L’évadé politique est nécessaire à l’Histoire. Il prouve qu’aucun barbelé n’est infranchissable, qu’il y a toujours une faille dans le rempart, qu’aucun bourreau n’est sûr de retrouver son prisonnier à l’aube, que le poteau d’exécution reste parfois sur sa faim.
La Sibérie est une terre de détention. Mais des milliers de prisonniers ont choisi la voie de l’évasion vers le Sud. A travers la taïga, le désert de Gobi, les montagnes himalayennes, ils ont marché et certains d’entre eux ont réussi à atteindre l’Inde.
Parmi ceux-ci Slavomir Rawicz, officier polonais emprisonné sous Staline, qui dans son livre A marche forcée relate son épopée et celle de ses compagnons avec lesquels il marcha des milliers de kilomètres vers la liberté.
Cette exploit fut contesté pour plusieurs raisons :
– le bienveillant camarade Staline ne pouvait détenir des innocents
– Rawicz fait preuve d’imprécisions géographiques
– et surtout il mentionne une rencontre avec des yétis.
Qu’importe, Sylvain Tesson suit les traces des évadés du goulag. Son périple ne lui permettra pas de rencontrer l’Abominable Homme des Neiges, mais des individus et des peuples pittoresques. Il part de la Russie où ce peuple aimable l’abreuve de conseils extrêmement variés (et parfois contradictoires) en cas de rencontre avec les ours. Dans l’ensemble il s’agit d’un peuple fataliste comme cet homme qui ayant vu mourir sa femme et ses huit enfants vit depuis seul avec ses vaches « les vaches meurent moins ».
Puis vient la traversée de la Mongolie où il rencontre des Mormons évangélistes qui n’ont pas encore réussi à expliquer aux descendants de Gengis Khan pourquoi la monture de Jésus était un âne et non un destrier.
Sylvain Tesson permit aux pieux Mormons de se débarrasser d’une monture impie. Cet étalon éprouvait en effet deux passions : les juments et le cannabis sauvage. Ensuite vient la traversée du Gansu, province chinoise dont les villes sont peuplés d’accros des cybercafés. D’où une amère constatation : des gens qui passent tout leur temps libre à jouer aux jeux en réseau sont incapables de faire la révolution. Le Tibet sous occupation chinoise est balafré par une voie de chemin de fer en construction dont le but est de désenclaver le toit du monde et construite par une armée d’ouvriers chinois : « Quel autre peuple se résignerait-il facilement à l’esclavage en supportant des conditions de vie moins enviables que celles des recrues du pharaon sur le chantier de Khéops ? »
A pied, à cheval et à vélo Sylvain Tesson a parcouru 6.000 kilomètres sur les traces des évadés du goulag, pour finir par arriver en Inde à la population en majorité masculine « Les femmes (ce monument tellement vandalisé), on les avorte avant qu’elles ne naissent, on ne les soigne pas quand elles sont nées, on les tue éventuellement si elles ont le culot de survivre. »
Dans son exploration contemporaine du parcours des évadés, Sylvain Tesson a accompli une épreuve physique et de volonté. Il a ainsi célébré l’évasion en suivant le trajet des bêtes traquées que sont les prisonniers politiques.
Fiche Technique
Format : poche
Pages : 279
Editeur : Pocket
Sortie : 18 janvier 2007
Prix : 5,80 €
Etat : réédition