Rencontre avec Joël Callède et Sylvain Vallée

XIII Mystery : le principe

Avec un premier album publié en 1984, la série XIII, créée par Jean Van Hamme et William Vance a été un succès public non démenti depuis sa création. Depuis 2008, avec Jean Van Hamme en directeur de collection, une série dérivée a vue le jour. Ainsi, chaque tome de XIII Mystery permet de se concentrer sur un personnage, d’approfondir son histoire, ou de découvrir son passé.

Plus encore qu’une chance pour le lecteur de retrouver ou d’en apprendre plus sur des personnages qui l’ont intrigué, troublé ou touché, c’est également une formule unique dans l’histoire de la BD. Chaque tome est confié à un duo scénariste – dessinateur, dont la règle est qu’ils n’ont jamais publié ensemble, créant ainsi des combinaisons d’auteurs inédites. Chacun apporte alors quelque chose de nouveau, et ce qui donne un véritable côté ludique à la série.

La genèse du tome 7 de XIII Mystery

Les origines de Betty Barnowsky remontent en 2008, lorsque, à l’occasion d’un festival BD en Belgique, Jean Van Hamme demande à rencontrer Joël Callède[[Joël Callède est notamment le scénariste de Comptine d’Halloween, de L’Appel des origines, de Haute Sécurité et d’Enchaînés]].

Jean Van Hamme lui présente le principe de XIII Mystery, et Joël Callède lui évoque immédiatement son attirance pour le personnage de Betty. D’ailleurs à l’époque, nous raconte-t-il, il ne se souvient pas du nom du personnage ! Mais il avait été marqué par cette rousse qui accompagne XIII, touché par cette jeune femme plutôt ordinaire, un peu fleur bleue, ayant de vraies émotions, dans l’univers assez viril de la série et empli d’archétypes. Il la décrit comme une femme pleine et entière, pouvant tuer des hommes et pleurer après… Jean Van Hamme approuve immédiatement ce choix, lui confiant que le personnage de Betty lui irait bien en effet.

Un premier scénario au service d’un personnage touchant et ordinaire

A la suite de cette rencontre, Joël Callède commence à travailler sur le scénario, à l’aveugle car le choix du dessinateur n’est pas encore tranché. C’est donc avec en tête les dessins de William Vance qu’il propose une première version. Connaissant déjà le passé de Betty Barnowsky (on peut notamment le lire dans la bibliographie du personnage dans le tome 13 de la série mère, L’Enquête), il choisit de faire une sorte de tome 5 bis, s’inscrivant parfaitement entre les tomes 5 et 6 de la série.

Cette décision s’est rapidement imposée et correspond à la période à laquelle Joël Callède a découvert la série. Le tome Betty Barnowsky de XIII Mystery se place donc exactement après les événements de Rouge Total.

Le regard de Jean Van Hamme : concision et efficacité

C’est Joël Callède, en tant que scénariste, qui a d’abord été en contact avec Jean Van Hamme pour la validation du scénario. Après avoir découpé les 20 premières pages, le scénariste les lui envoie pour validation. Après des félicitations sur le travail déjà accompli, Van Hamme, décrit comme bienveillant et autoritaire, lui fait réduire le nombre de pages, afin de gagner en efficacité et concision, les deux mots clés de son travail.

Ils discutent également de la personnalité de Betty. Dans la première version, Joël Callède l’imaginait torturée, allant voir un psychologue. Mais Jean Van Hamme s’y est opposé : elle n’est pas une personnalité torturée. En revanche, ce qu’elle va traverser dans ce tome précisément, va la marquer. Cette situation particulière à laquelle Betty doit faire face (nous n’en dirons pas plus), a surpris Jean Van Hamme. Pour lui, c’était un vrai bon signe ! S’il peut être étonné, alors le lecteur le sera tout autant.

L’arrivée du dessinateur dans le projet : un vrai travail d’équipe

Le scénario achevé en 2009, reste à un dessinateur de rejoindre le projet. Ce sera Sylvain Vallée [[Sylvain Vallée est notamment le dessinateur des séries Il était une fois en France et Gil Saint-André.]] . Si Joël Callède et Sylvain Vallée se connaissent très bien, et depuis des années (ils se sont connus à l’armée ; c’est un comble pour eux de se retrouver pour la première fois sur une telle série !), ils n’ont jamais encore publié ensemble, les propositions qu’ils avaient monté n’ayant pas abouti. Avec des références bien différentes, ce projet de XIII Mystery leur permet de concrétiser cette envie de travailler, au service d’un univers pré-existant.

De plus, Sylvain Vallée avait déjà approché le monde de XIII Mystery en faisant des essais pour le tome Steeve Rowland, avec Fabien Nury. Mais les deux auteurs avaient déjà publié ensemble, ce qui était contraire à la charte de XIII Mystery (une première collaboration). C’est donc sur Betty Barnowsky qu’il va travailler, mais pas tout de suite, car il doit d’abord finir Il était une fois en France.

Pour Sylvain Vallée, Betty Barnowsky est un personnage qui lui convient. Il aime développer dans son dessin la sensibilité, l’émotion, tout en travaillant sur le rythme.

Les 10 premières pages ont donné lieu à des questionnements graphiques et des maladresses. Mais son dessin s’est libéré, selon ses propres mots, lorsque, en validant les premiers dessins avec Jean Van Hamme, il s’est rendu compte qu’il pouvait émettre des propositions acceptées par celui-ci. Tout n’étant pas figé, l’espace de création et de mise en scène devenait encore plus intéressant, et les ajustements rendus nécessaires par l’appropriation de la mise en scène, même s’ils étaient soumis à aval, étaient possibles.

D’ailleurs, le fait que scénariste et dessinateur se connaissent a été très bénéfique pour la mise en place d’un véritable travail d’équipe. Jamais il n’a été question d’un dessinateur simple exécutant d’un scénario, et il n’y a pas eu de période d’adaptation à se tester (que veux-tu ajouter, qu’est-ce que tu me laisses modifier, etc.). Sylvain Vallée connaissant le travail de Joël Callède, savait que le travail fourni dans le scénario était vraiment approfondi (d’autant plus qu’il avait écrit sans savoir à qui le dessin serait confié – ce qu’il lui arrivait pour la première fois), tout comme Joël Callède savait que Sylvain Vallée mettrait de l’intensité à chaque instant.

Le travail de mise en scène du dessinateur

Par son véritable travail de mise en scène, Sylvain Vallée a redensifié l’action, modifiant ainsi le scénario. Il redonne de l’originalité à l’action, suscitant davantage d’étonnement (pour ne pas gâcher ces retournements de situation, nous n’en dirons pas plus).

Sylvain Vallée compare son travail à celui d’un réalisateur : comment poser la caméra, comment définir le cadrage, comment diriger les acteurs, etc., son objectif permanent étant de toucher le lecteur, de lui permettre d’être dans le ressenti et l’émotion (que ce soit du désarroi, de l’inquiétude…). Un exemple marquant, vers la fin du livre, est celui où Armand pose la main sur la porte de la pièce où se trouve Betty (nous n’en dirons pas plus des circonstances les faisant se trouver là). En découpant la scène et en faisant un gros plan sur l’image et la main, le lecteur ressent l’hésitation du personnage, comme s’il tentait de percevoir ce qu’il y avait de l’autre côté de la porte. C’est un geste sensible, intime, que le dessinateur a ajouté.

Comme il le dit, il n’a pas les mêmes armes que William Vance, le dessinateur de la série originale. Sylvain Vallée le décrit comme un dessinateur exceptionnel, maître des effets climatiques et spécialiste d’une forme de réalisme des décors. Il incarne l’archétype des canons de beauté. De son côté, Sylvain Vallée travaille plus sur une ligne fermée qu’une ligne claire, ayant besoin de cerner.

Pour faire en sorte que le lecteur oublie qu’il est devant un dessin, il essaie d’éviter au maximum les artifices de la BD ou de tomber dans les facilités des codes de la BD, ne se servant pas d’inserts, d’onomatopées et autres qui remettent le lecteur à l’état de lecteur, et le font sortir de l’aventure dans lequel il était plongé.

Quant au retour du personnage de Quinn, l’idée est venue de Jean Van Hamme lui même. Dans son cas, les auteurs ont joué le théâtral à fond, tutoyant le burlesque et l’excessif, ne cherchant jamais à le crédibiliser. C’est un épouvantail, souligné par un dessin expressionniste, renforcé par le travail de la couleur.

Le rôle majeur de la couleur

Bérengère Marquebreucq, la coloriste, a déjà travaillé sur plusieurs tomes de XIII et XIII Mystery. Là encore, le travail était basé sur l’échange, notamment avec Sylvain Vallée. Technique et couleur sont au service de la narration, comme le soutien de la couleur aux effets climatiques, ou les rendus flous.

Par son dessin, Sylvain Vallée donne déjà une première série d’indications lumière, complétées par des références très expressionnistes telles que les films Platoon ou Apocalypse Now pour les scènes de jungle avec les SPADS.

La place du tome dans l’ensemble de la série

Betty Barnowsky est un personnage connu de la série et ce tome permet de combler le vide laissé par la série mère. Certes, ce tome peut être lu de manière autonome, notamment grâce aux flashbacks qui permettent de resituer le récit et les enjeux, et il s’agit d’une véritable parenthèse, d’une boucle dans les albums. Toutefois, si le lecteur ne connaît pas la série mère, il ne pourra pas apprécier le regard nouveau que Joël Callède et Sylvain Vallée apportent, et qui peut donner une nouvelle manière de voir la relation entre Betty et XIII dans les derniers tomes.

Par ailleurs, si l’album est parfaitement inséré entre les tomes 5 et 6 de la série, et est tout à fait cohérent avec l’ensemble des tomes publiés à ce jour – un maximum d’acteurs ont été impliqués, notamment Yves Sente –, il est également très différent par son traitement, apportant beaucoup plus de sensibilité et d’action – tout en respectant la charte. Ainsi, pour Joël Callède, si XIII est plutôt dans les archétypes et les personnages caricaturaux (par exemple avec Irina), XIII Mystery permet d’entrer dans la vie de ces personnages, dans leur psychologie. Il s’agit de combler les espaces restés vides. De plus, comme le souligne également Sylvain Vallée, la patte personnelle qu’apporte chaque duo d’auteurs crée une différentiation. Ici, par le rythme qu’il insuffle aux scènes, il donne un réel dynamisme narratif, qu’il s’agisse d’une scène d’action ou d’une scène plus intime, notamment grâce au redécoupage des scènes, pouvant accélérer ou ralentir l’action.

Le regard des auteurs sur leur participation à un album XIII

Les deux auteurs reconnaissent le gros enjeu de travailler sur un album de la série XIII, mais parallèlement, c’était un vrai plaisir de jouer avec plusieurs personnages mythiques de la série (le général Carrington, Jones …). Pour résumer, c’était un mélange de « rigueur d’adulte avec un plaisir de gosse ».

A un niveau plus personnel, se lancer dans un XIII était aussi, pour Sylvain Vallée, une interrogation sur son savoir-faire. Ce dernier est-il applicable à d’autres univers ? En effet, il avait envie d’appliquer sa manière de travailler – mettant la focale sur les sentiments, jouant sur un cadrage serré et sur l’expressivité du personnage – à quelque chose de radicalement différent. Toutefois, le dessinateur insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’imposer une patte ou un style (d’ailleurs, on le voit, le style est très différent d’Il était une fois en France), mais le plus important est que le lecteur trouve plaisir à la lecture.

Vers le début de nouvelles aventures ?

Même si Joël Callède et Sylvain Vallée ont énormément apprécié cette collaboration, ils n’ont pas prévu de projets communs à court terme. En effet, chacun a déjà un certain nombre de projets en route, et des envies de faire des albums seuls, Joël Callède en se remettant au dessin, et Sylvain Vallée ayant des envies de sujets, d’écriture, de mise en scène… On attend de découvrir leurs prochains albums avec impatience !

Quant à XIII ?

Un prochain tome de XIII est prévu prochainement. Pour la première fois de l’histoire des XIII Mystery, la série mère fera un petit clin d’œil à ce tome. Une manière de jouer avec les lecteurs et de donner une jolie légitimité supplémentaire à ce Betty Barnowsky !

Crédit photo : Curieuse Artemis pour Onirik, le 12 juin (rencontre Dargaud) et le 13 juin (séance de dédicaces à la FNAC Montparnasse)