Le Monde Intervalle – Avis +

Présentation de l’éditeur

Parce qu’Anne Sibran est persuadée que « rien ne nourrit l’art comme la vie, que l’œuvre devient un cimetière, le musée d’un savoir-faire, d’une écriture ou d’un style sans la merveilleuse contrainte de l’inattendu », elle tient depuis plus de dix ans ces chroniques, en parallèle de son travail de romancière. Corridors entre l’écriture et le réel, elles témoignent de leur étroite imbrication.

Avis d’Enora

Apres un un DEA de philosophie et une licence d’ethnologie, Anne Sibran s’est tournée vers l’écriture : ouvrages pour la jeunesse, scénarii de BD (dont le superbe roman graphique La terre sans mal, dessiné et colorié par Emmanuel Lepage, qui a obtenu de nombreux prix), fictions pour France Culture et romans.

Dans Le monde intervalle, l’auteur nous livre des chroniques qu’elle écrit au fil du temps en parallèle avec son travail de romancière. Avec une écriture éminemment poétique, elle nous dévoile son âme et sa vision du monde, partage avec nous cette communion profonde qu’elle entretient avec tout ce qui est vivant, de la souffrance des fleurs condamnées à n’être que l’ornement d’une soirée, à l’agonie d’un homme qu’elle bercera sur ses genoux pendant ses derniers souffles. Car les choses, la nature, les événements, les êtres, tout ce que nous côtoyions, traversent nos vies en y laissant des traces.

Anne Sibran renvoie à ces prêtresses du monde celtique, ces êtres qui voyagent dans un monde intermédiaire, franchissant les limites, les frontières :

– frontière entre le monde des vivants et celui des morts; petite fille elle avait des rêves prémonitoires sur la perte des gens qu’elle aimait .

– frontière entre les êtres, qui comme la vie, nous ébouriffent, nous bousculent, nous mélangent ; témoin ce Mâjnoun devenu fou après avoir été enterré vivant par les Américains en Irak ou Kathleen, cette vieille femme qui à quatre-vingts ans, demeure gourmande et éblouie par la vie.

– frontière entre l’homme et la nature ; l’âme de l’arbre coupé qui perdure dans le chant du violon, la renvoie à un temps où l’arbre et l’homme s’écoutaient mutuellement ; sa grand-mère exilée, qui garde un peu de terre de Djidjelli est comme un arbre déraciné qui conserve la terre de sa provenance ; le bonheur de contempler l’oscillation des feuilles lui fait ressentir le regard des branches gorgées de lumière.

– entre le monde humain et le monde anima l; quand enfant, cachée dans le jardin pour échapper à son père, elle sera veillée toute la nuit par un chat inconnu.

– entre le réel et l’éphémère : « Ainsi s’éparpille le poème partout ou il surgit, chant éphémère…il suffit de trouver l’intervalle : ce moment ou la phrase regarde le ciel juste avant que le vent ne vienne tout effacer »

Elle convoque les bonheurs qui se cachent au cœur des plus intimes sensations: des premières émotions d’une mère au simple fait de marcher pieds nus dans l’herbe au printemps et d’éprouver ce que l’on connaît par d’autres sens, comme dans une expérience amoureuse . Le bonheur est lié à la mémoire aussi, les bons comme les mauvais souvenirs familiaux nous construisent et de son père elle détient le «syndrome de l’ogre» qui la mènera à l’écriture, l’art de porter d’autres vies, l’art de faire éclore les mystères que l’on recèle.

L’écriture est son souffle de vie, les mots la retiennent au bord du monde, relient ses journées « Saurais-je un jour me tenir droite sans l’aide d’un crayon ? », mais le roman se nourrit des rencontres, le journal est là justement pour maintenir la porte ouverte sur les autres, sur le monde, sur le vivant, sur l’humour aussi « Une odeur étrange envahit la voiture. L’amie canadienne me dit que c’est une mouffette amoureuse, une effluence émise à plusieurs kilomètres au moins. Elle explique que l’homme n’a encore pas trouvé une substance capable de couvrir ou d’atténuer cette odeur à part la sauce tomate, qu’il est de coutume d’étaler sur le chien qui s’est fait empuer par une mouffette au printemps. Est-ce que le hot-dog ne serait pas un avatar de cette tradition étrange qui consiste à dissimuler le dégoûtant sous une sauce écœurante et sucrée ? ».

Le mystère de la vie ce sont aussi nos choix, nos élans, nos désirs. L’auteur s’interroge sur son penchant pour le quechua, le Pérou, parmi toutes les cultures du monde et en même temps nous en donne la réponse « Le quechua est la langue de la déambulation, ce grand parler de l’intervalle, où certaines intonations ressemblent au bruit d’une pierre qui roule sous le pied… celui qui parle le quechua, je l’entends regarder. » Cette langue des Indiens du Pérou donne à tout ce qui vit (flore et faune), tout ce qui a une apparence (montagne, étoiles…) une conscience, des sentiments, une volonté et un cœur « en tous points identique à celui de l’homme avec lequel ils sont reliés ».

Tel le paon du jour qui survole son jardin, brûlant d’émerveillement, Anne Sibran saisit tous les plaisirs minuscules, quotidiens, qui sont «le cœur de l’essentiel ». Lire Le monde intervalle est un vrai bonheur car elle est un passeur de vie au regard communicatif : «Il suffit d’un passeur de vie dans une pièce pour que la sonate reprenne. La vie est contagieuse, un passeur suffit».

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 192
Editeur : Panama
Sortie : 17 janvier 2008
Prix : 18 €