La maison des orphelins – Avis +

Résumé de l’éditeur

Dans la Finlande de 1900, bruissante du vent de la révolte contre la Grande Russie, un roman poétique, délicat et fiévreux, la métamorphose amoureuse d’une adolescente et son parcours initiatique vers l’indépendance et la liberté.

Orpheline, la jeune Eeva est placée comme domestique chez Thomas Eklund, un médecin de campagne veuf. D’abord apaisée par la présence rassurante de cet homme réservé et bon, Eeva se sent bientôt étouffée par le jugement et les commérages des habitants du village. Désireuse de s’affranchir de son humiliante condition d’orpheline et de commencer enfin sa vie, elle part rejoindre Lauri, son ami d’enfance, à Helsinki.
Avec ce presque frère, elle voudrait une amitié différente. Mais Eeva peine à se faire une place dans le cœur de Lauri, accaparé par la lutte politique et par l’amitié jalouse de Sasha, un étudiant tenté par l’action révolutionnaire.

Les sentiments exacerbés, les rivalités et le combat pour la liberté vont précipiter le trio amoureux dans un drame qui bouleversera irrémédiablement leur existence…

Avis d’Enora

Eeva a été envoyée dans un orphelinat au cœur de la Finlande après que son père soit mort de tuberculose. Elevés à la dur et sans affection pour les préparer à la vie qui sera la leur en ce début du XXe siècle, nombreux sont les enfants qui y meurent malgré les soins du médecin du village Thomas Ecklund. Recueillie par ce même docteur, Eeva n’a de cesse de retourner à Helsinki pour retrouver Lauri, son ami, son « frère ». Mais rien ne sera comme elle l’avait prévu, Lauri a changé, le monde a changé, pris dans les tourmentes des luttes politique dans lesquelles la Finlande est plongée pour se soustraire à la domination russe.

Avec son style brillant et poétique, Helen Dunmore nous emmène sur les traces de son héroïne, une jeune femme volontaire, indépendante, courageuse : «Personne ne donne de chance à personne. Chacun doit se construire la sienne ». Elle nous fait découvrir avec bonheur un passage de l’Histoire assez mal connu, le temps où l’Empire russe avait annexé la Finlande pour en faire un grand-duché dépendant, ce qui amena la population à se soulever et se solda par l’assassinat, en 1904, du gouverneur Nikolaï Bobrikov. On assiste en parallèle à la réappropriation de la liberté par cette nation et la conquête par Eeva et Lauri de leur maturité à travers des prises de positions difficiles.

Mêlant réflexion et romance, sensualité et Histoire, Helen Dunmore nous livre une fois encore, un roman passionnant, émouvant avec en prime un très beau portrait de femme.

Avis de Marnie

Ce que l’on ressent surtout en premier lieu, c’est la satisfaction d’avoir été profondément touché par l’écriture de ce roman. L’écrivain britannique, Helen Dunmore, nous conte ici une très belle histoire aux multiples subtilités et degrés d’appréciation. Pour ma part, je ne connaissais pas ses autres livres, mais je vais m’empresser de remédier à cette lacune.

C’est l’originalité du contexte historique qui m’a tout d’abord intéressée. Ainsi, je conseille de lire la postface afin de connaître les évènements qui ont précédé et surtout succédé au récit qui se déroule en fait sur deux années, de 1902 à 1904, se situant en pleine ruralité finlandaise pour se terminer à Helsinki. Gouvernée depuis le 13e siècle par la Suède qui l’a colonisée puis évangélisée, à l’époque napoléonienne, elle a été abandonnée au tsar et la Finlande devint un grand-duché autonome de l’empire russe. Lorsque commence ce récit, depuis plusieurs années, le tsar Alexandre II tente de russifier cette région, souhaitant l’annexer. A l’aube du 20e siècle, le monde change et les transformations atteignent de plein fouet Helsinki. Entre les dirigeants et les classes bourgeoises dominantes qui parlent suédois, et qui souvent libéraux, mais capitalistes tentent de garder un certain équilibre dans leurs relations avec la Russie et la Suède, le peuple dont la langue est le finnois et qui émigre en masse vers l’Amérique, véritable terre promise, une société gangrenée par la police secrète, l’Okhrana aux ordres de la Russie, qui s’infiltre dans tous les milieux, les étudiants qui sont partis faire leurs études à Saint-Pétersbourg et qui reviennent avec de nouveaux idéaux marxistes, ou même anarchistes… un bouleversement profond de la société est en marche.

Lorsque commence le récit, en pleine campagne finlandaise, un médecin, Thomas, veuf depuis peu, en visite dans un orphelinat, remarque une jeune orpheline de 15 ans, Eeva, énergique mais silencieuse et mystérieuse, qui s’occupe avec dévouement et bon sens, des autres enfants. Il la prend à son service, et l’adolescente se révèle peu à peu… C’est ainsi que vont se nouer les liens entres les divers personnages qui traversent le roman. L’étonnement vient du fait que suivant la personne qui observe ou raconte, les caractères de tous ceux que nous avons découvert, sont différents, parfois plus antipathiques, plus faibles ou plus excusables malgré la mesquinerie dont ils font preuve. Le regard du lecteur s’en trouve modifié, et le récit profondément enrichi par des personnalités aux multiples facettes… si humaines.

Ainsi, que dire de Thomas qui paraît de prime abord le type même du médecin de campagne, passé à côté de sa vie, de ce qui aurait pu être, s’il avait été plus fort, plus éclairé, ou plus courageux… et qui se met soudain à rêver à l’inaccessible ? Anna-Liisa, la directrice de l’orphelinat, vieille fille aux certitudes si établies, au dévouement exemplaire, et au pessimisme jamais déçu, qu’elle en oublie d’avoir un cœur ? Lotta, l’amie si sympathique, en proie aux désirs et à l’insatisfaction inavoués et qui souhaite surtout que son monde ne change pas ? Lori, l’étudiant, fils de militant marxiste, qui souhaite par-dessus tout éviter la russification de son pays, mais quel prix est-il capable de payer ? Sasha, l’activiste au passé mystérieux, qui pense que seule le terrorisme est la réponse, mais qui oublie que ceux qui paieront de leur vie sont aussi des humains ? Magda, la petite bourgeoise allemande intellectuelle, éprise d’idées nouvelles sur les droits et l’indépendance de la femme, et qui ne comprend pas la différence entre la pauvreté et la misère…

Surtout, il y a Eeva… une héroïne de 16 ans, que l’on va vite identifier à son pays, la Finlande. Elevée par un père aux idées progressistes, elle parle finnois, suédois et russe. L’adolescente apprend l’anglais, lorsque son père meurt. Qu’importe si la jeune fille est brillante et éduquée, lorsque l’on se retrouve dans un orphelinat perdu au milieu d’une bourgade de campagne, la seule possibilité est de devenir une servante dans une ferme, esclave anonyme, ou encore comme par miracle, s’élever dans sa condition en devenant la bonne d’un petit bourgeois. L’autre alternative qui résonne comme une menace est de repartir en ville pour terminer dans la déchéance, une fille perdue… Mais, Eeva, va refuser l’avenir qu’on lui impose !

Helen Dunmore décrit avec subtilité et délicatesse, la vie difficile mais sans surprise, au sein des majestueuses plaines et collines verglacées, de cette campagne endormie près de neuf mois de l’année, ancrée dans ses traditions passéistes, passant soudain à l’émerveillement et au plaisir sensuel d’un été aux multiples couleurs, douceurs symbolisées par la sève et les fruits, le renouveau magnifiquement évoqué par cette chaleur que le lecteur ressentira au plus profond de lui-même. Soudain, le rythme change pour adopter un rythme saccadé, trépidant, puisque nous sommes alors à Helsinki, la ville qui se transforme si vite, qu’on oublie le nom des nouvelles rues. L’auteur nous raconte l’exode rural vers les usines plantées au milieu des villes, puis la multiplication des départs vers le nouveau monde, les idées révolutionnaires qui se propagent si rapidement, ou encore le danger qui se rapproche puis cerne de façon inquiétante des jeunes idéalistes peut-être trop naïfs ou confiants…

Voici donc une fresque lyrique, aux accents poétiques, une belle histoire d’amour, où l’on trouvera haine et trahison, avec au final, un beau portrait de jeunes gens, faisant face aux illusions perdues, l’utopie étant rattrapée par la réalité, avec l’espoir d’un monde meilleur, qui se profile à l’horizon. C’est ici que le lecteur identifiera Eeva à son pays : le libre arbitre, l’indépendance et l’envie de vivre sans perdre son âme, seront plus forts que tout…

Fiche Technique

Format : broché
Editeur : Belfond

Collection : Les Etrangères
Sortie : 7 septembre 2007
Prix : 21 €