Rien n’est trop beau – Avis +

Présentation de l’éditeur

Lorsqu’il fut publié, en 1958, le premier roman de Rona Jaffe provoqua l’engouement de millions de lectrices américaines. Elles s’identifièrent immédiatement à ses personnages, de jeunes secrétaires venues d’horizons différents employées dans une grande maison d’édition new-yorkaise. Leurs rêves et leurs doutes reflétaient ceux de toute une génération de femmes. Il y a la brillante Caroline, dont l’ambition est de quitter la salle des dactylos pour occuper un poste éditorial. Mary Agnes, une collègue obnubilée par les préparatifs de son mariage. La naïve April, jeune provinciale du Colorado venue à New York pour faire carrière dans la chanson. Si la ville semble leur offrir d’infinies possibilités professionnelles et amoureuses, chacune doit se battre avec ses armes pour se faire une place dans un monde d’hommes.

Avis de Marnie

Pour ceux qui comme moi lisaient avec plaisir dans les années 90 les sagas (à multiples héroïnes) de Rona Jaffe dans la collection « Best-Sellers », nous ignorions que cet auteur avait publié en 1958, ce que l’on peut appeler le premier roman moderne dit « féminin ». Il faut remercier les Presses de la Cité d’avoir réédité et entièrement retraduit ce… monument de la romance contemporaine. En effet, ce récit est indispensable, captivant pour tous ceux qui notamment apprécient ce genre, mais c’est aussi un témoignage pris sur le vif d’une époque.

En lisant la préface de l’auteur (décédée en 2005), nous nous apercevons qu’il s’agit en fait d’un livre de commande. Un agent d’Hollywood cherchait un roman « sur les femmes qui travaillent ». Rona Jaffe qui a quitté le monde de l’édition après quatre année comme documentaliste et éditrice, pour se lancer dans l’écriture, va s’intéresser, puis se passionner pour ce sujet, reprendre ses propres expériences et celles de ses collègues, et dresse alors quelques portraits de très jeune femmes, âgées de 20, 21 ans, qui viennent de toute l’Amérique pour… se marier ! En attendant, il faut bien survivre et donc travailler.

On ne peut s’empêcher de penser que Caroline, l’héroïne principale de l’histoire possède de grands points communs avec Rona Jaffe : même milieu, mêmes études, même âge… L’authenticité qui se dégage de la description extrêmement nuancée de toutes ces femmes est surprenante. Nous sommes très loin de portraits stéréotypés qui suivront dans la plupart des sagas du même genre des années 80. Rappelez-vous, ces histoires où l’on trouve trois amies, la mangeuse d’hommes, la timide, la courageuse et fière ! Non, rien de tout cela avec ces héroïnes, toutes idéalistes avec défauts et qualités, venues avec des rêves de contes de fée de prince charmant ou de protecteur liées à leur éducation et leur conditionnement et qui soudain se heurteront à une réalité plus amère que douce.

Lorsque l’on dit que la série Mad Men est librement mais indéniablement inspirée de ce roman, c’est totalement vrai. Le créateur de la série a su retrouver l’atmosphère de ce récit à multiples personnages ! La vision que les femmes ont d’elles-mêmes laisseront stupéfaites les plus jeunes d’entre nous. Jona Jaffe ne juge personne mais la critique… comme la révolte, est sous-jacente. Nos héroïnes pourtant le plus souvent proches de leur mère, cessent bien vite de communiquer avec cette génération de femmes au foyer qui n’ont qu’une idée en tête les marier au plus vite pour qu’elles deviennent respectables. Les hommes utilisent ces filles (surtout en été, lorsqu’ils ont envoyé épouses et enfants à la campagne), puis les rejettent sans état d’âme ou souhaitent les épouser pour en faire de parfaites ménagères. Ils ont quinze ou vingt ans de plus, ont fait la guerre, se sont mariés jeunes… et aspirent à des aventures…

Le roman se déroule sur trois années, où l’on assiste à la transformation de Caroline, qui ne savait même pas que l’ambition pouvait être une qualité chez une femme. La confiance en elle acquise grâce à son travail lui permettra de résister à certaines tentations. April, qui se voyait actrice et chanteuse de music-hall, et qui vit avec ses rêves d’homme beau et riche, va apprendre à garder les pieds sur terre. D’autres tout aussi attachantes deviennent leurs amies : Barbara, mère divorcée de 21 ans que les hommes fuient, ou encore Gregg totalement incapable d’affronter l’existence seule. Dans le pool de dactylos, seul un mot fait démissionner les filles les unes après les autres : mariage (ou plutôt grossesse). Jamais un autre mot ne sera prononcé : carrière !

Rona Jaffe aborde des thèmes totalement tabous pour l’époque aux Etats-Unis : la virginité, le harcèlement sexuel, le divorce, la mysoginie, l’avortement, et le sexe sans amour. Surtout, elle évite toute leçon de morale ! Ecrit pourtant en 1958 par une jeune femme de 25 ans, et vendu à plusieurs millions d’exemplaires, ce roman laisse entrevoir (et c’est un euphémisme) les revendications féministes de la décennie suivante.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 549
Editeur : Presses de la Cité
Sortie : 22 septembre 2011
Prix : 22 €