Extrait
« Elle s’interrogeait : qu’est-ce qui différencie ou caractérise ces cubes, ces carrés, ces rectangles, ces losanges, ces cavités, toutes ces innombrables fantaisies architecturales réunies sous le vocable habitations ? En dehors de leur forme, qu’est-ce qui en fait des demeures et non des sépultures ? Que s’y passe-t-il de si fort, de si réel, de si dynamique, de si tangible, qui ne puisse avoir lieu au cimetière et qui justifie qu’on appelât ces endroits des lieux de vie ? Vivre, ça couvre quelle superficie ? Quel sens donne-ton à ce verbe, au point de lui réserver des lieux ? Ne vit-on pas également lorsqu’on se promène en forêt, en traversant la rue ou en bandant ses muscles pour propulser sa barque sur un bras de mer lascif ? Les bureaux et les usines seraient-ils des lieux de mort ? (…) Et puis, parce que vivre c’est survivre à quelqu’un ou à quelque chose, à qui, à quoi renonçons-nous, humblement défaits ou dignement amputés, mais toujours inassouvis ? Betty avait pris sa décision : elle saurait quelles existences se cachaient derrière les fenêtres d’en face. L’obsession était née et installée en elle. Elle ne fit rien pour s’en distraire, au contraire, elle l’entretenait, comme un feu de bois par mauvais temps, minutieusement, patiemment. (…) Elle allait s’imbiber de la vie des autres, ignorant qu’elle y serait bientôt engloutie. »
Avis d’Enora
Betty, trentenaire solitaire, observe les fenêtres de l’immeuble d’en face. Tenaillée par la curiosité, elle butine, hume, capte le moindre renseignement sur ses voisins, s’imbibant de leur vie pour en nourrir la sienne. Son espionnage sociologique, comme elle aime à nommer son passe-temps, l’amène à s’attacher à une vieille dame du premier étage qu’elle surnomme la Mère Félicité. Ces deux femmes, que tout sépare ont la même soif d’amour mais aussi les mêmes défenses construites sur d’anciennes blessures. Quand Félicité est placée en maison de retraite par ses neveux, Betty s’aperçoit que l’absence de la vieille dame bouleverse l’équilibre de sa vie. Elle remue ciel et terre pour la retrouver et au fil de ses visites une véritable amitié va naître entre ces deux femmes, l’empathie qui les lie allégeant leurs souffrances. Betty conte à Félicité la vie de ses anciens voisins, et se nourrit, en retour, de ses souvenirs de jeunesse et de ceux des autres pensionnaires. Mais un jour, une nouvelle va bouleverser Félicité et la vie de Betty par ricochet…
Dans son troisième roman, Fatou Diome explore de façon originale, comme à son habitude, la solitude, les manques et les ratés de nos existences, qui font de nous des êtres toujours inassouvis. Elle nous parle de la vieillesse, que la société occidentale refuse, dans une quête de jeunesse perpétuelle et qui crée un grand malaise entre les générations, de notre besoin de justice, de nos attentes sans engagement, de notre besoin de rapprochement et de contact humain, de la disparition de l’écoute mutuelle, de notre envie de moduler la courbe de la vie à notre gré et surtout de notre désir de ne jamais perdre ceux que nous aimons.
Car inassouvies sont nos vies, inassouvis sont nos besoins de liens sociaux, amicaux, amoureux et inassouvie est notre envie de fuir une solitude qui revient aussi inexorablement que la marée. Tout cela avec une belle écriture poétique et musicale, une écriture du coeur qui résonne dans celui du lecteur.
Fatou Diome nous rappelle qu’au delà des douleurs et des laideurs de la vie, des deuils et des liens brisés, il faut savoir tirer de la joie du simple fait d’être vivant et d’inscrire le bonheur dans la perspective. « être heureux, ce n’est pas un don du ciel, c’est un talent, celui d’être en route vers nos quêtes »
L’Auteur
Fatou Diome est née au Sénégal. Elle arrive en France en 1994, et vit depuis à Strasbourg. Elle est l’auteur d’un recueil de nouvelles La Préférence nationale (2001) ainsi que deux romans Le Ventre de l’Atlantique (2003) et Kétala (2006).
Fiche technique
Format : broché
Pages : 270
Editeur : Flammarion
Sortie : 15 août 2008
Prix : 19 €