Le Bloc – Avis +

L’explosion a eu lieu.
C’est étrange mais, à part le pouvoir qui panique, on dirait presque qu’il y a un soulagement suicidaire dans le pays. L’abcès est enfin crevé. Haïssez-vous les uns les autres. Craignez-vous les uns les autres.

Pendant que les émeutes raciales transforment les villes françaises en champs de bataille le pouvoir démocratique envisage une union politique avec l’extrême-droite. « Le Bloc », ce grand parti extrémiste, va donc pouvoir accéder au pouvoir. Il ne reste plus qu’une formalité.

Une des factions demande une victime sacrificielle. Ce sera Stanko l’homme de l’ombre, celui qui a fondé l’officiel « service d’ordre », mais aussi le « groupe Delta » chargé des basses œuvres contre l’adversaire politique, mais aussi contre ceux qui voulaient faire scission.

Issu du monde ouvrier, xénophobe au passé de skinhead, Stanko a commis son premier meurtre raciste alors qu’il était encore adolescent. Il venait de surprendre sa mère dans une activité extraconjugale avec un Maghrébin.

Son arrivée dans le militantisme politique se double d’une amitié avec Antoine Maynard provenant de la bourgeoisie rouennaise : « Rouen, ville pluvieuse mais littéraire, ville bourgeoise mais rêveuse, ville de boutiquiers avares et mal aimables, mais qui avait donné à la France des explorateurs de l’Amérique comme Cavalier de La Salle et des explorateurs de la connerie humaine comme Gustave Flaubert, pourquoi donc n’aurait-elle pas eu son gentilhomme de fortune ? ».

Antoine était considéré comme un enfant paisible jusqu’à ce que le psychologue pour enfants ayant examiné ses dessins réalisés sur commande en conclut que l’adorable bambin avait en lui une violence innée qui transparaissait dans son art juvénile (en fait, Antoine n’aime pas dessiner).

Avertis, ses parents ont alors considéré leur rejeton avec suspicion. On ne soulignera jamais assez le traumatisme ayant frappé la génération de jeunes parents ayant vu Rosemary Baby. Dès lors, il a cultivé en lui cette part de violence.

De plus, en grandissant ce petit-fils de résistant a choisi la provocation en affirmant des pensées politiques d’extrême-droite. Se définissant lui-même comme un « fasciste surréaliste », il s’efforçait surtout de mettre en évidence les contradictions de la gauche libertaire qui fait de grands discours pour surtout s’écouter parler. Puis est venue sa rencontre avec Agnès fille du leader du « Bloc ». Peut-on basculer vers l’extrémiste pour un sexe de femme ?

Dès lors, il va devenir un membre actif du Bloc, s’attirant la haine de l’intelligentsia libertaire, mais aussi la suspicion de nombreux membres du Bloc. Ce littéraire surprend. Certains même le soupçonnent de ne pas être vraiment raciste.

Bien entendu la politique officielle du Bloc consiste à n’avoir aucun préjugé, mais…. Néanmoins devenu l’époux d’Agnès, il progresse dans la hiérarchie du Bloc tandis que celui-ci monte dans les sondages. Le vieux leader a laissé sa place à sa fille qui modernise le parti.

Antoine s’ingénie à plaider la cause du Bloc affrontant victorieusement dans un débat d’idées un rouquin « L’idole des gauchistes depuis 68, reconverti libéral-libertaire, le type même du bon client pour les médias ».

Or, voici que les évènements s’accélèrent. La gauche libérale se discrédite « Le candidat socialiste a lâché sa connerie de trop sur le sortant de droite, en le traitant d’escroc sénile avant de dire qu’il s’excusait ».

Peu de temps après le pouvoir de droite subit à l’échelle nationale une révolte des banlieues alimentée par le trafic d’armes : « Pas très loin d’ici, cette guerre vient d’arriver au cœur de Paris. C’était Jourdain et Bagdad rue des Rigoles. » La seule solution qu’il trouve est de s’associer politiquement à l’extrême-droite. Alors que les coups de feu claquent et que la démocratie vacille, Stanko traqué par les siens se résigne à mourir, mais pas n’importe comment.

Cette politique-fiction est élaborée à partir de la transposition de la situation politique de la France et de certains personnages. Ainsi le gauchiste roux issu de mai 68 ou bien la fille du chef propulsée à la tête du parti d’extrême-droite rappellent quelqu’un.

La « guerre civile » constitue une accentuation des émeutes de 2005. Mais on trouve de plus lointaines références. Symboliquement, la décision d‘éliminer Stanko correspond à l’éradication des S.A., l’aile gauche du parti nazi en 1934.

Les évènements – se déroulant dans un « présent alternatif » – sont relatés du point de vue de Stanko et de Maynard, représentant deux facettes de l’extrême-droite. Les deux monologues intérieurs nous renseignent sur leur parcours, leurs tourments, mais aussi leurs libidos respectives.

L’homosexualité de Stanko peut renvoyer à celle d’’Ernst Röhm le chef des S.A. (Sturmabteilung ou Section d’Assaut) assassiné par les SS à l’occasion de la « Nuit des longs couteaux ».

Effectué sans filtre ce récit se déroule hors de la présence de tout narrateur objectif ou donneur de leçon. Personne n’est là pour dire au lecteur : « Ce n’est pas bien ! ». Le lecteur est invité à porter son propre jugement autant sur les fascistes que sur leurs adversaires de gauche auxquels l’auteur reproche de n’avoir rien fait pour la classe ouvrière

Pour ceux qui soupçonneraient l’auteur de complaisance envers l’extrême-droite, précisons que ce marxiste manifeste un soutien inconditionnel à Hugo Chavez et qu’il a déjà décrit les évènements du point de vue d’une Intelligence Artificielle homicide dans Big Sister[[Fayard]] et d’une épidémie meurtrière dans Bref rapport d’une fugitive beauté[[Editions Les Belles Lettres]].

Le propos permet de présenter de manière cynique et incisive les nombreuses facettes de l’électorat et des militants politiques souvent déjantés. On trouve ainsi un militant d’extrême-droite très fier de sa victoire électorale et de son porte-bonheur : une grenade ! Assuré de sa compétence militaire et de son sens de l’à-propos il la brandit régulièrement dans l’enceinte même d’une mairie. Bien entendu l’engin explosif n’est évidemment pas démilitarisé. Que pourrait-il bien arriver ? BOUM !

La preuve est faite. Jérôme Leroy est devenu le digne successeur de Flaubert dans l’exploration de la connerie humaine.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 295
Editeur : Gallimard
Collection : Série noire
Sortie : 6 octobre 2011
Prix : 17,50 €