Ta mort sera la mienne – Avis +

Présentation de l’éditeur

Une soixantaine d’étudiants, un motel grand luxe dans les plaines de l’Utah : tout est prêt pour un séminaire littéraire de rêve. Et puis, au soir du premier jour, un homme arrive, coiffé d’un casque de moto, et sort un fusil à pompe de son sac. Le rêve tourne au cauchemar. Terrifiée, rendue à moitié sourde par les détonations, une jeune fille trouve refuge dans une chambre où se terre déjà Karen, sa conseillère d’éducation. À voix basse, les deux femmes engagent la conversation.

Karen en est sûre : elle connaît le tueur.
Obèse, mélancolique, Donald traîne son spleen existentiel en attendant la retraite. Il aurait voulu être indien ; il n’est que chef de la police. Ce soir-là, un mail arrive au poste. Prise au cœur d’une fusillade dans un motel de Moab, une employée appelle au secours. Dans le miroir des toilettes, l’homme en larmes, effaré, contemple son reflet. Ce motel-là, songe-t-il. Précisément aujourd’hui.

Il s’appelle Troy, mais les noms n’ont plus d’importance. La fin du monde approche. Oh, il ne la craint pas. Le Feu du Ciel, il le sait, l’épargnera. En attendant, Troy s’arrête dans des diners, Troy parle à des gens, Troy baise, médite, et serre les poings. Dans sa tête : la rumeur grandissante d’avant l’apocalypse. Dans son sac de hockey : un fusil à pompe calibre 12.

Trois voix, trois personnages, trois destins irrémédiablement liés – sur les terres tragiques du rêve américain et de l’illusion mortelle.

Avis de Nancy

Il est un exercice somme toute difficile, pour nous chroniqueurs amateurs juste amoureux des livres, c’est celui de donner un avis à peu près complet sans trop entrer dans l’histoire, et, par là-même, dévoiler l’intrigue. Et ce n’est pas Ta mort sera la mienne qui va simplifier les choses.

Fabrice Colin a l’art et la manière d’aborder ces romans de façon atypique. Il emmène brillamment ses lecteurs dans des sentiers sinueux, des falaises escarpées qui débouchent, non pas sur un indice majeur mais plutôt sur un autre chemin, détourné, avec au bout un petit morceau de la clé. A peine effleurée, il nous la reprend pour nous guider vers d’autres routes.

Un labyrinthe complexe et tortueux dont il nous avait déjà démontré le talent dans Blue Jay Way. Les voies de Fabrice Colin sont-elles vraiment impénétrables ? On pourrait s’y perdre… mais non ! Car la trame est habillement menée et réfléchie.

Ça ne vous aide pas ce que je vous dis là ? Alors sachez qu’il s’agit d’une tragédie. De celles dont on parle au infos, un temps, puis qu’on oublie, campés dans notre petite vie, notre routine et nos soucis. Mais, pour les gens qui ont vécu ce genre de drame, d’horreurs, comme ici Troy, une des voix du récit, rien ne s’oublie. De toute façon, il est déjà perdu, conditionné, son chemin sanglant tracé.

Vous parcourrez des pages pleines de détresse, d’autres plus calmes voire parfois belles, pour mieux plonger dans l’abomination, la cruauté. Certains passages refléteront le mal dans son aspect le plus abject. Mais vous continuerez de lire car ce n’est que le reflet morbide d’une réalité qu’on nous cache. Et l’envie de connaître le dénouement, les tenants et aboutissants seront plus forts que la répulsion.

Une écriture encore une fois surprenante de la part de l’auteur. Pleine de sens, directe et concise, sans fioritures pour certains passages puis plus légère et poétique à d’autres, comme une brise soufflant sur la plaine, nous contant des secrets, des vérités que seuls les initiés connaissent.

Trois voies, trois récits, trois narrations différentes de la première à la troisième personne. Qu’est-ce qui a défini le choix de donner à tel ou tel personnage un ton propre, voilà une bonne question à poser à l’auteur ? Trois destins intimement liés. On le comprend assez tôt mais cela ne nous empêchera pas de vouloir en savoir plus et surtout pourquoi.

Au final, un thriller offert comme un puzzle, tout comme pour son précédent, mais aux tons complètement différents. Ta mort sera la mienne est une histoire troublante mais écrite avec excellence. Un roman à lire, c’est certain, et qui une fois achevé vous restera en tête un long moment.

Questions à l’auteur

Nancy : Ton choix de récit est vraiment sympa. Bon disons-le, particulièrement ingénieux. Ces trois voix qui ont chacune un style narratif différent sont prenantes et donnent une sorte d’âme au roman. Et donc :

L’idée de triple narration était-elle déjà là au départ ou est-elle survenue lors de l’écriture ?

Fabrice Colin : L’idée était présente dès le départ, en effet. Il y avait là comme une sainte Trinité, une trinité maudite – plutôt, un parfum de péché originel et d’erreur irréversible. A cet égard, c’est peut-être mon texte le plus religieux.

Nancy : Comment le choix s’est-il porté pour assigner à un personnage un style narratif ? Une évidence ou calculé ?

Fabrice Colin : C’est une excellent question car le choix a été très compliqué. Apostropher un personnage à la deuxième personne, prendre de la hauteur au contraire ou laisser un personnage « se confesser », ce n’est jamais anodin, et j’ai longtemps louvoyé entre plusieurs formules avant de trouver celle qui me convenait. A la fin bien sûr, tout paraît évident mais la vérité, c’est que rien ne l’est jamais.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 346
Éditeur : Sonatine
Sortie : 28 mars 2013
Prix : 20 €