ça marche très, très bien.

Onirik : Je voulais comment vous percevez l’ouverture de l’Iran en ce moment avec la France. Laurent Fabius y est allé en juillet, il a dit que le président Rohani pourrait venir en France. Est-ce que vous pensez que ça va permettre d’ouvrir vraiment le débat et pouvoir permettre aussi que vous y retourniez ?

Sedipeh Farsi : Pas que moi, mais plein de gens ! Ecoutez, je ne souhaite que ça, mais je suis très, très sceptique. Je suis de près les réseaux militants iraniens, je reçois tous les jours des nouvelles des droits de l’homme (Human Rights Watch), tous les observatoires des droits de l’homme, et les nouvelles sont mauvaises. Sur le terrain, non seulement ça ne s’est pas amélioré, mais ça a empiré.

Par exemple, il y a une militante, étudiante pardon, militante elle l’est, elle a purgé cinq ans de prison. Elle avait été condamnée, déjà ça c’était absurde la condamnation de base, mais elle a purgé ses cinq années. Le jour de sa sortie, il y a quelques jours de ça, on lui a annoncé qu’elle allait faire deux années de plus, sans procès.

Voilà pour vous donner un exemple d’aberration juridique absolue. Il n’y a pas de justice qui tienne. Moi évidemment, je souhaite que ça s’ouvre à moyen et long terme. Evidemment l’accord nucléaire fera que le régime iranien sera obligé de faire preuve de certaines ouvertures. Mais aujourd’hui ce n’est pas le cas et ceux qui disent le contraire, en fait ils se leurrent ou ils refusent de voir, car c’est les affaires qui priment.

Soyons clairs, le voyage de tel ministre ou tel autre, premier ministre ou président, c’est une course au premier pays qui y sera. En terme de droit de l’homme, moi je souhaiterais que les accords commerciaux soient accompagnés d’accords sur les droits de l’homme et d’obligation d’ouverture. Car là, en fait, le régime iranien fait ce qu’il veut.

Onirik : j’ai une autre question. Vous êtes documentariste, c’est votre cinquième long métrage, comment vous est venue cette passion, avez-vous des influences ?

Sedipeh Farsi : De très loin, en fait, d’aussi loin que je me souvienne c’était la photo d’abord. Je devais avoir 12, 13 ans quand j’ai voulu faire de la photo. Un jour je me suis inscrite à un cours de photographie qui s’est avéré être beaucoup plus large. Il y avait un module photo, en fait c’était un cours sur l’image, sur le cinéma. C’est un drôle de truc, car on avait zéro moyen.

Les films étant interdits, nous ne pouvions les voir ; on nous les racontait et les dessinait au tableau. Vous imaginez ? C’était vraiment drôle. C’était en 1980, j’ai fait trois mois de cours mais c’est là ensuite que j’ai été condamnée. Après j’ai mis du temps car en fait comme j’étais plutôt matheuse j’ai continué, j’ai donc fait une licence de mathématique.

Onirik : En France, vous n’êtes pas venue pour des études sur l’image ?

Sedipeh Farsi : C’était un peu paradoxal, car je fais partie d’une génération où en Iran les études artistiques n’étaient pas considérées comme sérieuses. A l’époque dans les années 80, quand on était bon en sciences – aujourd’hui encore d’ailleurs – pourquoi faire L ? Si tu es matheuse tu fais S. Et c’est ce que j’ai fait, un Bac C, le système iranien était très proche du système français. Alors voilà les maths, licence de maths, enseignement, etc.

La passion du cinéma était toujours là. Un jour, dès que j’ai pu, j’ai commencé à écrire des courts métrages. J’avais voulu faire une école de cinéma mais je n’avais pas les moyens, donc je n’ai pas pu. Il fallait que je gagne ma vie. J’étais autonome, si vous voulez, donc il fallait faire les deux. Du coup, j’ai appris sur le tas. J’ai fait des courts métrages, j’ai fait des documentaires, au début autoproduits et j’ai cherché ensuite des producteurs.

Onirik : Vous avez plein de projets, j’en suis sûre !

Sedipeh Farsi : Oui, oui, oui là j’ai trois projets ! Il y en a un qui se passe en Grèce, c’est une histoire de rencontre, on va dire. Pas d’histoire d’amour directement mais de rencontre entre un réfugié syrien, un jeune homme, et une femme qui est plus âgée, une policière grecque, et une autre vision de la guerre. Ce n’est pas les combats que l’on voit dans les médias mais la guerre ça peut-être aussi au quotidien pour survivre. Donc ça c’est le premier projet.

Ensuite, j’ai un projet d’animation sur la guerre Iran/Irak mais du point de vue d’un adolescent et donc assez atypique comme narration. Et puis le troisième projet est un western iranien tourné dans le désert tunisien. C’est tout nouveau.

Onirik : Cela a l’air d’être super. Avez-vous trouvé les acteurs ?

Sedipeh Farsi : J’ai quelques comédiens en tête, des comédiens iraniens mais c’est tout nouveau donc, voilà je commence, ça se pose.

Onirik : je vous remercie beaucoup, à bientôt.