Présentation de l’éditeur
Varsovie, 1942. La Pologne est dévastée par les nazis et les Soviétiques. Jan Karski est un messager de la Résistance polonaise auprès du gouvernement en exil à Londres. Il rencontre deux hommes qui le font entrer clandestinement dans le ghetto, afin qu’il dise aux Alliés ce qu’il a vu, et qu’il les prévienne que les Juifs d’Europe sont en train d’être exterminés. Jan Karski traverse l’Europe en guerre, alerte les Anglais, et rencontre le président Roosevelt en Amérique. Trente-cinq ans plus tard, il raconte sa mission de l’époque dans Shoah, le grand film de Claude Lanzmann. Mais pourquoi les Alliés ont-ils laissé faire l’extermination des Juifs d’Europe ? Ce livre, avec les moyens du documentaire, puis de la fiction, raconte la vie de cet aventurier qui fut aussi un Juste.
Avis d’Enora
Jan Karski, de son vrai nom Jan Kozielewski, fut un messager de la résistance polonaise durant la Seconde guerre mondiale. Arrêté par les soviétiques en 1939, échangé aux Allemands, il s’évade et rejoint la résistance à Varsovie. Polyglotte, il est choisi pour transmettre les messages entre la résistance sur le terrain et le nouveau gouvernement polonais qui s’est réfugié à Londres. En 1940 il est arrêté par la Gestapo, torturé et réussit à s’évader de nouveau. En 1942, il est abordé par deux responsables juifs polonais, l’un du mouvement Sioniste, l’autre du Bund. Ce dernier le fait rentrer clandestinement deux fois de suite dans le ghetto, afin qu’il témoigne de ce qui s’y passe, qu’il alerte les alliés et les leaders juifs du monde entier de l’extermination des juifs d’Europe et qu’il leur demande de faire passer des armes aux jeunes du ghetto qui veulent combattre. Karski rencontre, successivement, le ministre britannique des affaires étrangères, Anthony Eden, et le président des États-Unis Roosevelt mais aucun des deux gouvernements ne le croit. Les alliés ne tiennent pas compte de son témoignage. Désespéré, en 1944, il écrit son » Témoignage devant le monde « , mais son livre n’aura pas plus d’impact. Témoin impuissant, messager en échec, il se réfugiera dans le silence jusqu’à ce que Claude Lanzmann, à la fin des années 70, lui redonne la parole pour Shoah.
Yannick Haenel retrace la vie de cet homme dans son livre en trois parties. Les deux premières sont basées sur des documentaires (compte-rendu de ce qu’on voit et qu’on entend dans les quarante minutes de son témoignage dans Shoah, résumé de ce qu’il a écrit en 1944) et la dernière partie est une fiction. En voyant Jan Karski dans le film de Claude Lanzmann et sa douleur encore si présente, de messager non entendu, Haenel se demande de quelle nature était son silence et dans un monologue d’insomniaque, imagine comment cet homme est passé du messager au témoin muet. Haenel se défend d’asséner des vérités, il dit juste que ce monologue comme la littérature est de l’ordre de l’interrogation, que des questions restent entières, sur la passivité complice des alliés, sur le qui savait quoi, sur l’obscurité du pacte germano-soviétique. Il imagine que cet homme, dans la solitude et le silence de ses nuits sans sommeil, s’est interrogé sur la criminalité inhérente à l’humanité, mettant en cause l’idée même d’humanité et finissant par l’assimiler au pire du mal, le mal sans raison.
Son dispositif d’écriture brillant permet au lecteur de ne jamais se perdre entre ce qui est documentaire et ce qui est de l’ordre de la fiction littéraire. Cette dernière, par ses interrogations, a soulevé quelques polémiques : « Qui savait quoi ? Les alliés n’ont-ils pas réagi parce qu’ils étaient incapables d’imaginer l’impensable ou ont-ils vraiment été coupables de passivité complice, préférant laisser à leur triste sort des millions de Juifs européens plutôt que d’intervenir et d’être ensuite confronter à une immigration massive ou à un problème dans la politique menée en Palestine (voir l’absence de réaction des alliés en février 43 quand la Roumanie offrait de livrer 70 000 Juifs en Palestine moyennant 50 dollars pièce…) ? Le procès de Nuremberg n’a-t-il été qu’un masquage orchestré par les USA pour ne pas évoquer la question de la complicité des alliés dans l’extermination des juifs d’Europe ? Pourquoi cet abandon de la Pologne par les alliés aux mains d’un Staline qui s’était juré depuis 1920 d’anéantir tous les Polonais, et ce grand blanc de l’histoire au massacre de Katyn ? »
Yannick Haenel s’est glissé dans les insomnies de Jan Karski et a donné ses mots pour remplir le silence de cet homme, à partir de ce qu’il pensait être ses cauchemars. Il s’est voulu celui qui témoigne pour le témoin comme le laisse supposer la phrase de Celan, mise en exergue de son ouvrage.
Fiche Technique
Format : broché
Pages : 187
Editeur : Gallimard
Collection : L’Infini
Sortie : 3 septembre 2009
Prix : 16,50 €