Des souris et un homme – Avis +/-

Présentation de l’éditeur

Comme plus de quarante millions de personnes en Europe, Nick a fréquenté un site de rencontres pendant un an. Une fois l’expérience terminée, pour cause de relation sérieuse, il a voulu raconter cette année torride…

Des centaines de touches virtuelles, cinquante-deux rendez-vous, vingt-sept qui finissent sous la couette : il faut être extrêmement organisé pour survivre à cette aventure harassante ! Petit guide à l’usage des dragueurs de la toile qui ne perdent ni leur lucidité ni leur sens de l’humour. Une expérience  » socio-érotique  » inoubliable…

Avis d’Enora

Nick alias Lewis Wingrove, 47 ans, est concepteur-rédacteur free lance et créateur, animateur du Forum JNSM, où les internautes échangent sur les thèmes des relations hommes/femmes et du virtuel. Apres dix ans de mariage, l’expérience déstabilisante d’un divorce et d’une relation avortée, il décide de « s’amuser ». Expérimentant afterworking, nightclubbing et speed-dating, il se tourne en définitive vers les sites de rencontres sur internet.



« Quadra cool, branché, postmoderne, propose câlins, virées, rires et pourquoi pas plus (mais ne tirons pas de plans sur la comète). Toi : charme, humour, physique avantageux, sensualité gourmande, intelligence pétillante, culture « actuelle » et ouverture d’esprit. Trentenaires bienvenues aussi.

Mode d’emploi suggéré : on chatte un peu, mais pas trop. On se parle au tél. Et ensuite éventuellement on se voit, car les compatibilités théoriques ne valent pas « le feeling » d’une vraie rencontre. Photo IM-PE-RA-TIVE (j’ai fait l’effort, alors toi aussi). Tu habites de préférence à XXXX. »


Honnête, il ne laisse jamais croire qu’il est ici pour une relation sérieuse, son optique étant « ludique et sensuelle ». Misant d’emblée sur la quantité, sa recherche devient un travail à plein temps, avec toute une stratégie. Il va d’abord mettre au point ses techniques de chasse, éliminant les hystériques, les impatientes, celles qui chattent en langage SMS et les moches – « en les branchant cul de façon frontale » pour qu’elles dégagent sans avoir à les blesser (sic !). De chat en portable et de portable en premier rendez-vous, il accumule un certain nombre de plans foireux et d’anecdotes. Vinrent enfin les rencontres sensuelles sous la couette et là – on oscille entre surréalisme et retour à l’adolescence – Nick nous offre 26 fiches techniques sur ses conquêtes dont il a eu la délicatesse de soustraire celle de la femme avec laquelle il continue une aventure actuelle, ouf !

Chaque femme se résume donc à quelques infos, surtout physiques, un historique de la rencontre, à une sexy synthèse (genre jolie chatte ou femme fontaine, une couette au pressing) et le nombre de fois où il l’a sautée, pardon, le nombre de moments sexy. Le tout sur 73 pages avant d’en arriver enfin au « pourquoi avoir voulu raconter tout ça ? » et c’est bien la question qui taraude entre fous rires et désespérance ! On apprend alors, que c’est par une sorte de suite logique. Nick a commencé à raconter ses aventures à tous ses copains qui « se bidonnaient » et qui concluaient leurs éclats de rire par le souhait qu’il en fasse un livre. Donc, pour raconter sa folle année sur le site de rencontres, il commence par lancer un blog « J.N.S.M – un blog sociocul » – abréviation pour Je Nique Sur M*. Le forum associé connaît aussitôt un énorme succès, plus de 5 millions de visiteurs et fait de Nick « la chose des médias » comme il le dénonce dans ce récit.

Alors que dire de ce livre ? Nick aurait pu en faire un roman plutôt que de vouloir donner dans le genre expérience « socio-érotique » ; c’est bien écrit et drôle et ça aurait enlevé le coté exhibitionniste dérangeant en mettant une certaine distance et évitant ainsi de mette les lecteurs en position de voyeurs. Les bons romans comme les bons films sont métonymiques, disait Lacan : « Si les grands romanciers sont supportables, c’est pour autant que tout ce qu’ils s’appliquent à nous montrer trouve son sens, non pas du tout symboliquement, non pas allégoriquement, mais par ce qu’ils font retentir à distance ».[[Jacques Lacan, Les voies perverses du désir]] Et la distance est ce qu’il manque à ce livre, écrit sous forme d’expérience et qui devient de ce fait, un vrai témoignage de société, du voyeurisme social actuel.

Depuis les émissions de téléréalité où les gens déballent leurs secrets de famille comme dans les émissions de Mireille Dumas, en passant par le Loft et La vie sexuelle de Catherine M, l’exhibitionnisme fait recette, tous les moyens modernes de communication s’offrent à satisfaire notre coté voyeur , « dans le triomphe actuel du voyeurisme, c’est un nouveau code de relations sociales qui transparaît. »[[Le triomphe du voyeurisme, de Jacqueline Remy, Jean-Sébastien Stehli, Denis Jeambar et Gilbert Charles, le 03/12/2003, pour l’Express]]. La notion d’intime disparaît, il est de bon ton et « branché » d’afficher une transparence de la vie privée et de la sexualité. Or il s’agit d’un retour en arrière, d’un temps où avant Descartes, il n’y avait pas de frontière entre société et individu. «On revient au phénomène ancien, affirme Maffesoli. Tout est désormais sur la place publique… Il y a perte de soi dans l’autre. Le propre du tribalisme actuel, c’est : je suis pensé par les autres.».

L’autre devient l’image de ce que je suis ou surtout de ce que je voudrais être, il me permet de vivre ma vie par procuration. On entre chez les autres, dans leurs affects, dans leur sexualité, comme si on pouvait y trouver un mode d’emploi à la nôtre, comme si on y cherchait une norme. Et c’est bien ça qui est dangereux, cette recherche normative à quelque chose qui est à l’origine unique et réinventé à chaque fois par l’imagination de chacun. Si la sexualité devient une affaire publique qui glisse de la sphère de l’intime, comment peut-on imaginer que les adolescents se construisent sereinement dans notre société?

C’est en tout cela que ce livre est à la fois dérangeant et intéressant par le questionnement qu’il fait naître.

Fiche technique

Format : poche

Pages : 215
Editeur : Pocket
Sortie : 6 mai 2008
Prix : 6,40 euros