Allah superstar – Avis +

Présentation de l’éditeur

Une fatwa, voilà ce qu’il me faut pour devenir à la mode. C’est plus rapide que Star Academy, ça dure plus longtemps, tu voyages dans le monde entier, tu donnes des conférences, tu descends dans des palaces, tu montes sur scène avec U2, tu prends le thé avec le pape, une bière ou deux voire trois avec Chirac, une vodka givrée avec Poutine, un cigare humide avec Clinton, une grosse ligne avec Bush Junior, un masque à gaz avec Saddam Hussein, à chaque fois que tu dis une connerie tout le monde entier il t’écoute vu que tu as une fatwa au cul le pauvre, alors que le monde entier il est autant dans la merde que toi vu que c’est bientôt la fin du monde pour tout le monde.

Avis d’Enora

Dans ce quatrième roman, Yassir Benmiloud nous conte l’histoire d’un jeune maghrébin de banlieue, de cette génération bercée par deux cultures qui veut échapper à un destin tout tracé « Je vais me couper de mes racines et tu veux le savoir, je m’en bats les couilles, moi ce qui m’intéresse c’est pas les racines mais les branches. Comme j’ai déjà dit, l’important c’est pas d’où tu viens mais où tu vas ». Pour cela il veut devenir une star du comique comme Jamel Debbouze, « Dans le comique contrairement à la vraie vie, les Français ils sont pas racistes, comme quoi si tu es bronzé dans ce pays, tu as deux possibilités : soit tu fais peur, soit tu fais rire. » Perdu dans une société où il ne trouve pas de références à part l’argent et la gloire, il choisira les deux.

Avec humour et sarcasme, YB, en parfait journaliste, pointe par la voix de son héros Kamel Léon Hassani, 19 ans, tous les dysfonctionnements, les partis-pris, les clichés et les idées reçues. Ecrit dans un langage parlé, mêlant l’argot français et algérois, il a le don des formules qui font mouche. Son humour acide et son cynisme lui permettent de parler de problèmes graves et tristes en amenant le sourire chez ses lecteurs. Tout y passe, les médias (« Au JT, un accident de voiture en Europe, çà passe toujours avant le naufrage d’un bateau en Afrique. Les présentateurs on leur apprend çà à l’école de journalisme, les enfoirés, ils appellent çà le mort-kilomètre, genre plus c’est loin, moins c’est grave« ) ; le showbiz ; la politique ; le Coran (« Je résume : l’islam c’est l’exploitation de l’homme par Dieu, l’islamisme c’est le contraire ») ; l’Islam ( « dans les républiques islamiques ils vivent pas… c’est comme la lumière des étoiles mortes, ça sert juste à donner une idée de comment c’était au moyen âge ») ; les Musulmans (« « Nawel, elle a pas pu venir à mon spectacle à cause que dimanche soir, elle va en boîte ; normal, elle n’a pas de frère.. ») ; Al-Qaïda ; les attentats ; les tournantes ; les dealers ; les FDS , français de souche (« Je veux dire que leur vrai problème planqué derrière leur inconscient c’est l’Algérie en vérité, et l’Algérie française c’est ici et maintenant, vu qu’on a fait de la culture biologique avec des cellules souches d’immigrés dans des couveuses de banlieues où le thermostat tellement il est niqué à la base que c’est plus des couveuses c’est des cocottes minutes, et quand tu t’amuses à cloner la déculturation je te dis pas comment après tu en bouffes du mutant en bas âge prêt à l’usage » ) ; le racisme (« Le respect c’est quand on te dit il faut t’intégrer dans la mixité sociale et qu’on te laisse pas entrer en boite mais en mosquée ») ; le terrorisme… La question qui se pose alors est : peut-on rire de tout ? L’autre question que soulève aussi YB dans son livre est celle de la liberté, où s’arrête-t-elle par rapport au respect de l’autre ? N’y-t-il pas ambigüité à condamner les jeunes qui sifflent la Marseillaise au stade de France et à autoriser les Versets Sataniques ? La libre expression n’est pas une offense a écrit Salman Fredich Rushdie. Est-ce le mode d’expression qui est remis en cause ou le message qui n’est pas entendable ? Et pour qui ?

A travers tous ses sarcasmes YB , avec de nombreuses références culturelles, sème des pistes de réflexions et soulève de nombreuses questions sans pour autant se poser en donneur de leçons. Même si on peut le trouver parfois un peu lourd, l’humour est l’arme qu’utilise avec brio, YB, pour dénoncer le fanatisme, le racisme, l’extrémisme et toutes les causes en « isme » qui vont à l’encontre des Droits de l’Homme ou plus simplement du droit pour tout individu à exister.

Avis de Marnie

Quel étonnant roman écrit comme un stand up, sans beaucoup de ponctuation dans une sorte de logorrhée tout d’abord djamelienne puis… qui prend de l’ampleur, amertume, désillusion et spectre d’un inéluctable destin qui s’approche peu à peu et dépasse le narrateur, un jeune arabe habitant Evry, mentalement à des milliers de kilomètres de Paris (mais est-ce seulement faux ?) ou il rêve de devenir célèbre et riche.

L’auteur Y.B., prend le rythme, le ton et le vocabulaire d’un jeune de banlieue, utilisant les clichés d’usage, tout en détournant certains, profitant soudain d’un trait d’humour pour soudain nous assener des vérités dérangeantes, des opinions et des perspectives non politiquement correctes qui nous font nous poser des questions sur nous-mêmes.

Cela part un peu en tous les sens, tout le monde en prend pour son grade, que ce soit d’un côté ou de l’autre, pour se focaliser sur une seule idée, simplifiée par ce que l’on appelle fracture sociale, mais qui se raconte comme un mal être d’une certaine jeunesse qui se trouve trahie par ses propres repères. Fasciné par l’esprit de dérision de comiques comme Woody Allen, Gad Elmaleh, Smaïn, Jamel Debbouze et les Guignols de l’info, tout cela se mélange dans sa tête avec une première idée qu’il va peu à peu être entraîné à perdre de vue : l’important c’est pas d’où tu viens mais où tu vas. Or, au fur et à mesure qu’il va discuter avec sa famille, ses amis, son conseil religieux, les nouvelles rencontres, le monde du showbiz, l’image qu’il représente va l’engloutir…

Au final, la réflexion de Y.B. est vraiment passionnante… certaines formules portent et même nous agressent tout en nous réveillant également dans notre confort quotidien, et tant mieux ! On regrettera juste certaines ambiguïtés liées au fait que notre héros véhicule certaines idées simplistes et naïves pour mieux nous prouver que les deux camps sont aussi fermés s’agissant d’opinions arrêtées réductrices. Ce faux premier degré se heurte à d’autres propos du jeune homme qui nous parle aisément d’émissions comme le masque et la plume ou rive droite, rive gauche… ce qui est franchement dans le contexte, peu crédible.

Donc, voici un roman très intéressant qui se lit avec une vraie facilité, comme un long sketch dont les propos deviennent de plus en plus puissants et qui s’affinent au fur et à mesure que le héros découvre ce qui se passe de l’autre côté du miroir… une sorte d’Alice au pays des merveilles qui comprend qu’il restera enfermé et utilisé quoi qu’il décide, quoi qu’il fasse, quoi qu’il pense et même s’il ne pense pas. Une sorte d’analyse qui se veut ludique mais qui reste surtout lucide !

Fiche Technique

Format : poche
Pages : 218
Editeur : Le livre de poche
Sortie : 23 mars 2005
Prix : 5 €