Présentation de l’éditeur
Paris, 1947. Espérant guérir sa fille amourachée de son prince charmant, Hilma a envoyé Signe à Paris. Le résultat de ce séjour est l’inverse des espoirs de la mère: il donne le coup d’envoi à la carrière de dessinatrice de mode de Signe en faisant d’elle l’ambassadrice du new-look en Suède, et aboutit à un tempétueux mariage d’amour avec Lars-Ivar, l’homme de sa vie. Signe s’affranchit du joug maternel. Lars-Ivar, artiste encore en attente de reconnaissance, s’occupe des enfants. L’impossible Signe n’a-t-elle pas tout pour être heureuse? Elle se met à écrire. Pour Lars-Ivar, c’est la dernière des trahisons.
Avis d’Enora
La rage d’être libre est le dernier tome de la trilogie de Signe de l’écrivain suédois Kerstin Thorvall. Née en 1925 à Eskilstuna, Kerstin se rebelle très vite contre le puritanisme et le carcan imposé aux femmes. Après une carrière comme dessinatrice de mode, elle se consacrera à l’écriture à partir de 1959. Elle commencera par des romans pour adolescents sur les problèmes de la puberté puis pour adultes, en abordant des sujets qui feront scandale, comme Tabou en 1976, récit autobiographique sur sa jeunesse, perdue entre une mère rigide et pieuse et sa passion incestueuse pour son père. A la suite de cette publication, Kerstin Thorvall, démolie par une critique virulente, émigre en France. En 1993, après son retour en Suède, elle publie Le sacrifice d’Hilma, premier roman d’une trilogie largement inspirée de sa vie et qui lui vaudront enfin la reconnaissance de son talent.
Le sacrifice d’Hilma met en scène une jeune et naïve institutrice du nord de la Suède, qui a grandi dans la crainte de Dieu ainsi que dans les valeurs du travail et du renoncement. En visite chez sa cousine, elle tombe sous le charme d’un maître-auxiliaire, issu du sud du pays, Sigfrid Tornvall (sic !). Le mariage est arrangé très vite. Lors de la nuit de noce, Sigfrid dévoile sa nature maniaco-dépressive et la violence de ses perversions sexuelles. Mariée pour le meilleur et pour le pire, Hilma va devoir survivre pour elle et surtout pour sa fille, Signe. Ce livre qui a obtenu le Prix Moa Martinsson, est remarquable non seulement par l’approche psychologique des personnages mais aussi pour la peinture sociologique de la Suède des années 30. Le titre original qu’on pourrait traduire par « Quand on tire sur les ouvriers« , met bien l’accent sur cette période de troubles avec les grèves d’Ådalen, le décalage entre le nord puritain et le sud plus progressiste ainsi que sur le rapport de la Suède avec l’Allemagne en cette époque de montée du nazisme.
Dans Les années d’ombre, on retrouve Hilma, veuve. Si c’est pour elle la fin du calvaire conjugal, c’est aussi la difficulté d’élever seule sa fillette. Avec l’arrivée de la puberté chez sa fille, Hilma surveille le moindre signe de l’atavisme paternel. Nous sommes encore aux balbutiements de la psychiatrie et tout est censé se transmettre par le sang. En écho des inquiétudes de sa mère, Signe vit les changements de son corps dans l’angoisse. Les années sombres sont aussi celles des prémices de la seconde guerre mondiale et des difficultés de la Suède pour garder sa neutralité.
La rage d’être libre
Le titre original de ce roman, sous titré roman-miroir, est « De Signe à Alberte ». Ce livre se présente comme une lettre ou un journal que Signe adresse à Alberte. Pour les lecteurs francophones qui ne connaisse pas l’écrivain norvégien Cora Sandel, il faut préciser qu’Alberte Selmer est un autre personnage d’une trilogie très connue des femmes scandinaves. Comme Signe, c’est une femme enfermée dans le carcan des conventions qui ne lui laisse de place que comme épouse et mère. À force de combats, Alberte va réussir à trouver sa voie en tant qu’écrivain et à se réaliser en tant que femme libre et autonome.
Nous sommes à Paris en 1947 où Hilma a envoyé sa fille pour la protéger de «ses instincts et de son atavisme». Le résultat sera à l’inverse de ce qu’elle espérait : Signe commence avec succès une carrière de dessinatrice de mode et surtout elle épousera Lars-Ivar. Malheureusement, Signe s’est affranchie du joug maternel pour tomber sous celui de son mari. Commence alors insomnies, angoisse et crises de larmes qui s’amplifieront avec l’arrivée de son premier bébé. A l’époque on ne connaît pas encore le mécanisme de la dépression du post-partum. Ici tous les facteurs psychologiques et affectifs sont en place pour la favoriser : la haine de sa mère qui la considère comme une erreur conçue le lendemain du retour d’internement psychiatrique de son père, l’idéalisation du père, la perversion de son mari qui n’aime que les gens qui dépendent de lui et ne le remettent pas en question, son manque d’estime de soi, dû à son enfance et renforcé volontairement par Lars-Ivar et cette peur de la folie héréditaire, véritable épée de Damoclès que sa mère s’est évertuée à mettre en place. Un sursis lui est donné quand on retrouve une cause biologique. Malheureusement une fois soignée pour sa thyroïde, les angoisses reprennent de plus belles et la confortent dans le fait qu’elle ne pourra jamais être l’épouse, la mère et la femme normale qu’elle avait espérer devenir. Étouffant littéralement dans le moule familial, elle ne trouve un peu de répit que pendant ses fugues. Personne ne la comprend, car elle a apparemment tout pour être heureuse, de beaux enfants, un mari aimant qui en plus, est suffisamment bon père pour s’occuper de ses fils pendant qu’elle travaille. Cela la conforte dans la croyance qu’elle est tellement invivable que les accès de violence de son mari sont mérités, le besoin d’être punie est couplé à l’angoisse de mort et n’importe quelle punition est préférable à la mort. Étiquetée comme hystérique, Signe va trouver son salut en mettant au monde son quatrième enfant, né cette fois d’un véritable amour. Après avoir eu des angoisses mortifères tout au long de sa grossesse, c’est elle qu’elle met au monde en même temps que ce bébé. En écrivant au jour le jour son journal de maternité, elle trouvera enfin sa voie et son indépendance. Véritable travail cathartique, elle analysera toutes les manifestations d’angoisse comme les symptômes de sa rage, de son impuissance et de la difficulté à s’aimer, à exister par et pour elle-même et non pas à travers le désir de l’autre, mère ou mari.
Kerstin Thorvall développe avec brio des thèmes qu’elle connaît bien, l’étouffement d’une éducation puritaine, la difficulté à être épouse et mère, le besoin de liberté sexuelle, la rébellion des femmes pour pouvoir s’affirmer dans leur individualité et leur indépendance. A travers une écriture riche et variée, l’auteur non livre un récit dramatique mais jamais dénué d’humour : « Mon premier baiser ne se passa pas du tout comme je l’avais imaginé. Le monde ne disparut pas. Je ne fus pas envahie par une délicieuse extase. Au lieu de ça, je remarquai sans la moindre ivresse combien ses lèvres étaient étrangement larges et humides et que j’étais mouillée jusqu’au nez. De cela, il n’avait été question nulle part, dans aucun roman pour jeunes filles ni aucun feuilleton de magazine » et plus tard : «J’ai appris à répondre à ses larges baisers mouillés sans en avoir jusque sur le nez »
Elle dresse le portrait d’une femme complexe et vraie qui se livre avec simplicité et pudeur. Soixante ans plus tard, son analyse des relations de couple et de la maternité trouveront encore écho en beaucoup de lectrices. Car le rapport de la médecine avec les femmes et la maternité, leur place dans la société et dans la religion sont encore des sujets brûlants et d’actualité. En cela, l’œuvre de Kerstin Thorvall reste un témoignage résolument moderne.
Fiche technique
Format : broché
Pages : 442
Editeur : Le Serpent à Plumes
Sortie : 14 février 2008
Prix : 21,50 €