L’hirondelle avant l’orage – Avis +

Présentation de l’éditeur

Printemps 1934.

Dans une Russie soumise à la terreur stalinienne, le poète Ossip Mandelstam, au péril de sa liberté, de son art et même de sa vie, compose un violent réquisitoire contre le maître du Kremlin, sous la forme d’une épigramme qui circule clandestinement jusqu’à ce que Staline en apprenne l’existence.

Par les voix alternées du poète et de ses proches – sa femme Nadejda, son amie intime la poétesse Anna Akhmatova et l’écrivain Boris Pasternak, futur auteur du Docteur Jivago -, L’Hirondelle avant l’orage raconte le douloureux périple de Mandelstam qui subira arrestation, torture et exil, pour avoir osé dire sa vérité.

Robert Littell, souvent considéré comme l’un des maîtres contemporains du roman d’espionnage, dévoile dans ce livre poétique un autre versant de son immense talent.

S’inspirant de la tragique destinée du grand poète russe, avec cet art qui lui est si particulier d’entremêler fiction et Histoire, il nous offre ici une méditation d’une force rare sur l’artiste face au pouvoir. À travers le récit de l’étrange fascination entre le poète et le dictateur, ce roman rend hommage à l’incroyable acte de défi de Mandelstam et explore toute la complexité de l’engagement de l’écrivain.

Avis d’Enora

C’est en 1979 que Robert Littell s’est rendu à Moscou pour rencontrer Nadejda Mandelstam, la veuve d’un des plus grands poètes russes du XXe siècle, Ossip Mandelstam. Une heure de conversation au cours de laquelle, elle lui a confié ses souvenirs, sa vie de souffrance sous les purges staliniennes et les répressions qui ont conduit à la mort de son mari.

Il a fallu trente ans à Robert Littell pour qu’il se sente enfin prêt à retranscrire cet échange qui l’obsède. Il se replonge alors dans l’œuvre du poète mais aussi dans celles de Boris Leonidovitch Pasternak et Anna Andreïvna Akhmatova, et dans les mémoires de Nadejda Mandelstam.

Le résultat est un livre superbe entre roman et témoignage dont le cœur est la confrontation du poète avec le dictateur. Confrontation imaginée, de deux êtres obsédés l’un par l’autre. Mandelstam persuadé que Staline était responsable des déportations, des purges, des exécutions et de la famine en Ukraine, provoquée pour punir les paysans qui résistaient à la collectivisation, cherchait à comprendre les mécanismes du pouvoir. Staline, lui, cherchait l’immortalité et comme tous les Russes était fasciné par la poésie. Son régime exterminait les poètes parce qu’ils étaient puissants et Mandelstam l’obsédait par son refus de plier et de lui offrir une dédicace ou un texte à sa gloire. Il le gardera en vie jusqu’à ce que pour sauver sa femme, le poète compose une ode à son honneur, alors Staline le cassera.

Littell nous livre ici un portrait de Staline en paranoïaque à l’intelligence aussi affutée qu’effrayante, qui ne croit pas à l’innocence et pense que la reconnaissance est une maladie de chien. En face de lui un Mandelstam, qui n’a jamais voulu plié contre l’oppression, qui joue avec sa tête comme il joue avec les mots, qui refuse l’anonymat ou la compromission pour sauver sa vie. Un homme qui ne pouvant plus prendre le risque d’écrire ses poèmes, les fera apprendre par cœur à sa femme, afin que mémoriser son œuvre lui donne une raison de survivre, si quelque chose devait lui arriver à lui.

En alternant le récit de sept personnages différents, Mandelstam, sa femme, leurs amis, sa maitresse délatrice, un garde du corps de Staline et un personnage imaginaire, hercule de foire accusé d’être saboteur à cause d’ une vignette de la Tour Eiffel sur sa malle, l’auteur retraçant les dernières années du poète, montre la résistance et la victoire de l’art face au totalitarisme. Il nous fait partager la complicité de ces poètes talentueux, unis par une langue commune, sorte de message codé qui leur permet de communiquer sous et entre les failles des mots. « Ce qui distingue la poésie de la parole machinale, c’est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. »

A travers leurs échanges c’est aussi toute une époque qui se déroule sous nos yeux, les arrestations, les déportations, la famine et la peur ; cette peur qui colle comme une seconde peau, qui nait d’un mégot oublié dans un cendrier, du regard un peu trop vif du passant que l’on croise, qui empêche de dormir avant l’aube (les arrestations ayant lieu la nuit). Cette peur dont le poète fera l’expérience, dans sa pleine mesure, lors de son emprisonnement à la Loubianka, et qui le transformera à jamais, en le poussant aux limites de la folie.

Biographie, témoignage, réflexion littéraire et politique, le nouveau roman de Robert Littell est tout cela à la fois. Mais surtout, il donne envie de découvrir ou de redécouvrir les œuvres de ce sublime poète que fut Ossip Mandelstam et c’est le plus bel hommage qui pouvait être fait à celui pour qui la poésie était offerte comme un partage, comme un lieu de rencontre avec tous les vivants, bien au-delà du temps.

« En me privant des mers et de l’élan et de l’aile, en donnant à mon pied l’assise d’une terre violente qu’avez-vous obtenu ? Piètre calcul ! Vous ne m’avez pas pris ces lèvres qui remuent « .

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 332
Editeur : BakerStreet
Collection : Littérature étrangère
Sortie : 26 mars 2009
Prix : 22 €