Stasiland – Avis +

Présentation de l’éditeur

Stasiland est un voyage au cœur de la Stasi, la redoutable police secrète de l’ex-RDA. Malgré la chute du mur de Berlin, cette terrible époque hante encore victimes et bourreaux. Ainsi Miriam Weber, 16 ans, retenue plusieurs jours pour un interrogatoire après avoir tenté de franchir le mur. Herr Winz, nostalgique du communisme, cette époque  » bénie  » où tous avaient un travail. Ou encore Frau Paul, séparé de son fils, hospitalisé de l’autre côté du mur. Témoignages, trajectoires, Anna Funder nous entraîne au cœur d’un régime camisole, figé par la peur, qui voulait contrôler jusqu’aux pensées de ses ressortissants. Mais dans la mémoire enfouie de tout un peuple, malgré le mur de silence qui a remplacé celui de la honte, ce pays existe toujours.

Avis d’Enora

L’Histoire

Rappelez-vous il y a vingt ans, le 9 novembre 1989, la RDA ouvrait ses frontières, c’était la chute du mur de Berlin.

Le mur c’était 155 kilomètres qui isolaient Berlin Ouest en plein cœur de la RDA, 302 miradors, 14 000 gardes et 600 chiens mais c’est aussi plus de 1000 personnes tuées en essayant de le franchir et près de 63 000 personnes poursuivies en justice pour avoir préparé des fuites ou avoir échoué dans leur évasion. Que se passait-il derrière ce mur ? Pour le comprendre, la journaliste australienne Anna Funder, passionnée depuis toujours par l’Allemagne et son histoire, est allée à la rencontre des habitants de l’ex-RDA, à la fois des victimes du régime et des dirigeants de la Stasi, l’ancienne police secrète née un an après la mise en place du régime communiste en Allemagne de l’Est (en 1949). La Stasi, le bouclier et l’épée du parti communiste, comprenait 91 000 fonctionnaires et 189 000 indicateurs pour 16 millions d’habitants (près d’une personne sur soixante)… Bienvenue à Stasiland.

L’histoire

C’est celle de vies ordinaires à travers des témoignages comme celui de Myriam arrêtée à seize ans pour avoir distribué des tracts et qui recherche toujours les circonstances de la mort de son mari soi-disant suicidé pendant son incarcération ; celui de Julia incarcérée pour être tombée amoureuse d’un italien et dont le refus de servir d’indicateur en espionnant sa propre famille, ruinera la vie ; celui de Frau Paul séparée pendant sept ans de son fils, après avoir refusé de livrer un étudiant qui organisait des passages à l’ouest ; celui d’Herr Bohnsack, l’ancien agent de la Stasi qui a volontairement détruit les dossiers de tous les journalistes infiltrés à l’ouest et de tous les citoyens ouest-allemands qui collaboraient avec la Stasi, ce qui lui a pris trois jours …

C’est aussi l’éclairage sur l’appareil tentaculaire et paranoïaque qu’était la Stasi et sur un des pires états policiers du monde : 260 kilomètres de rayonnages pleins de fiches et de documents sur les citoyens suspectés d’activités subversives ; 1600 sacs de lambeaux d’archives déchirées ou passées au broyeur après la chute du mur et que des « femmes-puzzle » s’efforcent de reconstituer afin de permettre aux gens de connaitre ce qui est arrivé à leurs proches disparus. On pense qu’il faudra près de 375 ans pour tout reconstituer…

La Stasi c’était aussi des arrestations sans mandat d’arrêt, souvent dans la rue ou pendant la nuit dans les appartements, sur le lieu de travail ; beaucoup de détenus ne savaient pas la raison pour laquelle ils avaient été arrêtés en détention préventive ; le manque d’information, les brimades, les tortures et même l’irradiation afin que les suspects laissent des empreintes radioactives où qu’ils aillent et que les agents de la Stasi puissent ainsi les retrouver grâce a un compteur Geiger individuel et portable.

La polémique

Ce livre a reçu un accueil très froid en Allemagne (coté ex-RDA) et le refus de publication de la part des éditeurs dont l’explication va du climat politique actuel à la partialité du traitement en passant par un questionnement plus virulent sur le fait qu’un étranger ne peut et ne doit parler d’un sujet dont il n’a pas été témoin oculaire… tandis que des éditeurs de Hambourg ont admis au contraire que ce regard extérieur contribuait à la qualité de son livre.

L’ouvrage d’Anna Funder retrace les portraits intimes et touchants de gens ordinaires pris entre le désir d’oublier et le besoin de se souvenir et il se lit comme un roman. Les entretiens se succèdent aux observations de l’auteur dans le style journalistique assez anglo-saxon et, soyons clair, il ne s’agit pas d’un documentaire – mais l’auteur n’a jamais affirmé être farouchement objective et n’a jamais nié son engagement émotionnel.

Le constat

Stasiland a le grand mérite de revenir sur un sujet et une époque que l’Europe a tendance soit à oublier, soit à taire, voire à s’en ficher. Il est donc intéressant à plus d’un titre, que ce soit pour les témoignages recueillis qui montrent la vie quotidienne de ces gens dans le souvenir de leur combat, de leur douleur mais aussi ce qui peut être moins compréhensible pour nous, dans leur culpabilité, leur peur, voire leurs regrets – Mauer in Kopf, le Mur dans la tête, c’est l’espoir ou la terreur de sa reconstruction – mais aussi comme témoignage de la manipulation psychologique des masses. Tantôt on reproche à l’auteur son engagement émotionnel tantôt son altérité mais en définitive cette dernière lui a permis de garder une certaine distance avec les événements pour pouvoir recueillir les confessions provenant d’individus éminemment différents, sans cacher pour autant ni l’empathie qu’elle éprouvait pour certains de ses témoins, ni son opinion sur l’atmosphère corrosive de l’état totalitaire.

En donnant la parole à ces gens ordinaires, en nous faisant écouter leurs histoires frôlant l’insoutenable, Anna Funder attise habilement nos réflexions. Nul doute qu’à la fin de cet ouvrage, le lecteur n’aura de cesse de se pencher sur les nombreuses revues qui sortent pour l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin. L’occasion peut-être pour les européens de mieux se connaitre à travers leur Histoire et l’espoir qu’ils en tirent des leçons pour leur avenir commun – quoiqu’à la lecture de ce livre ce soit plutôt le pessimisme qui nous envahisse…

Fiche technique

Format : poche
Pages : 381
Editeur : 10/18
Collection : Domaine étranger
Sortie : 1 octobre 2009
Prix : 7,40 €