Maternité avortée – Avis +

Présentation de l’éditeur

 » Je ne peux pas être mère. Je n’y arrive pas. Je veux avorter.  » Ces mots étaient bien sortis de ma bouche. Je n’en revenais pas. Je souhaitais interrompre cette grossesse, pour laquelle j’avais prié Dieu pendant plus de sept mois. J’avais l’impression de devenir folle. Ces mots, Irène Vilar les a prononcés ; à plusieurs reprises. Dans sa détresse, elle aura avorté quinze fois. Quinze fois en dix-sept ans… Une vie de souffrances et de drames, face à l’indicible.

Une vie pour apprendre à devenir  » maman « . Une vie pour apprendre à comprendre et à aimer sa propre mère. Aujourd’hui, Irène Vilar a 40 ans. Après plusieurs tentatives de suicide, elle a réussi à surmonter l’insurmontable et a donné naissance à deux petites filles. Maternité avortée est le témoignage bouleversant d’une femme qui ose raconter, avec des mots simples et universels, à quel point il est difficile de devenir mère quand on a, soi-même, manqué d’une mère.


Avis d’Enora

Le sous-titre de ce livre, Le témoignage d’une femme qui ne savait pas devenir mère, est on ne peut plus réducteur, car ce témoignage, celui d’une femme portoricaine, est aussi indissociable de son contexte culturel et politique que de son histoire familiale. Il suffit pour s’en persuader de lire le très instructif essai de Carmen Ana Pont : L’autobiographie à Porto Rico au XXe siècle : l’inutile, l’indocile et l’insensée.

Irène Vilar voit le jour dans une île empreinte de colonialisme qui entre 1955 et 1969 représentait une zone test sur les contraceptifs pour le gouvernement américain dont le programme raciste de contrôle des naissances incluait la stérilisation à tout-va, par ligature de trompes ou hystérectomie. En 1980 le taux de stérilisation de Porto-Rico était le plus élevé au monde. La mère d’Irène en fut elle-même une des victimes, à trente trois ans. L’expérience de la maternité et de la non-maternité s’inscrit donc aussi dans la révolte.

Entre en compte bien sûr, l’histoire personnelle d’Irène qui, quand elle avait huit ans, a vu sa mère se suicider en se jetant d’une voiture en mouvement. L’enfant qu’elle était a chercher à la retenir mais s’est vue repoussée. À ce traumatisme d’abandon, d’une mère qui choisit la mort plutôt que sa fille, Irène répondra par une automutilation, une répétition compulsive d’interruption de maternité, dans son impossibilité à devenir mère, elle qui n’avait pas suffisamment d’importance aux yeux de sa propre mère pour la retenir à la vie. Elle l’explique d’ailleurs très bien, en parlant de sa volonté d’échapper à une sensation de vide, d’exprimer sa souffrance, de punir son corps et d’avoir enfin là, une certaine maitrise de la situation quand elle n’en avait pas eu sur la décision de sa mère de l’abandonner.

S’ajoute à cela des frères accrocs à l’héroïne et un père qui se plaisait à humilier et rabaisser ses femmes successives. Père qui dictera quelque part son choix de compagnon, un homme qu’elle appelle son maitre, de trente ans son ainé, un homme plein de perversité qui se plaira lui aussi à l’humilier, à la dominer, à la maintenir dans un sentiment d’infériorité et à jouer de ses ambivalences de grossesse.

« La haine de la maternité est presque toujours une peur devant la mortalité », dit Nancy Huston dans Virevolte et bien que ça paraisse paradoxal, les grossesses interrompues sont à mettre en lien avec les nombreuses tentatives de suicide d’Irène. Cette compulsion de répétition à l’œuvre dans l’IVG renvoie à la pulsion de mort dans la mise en acte d’un mécanisme inconscient. La répétition témoigne d’une fixation au traumatisme et d’un échec de symbolisation qui amènent des passages à l’acte successifs. Ça peut devenir une forme d’addiction et la jeune femme dira à un moment « Je suis accroc aux avortements ». C’est aussi pour Irène, le refus de s’inscrire dans le générationnel, le refus de continuer un cycle infernal de femmes malheureuses.

« Irène Vilar s’insère dans cette famille de femmes en lutte avec leur corps, hantée par la maladie mentale, le désir d’écrire et l’acceptation de la banalité de la vie quotidienne, avec ses rôles traditionnels, les réduit » décrit bien Carmen Ana Pont qui la renvoie ainsi à Virginia Woolf et Sylvia Plath.

Ce n’est qu’en écrivant qu’Irène met en veilleuse cette compulsion mortifère, ce qui n’est pas étonnant sachant combien la création littéraire et artistique s’apparente à un acte de procréation. On ne peut s’empêcher de penser de nouveau à Nancy Huston et à son Journal de la création.

Ni apologie de l’avortement, ni autocritique, ce livre n’est que le récit d’une expérience personnelle sur la maternité, ses bonheurs, ses souffrances et ses incohérences dans un contexte socio-culturel précis. Un témoignage bouleversant d’une femme qui a eu le courage de raconter son destin tragique en sachant qu’elle prenait le risque d’être incomprise et jugée. D’ailleurs le récit d’Irène a déclenché une véritable polémique aux États-Unis, au Canada et en Angleterre, lorsque le livre est sorti.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 220
Editeur : Balland
Sortie : 16 avril 2010
Prix : 18,90 €