Inteview de Victor Dixen

Elaura et Kamana : Bonsoir Victor !!!

Victor Dixen : Bonsoir Elaura, Kamana !

Elaura : Alors, comment vas-tu depuis que Jack est lâché dans la nature ?

Victor Dixen : Je ne te cacherai pas que je suis un peu inquiet. Ce garçon est tellement imprévisible… j’espère qu’il ne va pas faire trop de dégâts ! Mais bon, en même temps l’agenda est tellement chargé ces temps-ci que je n’ai pas trop le temps de me ronger les sangs.

En effet, le Cas intrigue, le Cas questionne… le Cas plaît même parfois à ce que l’on me dit – bref, je suis pas mal sollicité pour m’exprimer sur la question. Certains me somment de me justifier, d’autres attendent des réponses définitives.

Malheureusement, je suis incapable de les satisfaire : Jack Spark reste encore pour moi aujourd’hui un cas d’étude. Etude à laquelle je consacre d’ailleurs toutes mes nuits, saison 2 oblige 😉

Elaura : J’aimerais bien que tu me parles un peu de Jack, ou du moins de la manière dont il est né. C’est un petit gars que j’aime beaucoup, alors, avoir un petit aperçu de sa genèse, ce serait bien 😉

Victor Dixen : Ma foi, c’est vrai qu’il est sympathique malgré son caractère un peu soupe-au-lait (et quand la soupe bout, mieux vaut ne pas se trouver dans les parages !)

Je pourrais te répondre que Jack est né à 4 heures du matin, comme tous les pensionnaires de Redrock : c’est l’heure à laquelle je commence à écrire. Mais ses racines remontent sans doute plus loin et plongent – oui, je ne saurais m’en défendre – en partie dans mon passé. Ou, pour le dire autrement : il me semble que je comprends bien Jack car moi aussi, depuis l’enfance, je sais ce que cela signifie de ne pas dormir…

Mais attention, Jack Spark n’est pas Victor Dixen pour autant ! Il est bien plus mystérieux que moi.

Kamana : Comment en es-tu arrivé à associer les fées avec le mal, alors que toutes les légendes sont à l’antipode de cette association ? Est-ce justement parce qu’elles ne sont présentées que bonnes et magnifiques que tu as eu l’idée de leur prêter cette cruauté ?

Victor Dixen : Tu me permettras de ne pas être tout à fait d’accord, Kamana 😉

Certes, je constate que la tradition littéraire des Temps Modernes nous a légué une image bienveillante des Fées – pour moi, Perrault constitue le « turning point » à partir duquel ces créatures deviennent des dames fréquentables dont on parle avec amusement dans les salons. C’est le triomphe d’une rationalité qui préfigure déjà les Lumières sur les « superstitions » du passé. Disney est passé par-derrière, et a rajouté une couche de guimauve et de dentelles.

Mais que l’on plonge un peu plus profondément dans le temps, que l’on remonte quelques siècles de plus, et l’on s’apercevra que les Fées étaient alors bien plus craintes que révérées. Si l’on tentait de les amadouer avec des offrandes et des amulettes, ce n’était pas tant pour obtenir leurs bonnes grâces que pour les dissuader de dérober les enfants et de pourrir les récoltes ! Le langage courant garde les stigmates de leur influence prédatrice : les « fadas » du Sud, ce sont ceux dont l’esprit a été ravi par les Fées (fata en latin)… En Bretagne, les moines recommandaient de mettre du sel dans la bouche de ces êtres nuisibles pour les achever. Et si l’on remonte plus loin encore dans le temps, on tombe sur des personnages franchement dangereux comme la Fée Morgane ou Atropos, la troisième parque, celle qui finit par tous nous tuer…

Alors, en fin de compte (j’ai failli écrire : en fin de conte !…), je n’ai rien inventé. J’ai juste essayé de rappeler aux lecteurs qui étaient vraiment les Fées. Certains diraient qu’elles représentent notre mauvaise conscience de bourreaux de la planète, que leur cruauté n’est que celle des animaux, d’une nature qui se défend comme elle peut. Malheureusement, je connais trop bien les Fées et leurs compagnons les Fés pour souscrire à cette théorie qui les disculpent : ils ne défendent rien d’autre qu’eux-mêmes !

Kamana : Lors de tes voyages, quels pays t’a le plus inspiré ce côté féerique ? Où es-tu le plus sensible aux éléments de la nuit, aux voix que tu entends, aux « choses » que tu vois ?

Victor Dixen : Tous les pays où j’ai séjourné m’ont inspiré, mais les États-Unis je crois ont eu une influence particulière. J’y vivais véritablement la nuit. La société qui m’employait, au cœur du Colorado, était une entreprise avant-gardiste où l’on venait travailler à l’heure que l’on souhaitait. J’ai passé bien des nuits dans cet immeuble de verre, le regard rivé sur la ligne des Rocheuses, que je voyais bouger comme les crêtes d’une mer ! Dans le bus que je prenais avec des travailleurs mexicains – les seuls à partager mes horaires – j’ai croisé des personnages tellement étranges… comme cet homme minuscule affublé de lunettes de soleil plusieurs heures après minuit, emmitouflé dans un imperméable malgré la chaleur du véhicule non-climatisé. Sans parler de la momie exposée dans la vitrine du restaurant chinois, au bout de ce boulevard perdu ! … Ni des 6 colocataires qui vivaient avec moi dans le grand chalet lugubre que nous louions au bord d’un lac !… Finalement, j’ai eu le réflexe de quitter le Colorado avant qu’il ne soit trop tard, avant que je me coupe définitivement du monde du jour.

Je pourrais aussi te parler de l’Irlande, que j’ai sillonnée en long, en large et en travers avec mon job suivant. C’est un pays de fantômes, au même titre que l’Ecosse, un pays au ciel lourd où le jour lui-même ressemble à la nuit. Ah, je me souviendrai toujours de cette auberge sur la lande, des fleurs artificielles couvertes de toiles d’araignées dans la salle à manger ! Quand je suis redescendu à Limerick, le lendemain, on m’a dit qu’elle était abandonnée depuis des années – et pourtant, je suis sûr d’y avoir dormi (un peu) !

Ce sont ces lieux, ce sont ces expériences qui m’inspirent. Ils me rappellent que notre confortable petite réalité diurne n’est qu’un trompe-l’œil. La nuit, ni le ciel bleu ni le soleil ne nous cachent le « vide des espaces infinis » qui effrayait tant Pascal !

Elaura : Quels sont les auteurs qui t’inspirent le plus ? Et pourquoi ?

Victor Dixen : Il y en a tant ! Je suis comme Montaigne, je pourrais passer ma vie à parler avec les écrivains, par livres interposés. Mais pour me restreindre à un genre, je parlerai du fantastique.

Pour moi, le fantastique, c’est l’autre nom de la nuit. C’est un miroir tendu à la condition humaine. On dit que c’est une littérature d’imagination. Mais c’est toujours l’imagination qui fait l’homme, jamais la réalité. Les grands scientifiques en sont la preuve éclatante : ces conquérants du réel sont des imaginatifs pathologiques.

Je récuse la frontière qu’on a dressé entre littérature générale et littérature de genre, de même que celle entre fantastique et anticipation. La science-fiction est d’ailleurs née de la chair du fantastique : chez Maupassant, le Horla est une créature extraterrestre à l’avant-garde d’une invasion planétaire, et des auteurs comme H.G. Wells ou H.P. Lovecraft ont mêlé sans vergogne horreur fantastique et spéculation scientifique. Les créatures de l’île du Dr Moreau comme celles du mythe de Cthulhu nous fascinent parce qu’elles sont des défis aux lois de l’évolution : elles pourraient n’être que cauchemardesques (donc oniriques, irréelles), mais la lumière de la science les rend hideusement réelles.

La conflagration du passé, du présent et du futur, grâce à la puissance explosive de l’imagination humaine : voilà ce qui me motive, voilà ce qui me fait croire en l’Homme ! Voilà qui donne des moments de poésie pure, comme chez Bradbury, Le Fanu, Gérard Klein – pour ne citer que quelques noms.

Elaura : Tu as un style narratif très particulier (que j’aime beaucoup), peu répandu en littérature jeunesse/jeune adulte, peux-tu nous en parlé ?

Victor Dixen : En écrivant le Cas, j’avais un message à faire passer. Un message encore confus dans le fond de mon esprit, l’héritage de 20 années d’insomnies. Un message qui commence à se dessiner dès cette première saison.

Mais il me faut tout le Cas pour en faire la démonstration – aux lecteurs comme à moi-même. J’espère retirer énormément de cette fantastique aventure littéraire. Une réponse à la question qui me hante depuis que je ne dors plus, rien de moins !…

C’est pourquoi j’ai choisi d’écrire à la première personne – comme dans les grands récits fantastiques classiques, qui sont toujours aussi des récits d’investigation. Un procédé introspectif qui n’est plus si répandu que ça aujourd’hui dans la littérature d’imagination, comme tu le notes Elaura.

Le temps de l’écriture, je suis de venu mon objet d’étude : je suis devenu Jack. La construction de papier et de mots s’est transformée en expérience de chair et de sang, d’émotion et d’effroi. J’étais moi aussi à Redrock, tout aussi présent, tout aussi prisonnier que les autres pensionnaires ! Alors le récit s’est teinté d’urgence, ces onomatopées sont apparues d’elles-mêmes – dans « le feu de l’action », comme on dit.

Dans toute expérience, il y a des risques, il y a des surprises !

Elaura : Comment avance la saison 2 ?

Victor Dixen : Eh bien, l’expérience continue, elle s’étend désormais bien au-delà du camp de Redrock. Tout ce que je peux te dire, c’est que ce que me révèle en ce moment la saison 2 me sidère ! Je livre le manuscrit à mon éditeur en janvier…

Kamana : Connais-tu déjà la fin de ta quadrilogie ?

Non, sinon j’arrêterai probablement d’écrire ! J’essaie néanmoins de planifier le déroulement de cette expérience, d’anticiper, de baliser, je fais mille plans sur la comète… mais la plupart du temps, je m’aperçois après coup que la comète est passée à côté de toutes les trajectoires prévues !

Kamana : Question personnelle. Maintenant que rien n’y fera apparemment, le fait de vivre le temps de deux vies en une, du fait de tes insomnies, le vois-tu comme un avantage certain ou plutôt comme une sorte de malédiction ? Et à quoi surtout occupes-tu tes nuits quand tu n’écris pas ?

Victor Dixen : J’ai décidé d’arrêter de me poser cette question. Je n’en finissais pas de peser le pour (le temps en plus, la beauté de la nuit pour moi seul, et tous ces livres à lire !) et le contre (la fatigue, le décalage permanent, la difficulté de parler de la nuit à ceux du jour). Finalement, ça ne sert à rien. Mes questions, mes doutes, mes espoirs : j’ai décidé de tout jeter dans le Cas… et d’y travailler sans relâche, pour voir ce qu’il en sortira.

Voilà qui occupe entièrement mes nuits depuis bien des mois !

Elaura et Kamana : Merci beaucoup Victor de t’être prêté au jeu de l’interview, à très bientôt et donnes nous de tes nouvelles 😉

Victor Dixen : Merci pour ces questions qui me font avancer – ça prouve que ce sont les bonnes !

Je reste en contact avec vous… par courrier (électronique) de nuit, bien sûr ;-).