Les larmes de Tarzan – Avis +

Résumé de l’éditeur

Il s’appelle Janne, a vingt-neuf ans, roule au volant d’une Lamborghini, n’aime que les mannequins aux yeux de bébés phoques avec lesquelles il se conduit en parfait salaud, mais pleure quand il est seul sur son incapacité à se lier.

Elle s’appelle Mariana, a trente-cinq ans et les seins en « oreilles de basset », est mariée à Mike qui s’est envolé lors d’une crise aiguë de paranoïa, la laissant seule avec deux petits enfants et un demi-salaire de prof de dessin. Rien ne les prédestinait à se croiser jusqu’au jour où sur la plage, Mariana joue à Tarzan avec sa fille ; c’est comme ça que Tarzan rencontra Janne au propre comme au figuré !

Avis d’Enora

A la suite du succès de Le mec sur la tombe d’à coté, les éditions Gaïa ont décidé de publier cet autre roman de Katarina Mazetti. Ici, elle nous narre la rencontre d’un couple séparé non plus par la différence de classes sociales mais par le niveau de vie : lui gagne énormément et ne sait plus comment dépenser son argent, elle, galère pour pouvoir acheter à manger à ses enfants à la fin de chaque mois. On débute le récit, de nouveau présenté sous forme de journal à plusieurs voix avec l’appréhension que l’auteur nous rejoue la même histoire à quelques variations près. Mais c’est sans compter sur le talent de Katarina Mazetti !

Même si l’humour est toujours présent, ce récit est beaucoup plus sombre, d’ailleurs le titre est là pour nous le rappeler. Bien plus qu’une histoire d’amour, c’est un constat sociologique sur la condition de vie des mères isolées que l’auteur fait ici. Si elles travaillent à plein temps, cela veut dire lever les enfants tôt le matin pour les emmener à la garderie, les reprendre le soir tard, fatigués, pleurnichant, ne plus avoir de temps à leur consacrer pour jouer avec eux, leur lire des histoires. Si elles travaillent à temps partiel , elles n’arrivent pas à boucler leur budget… Il y a un passage particulièrement bouleversant ou Mariana invente un jeu avec ses enfants, parce que le frigo est désespérément vide : « …alors on a joué pendant un moment à être des animaux sauvages au trou d’eau et on a fait un concours de celui qui savait boire le plus d’eau, on était à genoux devant une bassine, à beugler et à mugir et à barrir…les enfants ont bu des quantités d’eau énormes et n’ont plus eu faim… ». L’auteur nous confronte aussi à l’horreur de la schizophrénie, aux souffrances de la personne malade et à celles de ses proches.

Mariana est une battante, ce qui la sauve c’est l’humour « Autrefois, dans les livres pour jeunes filles qu’avait ma grand-mère, elles partaient toujours vendre leurs longs cheveux dorés. Je doute que quelqu’un veuille acheter les miens…on m’aurait peut être donné un supplément pour les bouts fourchus ? Deux pour le prix d’un ? » . Elle ne se fait plus aucune illusion sur la vie et se protège de toute sentimentalité avec les hommes : « Janne a commencé à prendre l’allure d’un rhume d’automne, juste quand je pensais en être débarrassée, il revenait sous une forme mutante. Et impossible de s’en protéger ». Elle est lucide sur le fossé qui les sépare, l’écart de leurs conditions de vie « l’écorche comme un caillou dans sa chaussure » et si elle compare Janne à un prince charmant c’est uniquement parce qu’il se débrouille bien au lit « Il était, après quelques tâtonnements maladroits, bien meilleur que je n’aurais cru. Il a grandi avec la tâche et pour finir il s’est carrément révélé un prince charmant. Le sable était froid…quelques épines de pin me piquaient les fesses mais ça en valait la peine ». Fidèle au souvenir du poète farfelu qu’est son mari, il faudra qu’elle soit de nouveau confrontée à sa folie destructrice pour admettre l’inéluctable.

Janne, lui, est à la fois subjugué et horrifié par le naturel de la jeune femme comme les touffes de poils qui sortent du maillot et les sourcils qui n’ont jamais connu de pince à épiler. De plus, il déteste les enfants « Je n’ai jamais ressenti la moindre envie de vivre avec une meute de chiots humains dans les pattes, je n’ai aucun besoin de voir mes propres gènes dans de nouvelles combinaisons ni de chercher mes propres traits sur des tronches pâteuses de mioches ». Et pourtant, Mariana et ses enfants réveillent en lui quelque chose qu’il croyait mort : l’incroyable égoïste, va découvrir la joie de s’occuper d’autrui, de jouer les pères Noël ainsi que l’amour véritable, celui qui s’oublie devant le bonheur de l’autre. C’est un personnage à la fois irritant par son individualisme et touchant par son incompréhension devant les bouleversements de son existence. Il est séduit par Mariana, il a d’ailleurs toujours été attiré par les femmes plus mures, sexuellement ils sont totalement en phase mais il n’arrive même pas à imaginer la vie de la jeune femme : tombant sur sa fiche de paie, il pensera que c’est une prime.

Pas de happy end mais du réalisme « Elle ne peut rien me dire du futur. Elle dit qu’elle ne m’aime pas exactement même si elle a beaucoup d’affection pour moi. Je n’en ai rien à foutre qu’elle m’aime ou pas comme dans un putain de navet Hollywoodien avec Meg Ryan. Je veux seulement qu’ils continuent à habiter avec moi ». Et c’est ce qui fait la force du roman de Katarina Mazetti, on était parti pour un conte à la Cendrillon ou à la Pretty Woman et on atterrit dans la vraie vie. Car même si on souhaite un dénouement heureux pour « Tarzan, Janne et les bébés singes » rien ne dit que les mannequins aux yeux de bébés phoques ne ressurgiront pas…

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 254
Editeur : Gaïa
Sortie : 17 octobre 2007
Prix : 21 €