Mary Balogh : Je ne suis pas vraiment sûre de cela. Je pense que j’ai toujours eu le don de me mettre à la place des gens dans certaines circonstances. Je ressens de l’empathie pour toute sorte de personnes même pour celles que les autres considèrent comme mauvaises. Et quand j’écris, je ne décris pas les personnages, leurs sentiments et leurs motivations de l’extérieur. Je m’introduis en eux je deviens eux pendant qu’ils pensent, parlent, se souviennent, agissent et réagissent. Le personnage n’est pas une simple chose. Nous devrions le savoir de nous-mêmes. Personne ne peut être résumé par quelques étiquettes. Personne ne peut être jugé uniquement par ce qu’il dit ou fait. Je trouve la nature humaine infiniment fascinante.
Onirik : Vous avez choisi pour héroïnes des jeunes femmes inexpérimentées (« Slightly tempted », etc.) , des veuves (« Slighly married », etc.) , des prostituées (« The secret pearl », « A precious jewel »), des épouses (« The ideal wife », etc.) Mais ce sont toutes des combattantes étonnamment lucides et honnêtes. Est-ce qu’elles vous semblent symboliser le combat universel des femmes ?
Mary Balogh : Oui, je pense. C’est une bonne façon de le présenter. J’essaye d’utiliser un large éventail de type d’êtres humains comme personnages. Je ne veux pas recommencer éternellement la même chose. Mais les héroïnes doivent avoir un élément en commun sinon ce ne sont pas des héroïnes. Elles doivent être des combattantes. Cela ne signifie pas qu’elles doivent être agressives, féroces et outrageusement sûres d’elles. Mais elles doivent être des survivantes. Elles doivent avoir conscience de leur propre valeur et de leur dignité ou au moins les acquérir au fil du livre. Elles doivent être des personnes qui pourraient rester seules même si elles choisissent l’amour et le mariage.
Onirik : Vos héros sont très souvent des êtres marqués par la vie, par des drames, par leur enfance. Ce sont souvent aussi des êtres de devoir. Ces héros vous paraissent-ils plus intéressants, plus riches ?
Mary Balogh : Oui, en effet. Nous avons tous une histoire. Nous sommes tous façonnés par la vie que nous avons vécue, qu’elle soit bonne ou pas. La plupart d’entre nous sont au moins partiellement marqués par des choses qui nous sont arrivés dans le passé. Jusqu’à ce que nous trouvions une solution à ces choses, nous ne pouvons pas devenir totalement matures et nous ne pouvons pas aimé sans réserve ou nous autoriser à être aimé. Mes héros (et mes héroïnes) sont très souvent des personnes qui ont besoin de cicatriser et qui trouve l’apaisement au cours du livre. Ils doivent affronter tout ce qui les empêche d’atteindre le bonheur complet et de s’engager totalement dans l’amour. Et oui, ce sont également des êtres d’honneur. Ils doivent avoir un sens aigu de ce qui est bien et de ce qui est mal, de la justice et de l’équité même s’ils ne l’ont pas au début du livre.
Onirik : Vos romans évoquent parfois le théâtre. Ainsi, dans « The notorious rake », la scène de l’orage introduit l’histoire puis le héros poursuit l’héroïne puis le roman change de décor pour aller à la campagne… Construisez vous vos romans comme une pièce, chaque partie constituant un acte ?
Mary Balogh : non, ce n’est pas quelque chose que je fais consciemment. Mais souvent je sens qu’un changement de scène est nécessaire pour empêcher l’intrigue de stagner. Les différents aspects du personnage et de ses relations peuvent se révéler dans des lieux différents. Le danger alors, bien sûr, est que le livre devienne décousu ou sans suite. Je ressens souvent la nécessité de faire décrire au livre un cercle complet. Parfois cela veut dire faire se terminer le livre là où il a commencé. Ou parfois, la fin est en miroir du début. Dans « The notorious rake », par exemple, la première rencontre du couple se déroule durant une tempête. Comme la rencontre finale, sauf que l’une est à Londres et l’autre est à la campagne.
Onirik : Parmi vos livres on peut trouver des comédies romantiques (« The famous heroin » ou « The plumed bonnnet »), des mélodrames (« The secret pearl » ou « Tangled »). Y a t-il un genre qui vous inspire plus ou pour lequel vous avez une prédilection ?
Mary Balogh : Non. Je recherche la variété. J’aime le défi. J’ai écrit un grand nombre de livres sérieux et intenses avant de décider de m’essayer à la farce dans The lady with a black umbrella. J’ai vraiment adoré faire ça même si ça n’a pas été facile. Je pense que j’ai évolué en tant qu’écrivain et que je veux maintenant que veut que le lecteur apprécie l’ensemble de la lecture et pas seulement la fin heureuse. Je pense que mes livres les plus récents sont moins sombres (mais pas moins passionnés, j’espère). Les lecteurs de romance lisent tout d’abord pour se distraire et se relaxer, je pense, donc j’essaye de ne pas trop les torturer au cours du livre.
Onirik : Vous semblez privilégier surtout quelques périodes de l’histoire : la régence, plus rarement l’époque victorienne ou l’époque… Pouvons nous espérer que vous évoquerez d’autres périodes ou celles ci vous paraissent les plus riches pour créer un roman ? De la même façon, vous vivez au Canada… et le héros de « The last waltz » en revient. Mais vous n’avez jamais choisi ce pays pour cadre. Est-ce pour un futur livre ?
Mary Balogh : Je me sens le plus à l’aise dans la Régence anglaise et je le serai probablement jusqu’à la fin de ma carrière d’écrivain. Je ressens comme une sorte de nostalgie quand je ne travaille plus sur cette période. Je pense que j’ai dû vivre une précédente vie à ce moment, et une vie heureuse qui plus est. L’histoire canadienne durant la Régence est fascinante et très romantique aussi. C’était la période des grands voyages pour le commerce de la fourrure vers l’intérieur des terres en canoë pour échanger avec les autochtones. J’ai en fait écrit un livre à propos d’un noble anglais qui a été banni de chez lui et s’est exilé au Canada pour rejoindre une expédition de commerce de fourrure. Il tombe amoureux d’une sang mêlée, une métisse, née d’un autre marchand et d’un autochtone. J’adorais le livre et mon éditeur comme mon agent étaient d’accord pour dire qu’il était tout à fait digne de mes autres livres. Pourtant, les deux étaient d’accord aussi pour dire qu’il n’y avait pas de marché pour lui, que les lecteurs ne s’intéressaient pas à l’intérieur du Canada au début du XIXe. Depuis mon premier livre publié en 1985, ce fut le seul qui a été refusé.
Onirik : Votre connaissance de ces périodes historiques est très précise et particulièrement vivante. Avez vous particulièrement soigné vos recherches historiques dans ce domaine ?
Mary Balogh : Au fil des années, j’ai lu tout ce que je pouvais mettre la main sur la période. Cependant, je n’ai jamais prévu quelque chose à l’avance. Je n’ai jamais fait de grandes recherches tout de suite. Je pense que ce qui m’aide est que j’ai été élevé en Grande-Bretagne et que je suis familière des lieux et de la langue. Et j’ai lu tous les classiques y compris, bien sûr, Jane Austen.
Onirik : L’atmosphère qui règne dans vos romans Régence évoque irrésistiblement certains livres de Jane Austen. Est-ce votre principale source d’inspiration ou y a t-il d’autres écrivains, même contemporains ?
Mary Balogh : Ma principale source d’inspiration est Georgette Heyer. Ses romances Régence sont toujours inégalées selon moi. Aussitôt que j’ai commencé à lire ses livres j’ai su que c’était exactement le style de livre que j’aimerais écrire.
Onirik : Je dois vous remercier, vous m’avez poussé à lire en anglais ! En effet, très peu de vos livres sont traduits en français. Y a t-il une raison à cela ?
Mary Balogh : Je suppose qu’il n’y a pas beaucoup d’éditeurs qui achètent mes livres! C’est difficile d’expliquer pourquoi certains pays ont presque acheté tous mes titres (Italie et Allemagne) alors que d’autres ne l’ont pas fait.
Onirik : Vous avez une nouvelle série en projet pour 2008. Pouvez vous nous livrer quelques secrets sur ce qu’elle sera ? Avez vous des projets à plus long terme ?
Mary Balogh : Je suis en train d’écrire une série de cinq livres à propos de la famille Huxtable (trois soeurs, leur frère et un petit cousin). Le thème de départ est que Stephen Huxtable (le frère) hérite de façon inattendue d’un titre de comte et de toutes les propriétés et richesses qui lui sont attachées. Ses sœurs et lui quittent la campagne pour s’installer dans leur nouvelle maison et y découvre leur cousin qu’ils n’ont jamais rencontré. Constantine est le fils aîné du défunt comte mais n’a pas pu hérité lui-même parce que son père a épousé sa mère que deux jours après sa naissance. Il est de ce fait illégitime aux yeux de la loi. Le premier des trois livres portera sur les sœurs. Puis viendra celui de Stephen, et finalement celui du mystérieux Constantine. Le programme est de publier les quatre premiers livres plusieurs mois successifs. Et donc, pour me donner le temps de les écrire ils seront probablement disponibles seulement lors de l’été et de l’automne 2009.
Questions et traduction : Callixta