L’homme qui marche – Avis +

Résumé

Milieu des années 70. Un photographe fait la connaissance d’un homme émacié et ténébreux, au visage d’oiseau de proie. L’homme s’appelle Viktor Atemian. C’est l’histoire de cet homme qui s’improvise écrivain, rencontre le succès, puis traverse le désert pour finir à la rue. Un film sur le temps qui passe, les renoncements, les sauts dans le vide.

Avis de Marnie

Au départ, comment ne pas appréhender de tomber sur un calvaire nombriliste, prétentieux, parisianiste, ennuyeux et sans scénario ? Mais au bout d’une heure et vingt-deux minutes, nous submerge la trop rare impression d’avoir ressenti toute une gamme d’émotions. Aurélia Georges, jeune metteur en scène de 34 ans, pour son premier long métrage n’a pas choisi la facilité, mais surtout un sujet qui semble l’avoir interpellée, puis passionnée, ce qui est manifeste à l’écran.

Cette histoire est librement inspirée comme il l’est ouvertement dit au générique de la vie de Vladimir Slepian (1930-1998) qui n’a publié de son vivant qu’un seul texte, aux Editions de Minuit, Fils de chien en 1974 (dont on entendra un extrait dans le film). A travers le regard, comme détaché, d’un photographe qui ne perçoit au départ que l’originalité amusante d’un être singulier, nous allons peu à peu découvrir un homme solitaire jusqu’à l’enfermement intérieur, sans concession jusqu’à y laisser sa vie, sans envie, sans amour pour son prochain, sans aucun attachement pour rien… sauf son art, dans lequel il se noiera, que ce soit par frustration ou par misanthropie. Alors que ledit Viktor Atemian a commencé à marcher ainsi sans jamais s’arrêter depuis la Sibérie, il poursuit cette fuite éperdue des autres ou de lui-même dans ce Paris, qui, au fur et à mesure des années, peu à peu, se transforme sans même qu’il s’en aperçoive ou même s’y intéresse.

Sans beaucoup d’argent, les plans resserrés sur de petits détails de ce Paris qui disparaît, en évitant la ville lumière de pacotille, le charme qui se dégage de ces rues est perceptible, tout comme l’ambiance des cafés parisiens, en évitant une nostalgie mal venue. Mais, quelque part, entre 1974 et 1984, la réalisatrice réussit à nous montrer, par petites touches, que l’esprit de liberté, d’espoir et d’ouverture de l’après 1968, s’est enlisé… Lorsque Viktor Atemian est applaudi au début du film, il arbore sa singularité avec un aplomb qui se fond dans l’atmosphère de l’époque. Lorsqu’il meurt en 1998, il n’est plus qu’un être hors norme, clochardisé, rejeté.

Mais, tout cela ne serait pas si évident, sans le talent étonnant de l’acteur espagnol, César Sarachu. Saisissant de justesse, entre contradictions et intensité, il vampirise le film, totalement habité par son rôle. Son physique singulier est au service de la profondeur du personnage. Nous hésitons entre compassion et agacement devant son intransigeance et son refus des compromis de toute sorte. Cependant, ce qui ressort le plus est notre fascination devant toutes les émotions intériorisées ou non qu’il transpose sur l’écran avec un charisme hors norme.

Nous passons des rires et larmes pour finalement découvrir une dernière partie bouleversante… Les plans sont pris de loin comme pour se détacher de l’homme qui a de plus en plus de mal à avancer, les bruits discordants de Paris nous envahissent… le désespoir est palpable. A partir de cette observation, nous nous posons des questions essentielles. Dans ce monde déshumanisé, n’y a-t-il plus la place pour la singularité ? Pour l’originalité ? Pour les êtres en quête d’absolu et de perfection, qui voient dans leur art leur seule façon d’exister ?

C’est donc un film riche en émotions, d’une sensibilité rare, sur un homme intraitable, duquel on ne peut détacher son regard, et qui nous emporte avec lui, dans sa quête d’introspection et d’absolu. Les regards des uns et des autres, tout autant fascinés que nous le sommes, se détacheront peu à peu, découragés par son refus d’accepter de faire la moindre concession dans ce monde matériel. Une œuvre sincère, nécessaire et passionnante qui nous étonne et nous séduit !

Fiche Technique

Sortie : 09 janvier 2008

Avec César Sarachu, Mireille Perrier, Florence Loiret

Genre : drame

Durée : 82 minutes