4 mois, 3 semaines et 2 jours – Avis +

Présentation du film

Cristian Mungiu est né en Roumanie en 1969. Il a travaillé comme assistant réalisateur pour Bertrand Tavernier sur Capitaine Conan et pour Radu Mihaileanu sur Train de Vie. Ses courts-métrages ont été plusieurs fois primés. 4 mois, 3 semaines et 2 jours est son second long-métrage. Ce film, le premier d’un cycle qu’il compte réaliser sur ses souvenirs pendant la dictature de Ceausescu, a reçu la Palme d’or au festival de Cannes en 2007.

Dès sa sortie, il fut l’objet d’une polémique de la part du Vatican qui y voit « un signal dramatique d’un retour à la barbarie, individuel comme collectif … où l’on parle avec désinvolture de fœtus comme s’il s’agissait de choses et non pas d’êtres humains appelés à la vie »

Le ton est donné ! Ce film va être désormais réduit par ses détracteurs à une apologie de l’avortement.

Les choses vont encore s’envenimer quand il reçoit le Prix de l’éducation nationale [[les films qui obtiennent cette distinction font l’objet d’une édition DVD accompagnée de matériel pédagogique, envoyée dans les établissements scolaires]]. Le ministre Xavier Darcos fait alors part d’importantes réserves, estimant que certaines images peuvent choquer les adolescents. Son attitude est vivement critiquée par la Ligue des droits de l’homme, la Société des réalisateurs de films et le Mouvement français pour le planning familial.
« Montrer ce film, faire réfléchir la jeunesse sur ses responsabilités de prendre en charge sa vie sexuelle, faire de la prévention sont des responsabilités du gouvernement » MFPF, 12/07/2007

Fin juillet le ministre fait marche arrière et décide que le film sera classé « tous publics » avec un avertissement pour les plus jeunes et qu’il sera diffusé dans les collèges et les lycées.

Avis d’Enora

La lumière décline, le générique commence à défiler lentement, sobrement, lettres blanches sur fond noir, sans un son, sans une note. La tension monte de façon palpable dans la salle, Cristian Mingiu tient déjà son public et ne le lâchera à aucun moment des 120 minutes de projection.

L’action se déroule en 1987, en Roumanie sous le régime communiste de Ceausescu, autour de deux étudiantes qui partagent une chambre dans une cité universitaire. L’une d’elle Gabita est enceinte et a décidé d’avorter. Or l’avortement est interdit depuis 1966, non pour des raisons idéologiques mais pour des raisons politiques afin d’accroitre la population. Ottila décide d’aider son amie dans cette épreuve sans se douter des répercussions profondes que cela aura sur sa vie.

C’est à travers le regard d’Ottila que nous allons vivre les événements. Son stress et son anxiété se communiquent au spectateur qui, comme elle, ignore et appréhende le tour que vont prendre les événements. Cristian Mungiu cite Hitchcock parmi les cinéastes qui l’ont inspiré et on sent effectivement son influence dans le suspens qu’il fait monter tout au long de son film grâce à une multitude de petits détails : une ambulance, le sifflet de policiers, des bruits de pas précipités, un téléphone qui sonne dans le vide. L’absence de toute musique renforçant encore l’atmosphère oppressante.

Gabita est une jeune femme dépassée par ce qui lui arrive. Nous ne saurons rien de son histoire, rien de l’homme qui, à un moment, a inévitablement croisé sa vie. Très vite elle se décharge sur son amie et les quelques initiatives qu’elle prendra auront toutes des conséquences dramatiques ; comme lorsque l’avorteur découvrant qu’elle a menti sur l’âge de sa grossesse, exigera un supplément pour le risque encouru, payable en nature par les deux jeunes femmes. Ce « viol » transformera Ottila, la faisant se réinterroger sur son amitié, sur sa relation amoureuse. Mais le pire reste à venir pour elle : affronter la réalité de ce fœtus de cinq mois expulsé sur le carrelage de la salle de bain et dont elle doit se débarrasser dans un vide-ordure pour éviter que les chiens ne le déterrent. Elle prend alors totalement conscience de l’acte auquel elle a participé. Que ressent-elle, figée au dessus du vide-ordure ? Dégout, culpabilité, remords ? De la colère c’est visible, mais contre qui ? Elle-même, Gabita, le régime, les hommes qui brillent ici par leur absence ou leur irresponsabilité ?

La dernière scène est terrible, Otilla revient et retrouve Gabita au restaurant, le serveur lui sert un reste du repas de noce qui a eu lieu dans la soirée : ce sont des abats. Gabita pâlit et demande après un long silence « Tu l’as enterré ? » Otilla la regarde avec colère et lui répond : « Nous n’en parlerons plus jamais ! Plus jamais ! » Et l’écran devient noir.

Tout le film est tourné en plans séquences sans montage avec des coupes franches et repose sur le jeu des acteurs, en particulier de celui d’Anamaria Marinca qui est une véritable révélation. Le spectateur vit l’histoire à travers les émotions de son personnage, aidé en cela par les plans fixes tandis que les autres personnages qui dialoguent sont hors champ : comme la scène du dîner pendant laquelle l’inquiétude d’Otilla imbibe le spectateur ou celle si controversée où l’on découvre le fœtus et qui semble durer une éternité. Le réalisateur alterne ces plans fixes avec des séquences tournées caméra à l’épaule comme dans les documentaires et cela donne des images tremblées et saccadées qui créent une instabilité renvoyant au bouillonnement émotionnel du personnage.

Avant d’être un objet de polémique c’est avant tout un film, un film bien fait, l’œuvre d’un réalisateur qui promet. Cristian Mungiu nous raconte une histoire réelle , une expérience vécue de près lorsqu’il avait vingt ans. Il n’en dira pas plus et c’est normal. En tant que cinéaste, il fait œuvre de mémoire car c’est aussi l’histoire de nombreuses jeunes filles de sa génération dans la Roumanie de l’époque Ceausescu. On parle de 500 000 femmes mortes des suites d’avortement clandestin pendant ces 23 années. La société était très pauvre, l’état ne permettait l’accès à aucun moyen de contraception et se donnait même le droit de retirer les enfants aux mères célibataires pour les placer dans des orphelinats.

Cristian Mungiu ne veut pas faire passer un message, il laisse le spectateur se faire sa propre opinion. Ce qu’il nous dit c’est que c’est une affaire de conscience, que la conscience est de l’ordre de l’intime et non du politique. Ce qui me conforte dans ce pourquoi je me suis toujours battue, la légalisation de l’IVG , qui est pour moi indissociable de la démocratie, car comme le dit Monique Canto-Sperber, philosophe, directrice de recherche au CNRS (Le Monde du 19 décembre 2000). « Le pari de la démocratie est justement de considérer que les capacités de raisonnement et d’évaluation des citoyens se développent lorsqu’on leur donne l’occasion de s’exercer ».

Mais réduire 4 mois, 3 semaines et 2 jours à un film autour de l’avortement est une façon simpliste de voir les choses car c’est aussi un film qui parle d’amitié, de solidarité, de responsabilité, de la nécessité de grandir et d’apprendre avec le temps comme le définit si bien Cristian Mungiu (La Croix, 28/08/2007).

Fiche Technique

Date de sortie : 29 août 2007

Avec Anamaria Marinca, Laura Vasiliu, Vlad Ivanov, etc.

Genre : drame

Durée : 113 minutes

Avertissement : des images ou des idées peuvent choquer

Titre original : 4 Luni, 3 Saptamini Si 2 Zile