Interview de Patricia MacDonald

Onirik : Dans ce nouveau roman l’enquêtrice est une mère de famille qui recherche sa fille disparue.

Patricia MacDonald : Je ne créée pas des enquêteurs ou des détectives privés, car je préfère des émotions très fortes quand j’écris. Ici c’est une mère qui a perdu fille. Il y a un site internet que j’évoque dans le roman et qui existe réellement pour les survivants qui ont perdu quelqu’un tombé par-dessus bord d’un paquebot. Vous ne pouvez pas savoir combien de gens ont ainsi disparu. C’est le crime parfait avec un cadavre qui a disparu dans la mer. Et le paquebot ne s’arrête pas ! Ils sont immenses et si personne n’a assisté à la chute on ne peut pas tout arrêter pour faire demi-tour. J’ai trouvé que c’était une bonne idée pour un thriller. Je me suis aussi inspiré d’un fait-divers : une mère a recherché une jeune femme ayant disparu dans une île alors qu’elle était en vacances scolaire avec ses amis.

Onirik : La famille de Shelby est bizarre. Ce sont tous des névrosés. Sa mère est alcoolique, sa soeur misanthrope et son frère un loser

Patricia MacDonald : Tout a fait. Il est basé sur mon propre frère.

Onirik : Quant à la fille de Shelby, elle est aussi alcoolique et souffre de jalousie maladive. En ce qui concerne Shelby on peut se demander si elle n’a pas également un défaut : celui de se tromper toujours sur les gens.

Patricia MacDonald : On peut dire cela. Mais Shelby n’avait pas de famille à l’origine. J’ai commencé l’histoire sans cette famille. Mais quand j’ai décidé que sa fille devait être alcoolique j’ai créé un miroir avec la mère de Shelby. De plus le roman me semblait trop mince pour mes lecteurs et c’est pour cela que j’ai créé la famille, mais aussi pour le suspense. J’invente les personnages pour l’intrigue et puis j’essaie de leur donner une famille et une psychologie. On ne va pas soupçonner un personnage qui n’est pas intéressant du tout. Je connais mes lecteurs de polar. On soupçonne tout le monde. Mais il faut des personnages intéressants avec des secrets, des qualités bizarres. Tout cela a été créé pour l’intrigue afin que vous voyez Shelby comme une vraie personne qui a ses faiblesses.

Onirik : On peut être surpris que l’intrigue ne commence réellement qu’après une centaine de pages. Shelby ne pensait pas à un meurtre mais à un accident. Au cours d’une centaine de pages, nous découvrons de nombreux détails de la vie quotidienne de la famille. J’ai pensé que c’était juste pour expliquer l’ambiance dans laquelle la victime avait vécue. Puis j’ai réalisé que ces détails étaient utilisés pour donner des indices. Par exemple le petit Jérémy est passionné par des figurines de Pirates des Caraïbes. Or plus tard il révèle à sa grand-mère qu’il a vu son père se disputer avec une femme-pirate.

Patricia MacDonald : Quand j’ai voulu créer cette femme qui venait à la maison j’ai du lui trouver une caractéristique physique impressionnante. Pendant de nombreuses pages on pouvait penser que c’était un accident et c’est pour cela que j’ai fait le prologue violent. Shelby a été prise par surprise par la nouvelle de l’alcoolisme de sa fille. Mais comme elle ne veut pas accuser son gendre j’ai dû trouver une autre façon de construire l’intrigue.


Onirik : Il existe beaucoup de fausses pistes, d’un côté parce que Shelby se trompe souvent et d’un autre côté, je me demande si vous n’aimez pas leurrer le lecteur.

Patricia MacDonald : Oui, mon but est de tromper le lecteur. Mais j’essaie d’être logique, de suivre des pistes. Shelby essaie d’être logique. Elle est toujours intelligente, sensible. Ce n’est pas facile de leurrer le lecteur allez aussi loin que possible. J’essaie de continuer avec des évènements qui changent le cours des choses.

Onirik : Shelby n’a aucune expérience des crimes et de la violence. De ce fait elle commet une erreur en se présentant seule dans l’habitation d’un tueur présumé et en l’accusant.

Patricia MacDonald : À ce moment je crois qu’elle se sentait perdue. Elle voulait simplement connaître la vérité. Elle a décidé qu’elle était trop fatiguée pour lutter. Elle ne savait plus quoi faire. J’ai fait le choix pour elle.

Onirik : Le contexte correspond à celui des films d’Alfred Hitchcock avec des personnages ordinaires confrontés à une situation extraordinaire. Lorsque Shelby s’adresse au détective privé de son entreprise on pense que c’est lui qui va mener l’enquête. Mais cela lui est rapidement impossible et c’est donc Shelby qui redevient l’héroïne.

Patricia MacDonald : Absolument, si j’étais cette mère j’aurais trouvé un détective. Shelby devait trouver quelqu’un qui puisse gérer l’univers des enquêtes. Le détective-privé de son entreprise est un homme honnête, mais qui ne pouvait pas continuer à l’aider.

Lorsque je rédige un thriller, je connais la fin, le méchant et les motivations. L’héroïne doit être très fiable et très forte. J’essaie de résoudre son problème comme si c’était le mien. Les premières années cela prenait du temps. Mon agent littéraire dit que je suis trop lente.

Depuis quelques années je sais comment résoudre les problèmes plus vite. Le rythme s’accélère. Je sais qu’il existe une solution et que je vais la trouver. Mais il faut être patient car sinon ce n’est pas juste pour le lecteur, je pense. Je ne suis pas Proust, mais je peux toujours construire une intrigue.

Lorsque je découvre les commentaires des critiques littéraires, je me sens coupable s’ils n’aiment pas mon roman. La plupart de mes critiques sont en français.

Onirik : Paradoxalement certains de vos livres ne sont pas traduits aux Etats-Unis.

Patricia MacDonald : Les lecteurs américains ont du goût pour les super-héros, la violence ou la science. C’est une surprise pour moi d’être si appréciée en France. Mais j’ai eu de la chance. J’y ai trouvé des lecteurs qui aiment bien mon style. C’est un bonheur extraordinaire. Je peux venir en France rencontrer mes lecteurs. J’adore la France et je suis venue en France pour faire la promotion et rencontrer les lecteurs. J’ai suivi les cours de français au lycée, il y a 45 ans. Quand on apprend une langue étrangère dans sa jeunesse, cela reste quelque part dans la tête. Mais je ne sais pas comment vous vous avez appris cette langue. C’est incroyable.

Onirik : Que pensez-vous des adaptations télévisées qui ont été réalisées à partir de certains de vos ouvrage ?

Patricia MacDonald : On a très bien fait. Je ne m’en occupe pas beaucoup. J’en ai vu deux réalisées en France. D’autres ont été tournées, l’une au Japon d’après Expiation et l’autre aux États-Unis en s’inspirant de La Double mort de Linda.

Onirik : Quel sera le sujet de votre prochain ouvrage ?

Patricia MacDonald : Ma prochaine idée reposera sur un fait-divers, toujours un meurtre ou un enlèvement. Mais je cherche une histoire de famille tordue ou de motivations très bizarres.

Onirik : Pourriez vous écrire un livre qui ne soit pas un roman policier ?

Patricia MacDonald : J’aime bien le cadre du thriller, les règles, la forme je peux m’exprimer dans ce cadre. Mais je ne m’intéresse pas du tout aux tueurs en série. Je cherche des motivations personnelles. Aux États-Unis, j’habite la côte Est qui est très européenne. L’existence est plus psychologique et moins extravertie. Nous n’aimons pas trop les fusils. Je crois que les gens de la côte Est sont plus ouverts face de l’Europe.

Onirik : Quelles sont les lectures qui vous intéressent ?

Patricia MacDonald : Je ne lis pas beaucoup de polars. Je ne veux pas être accusée de voler les idées des autres. De plus, quand je commence un polar, je trouve le coupable après dix pages. Après 33 ans dans ce métier, je connais tous les trucs. Dernièrement j’ai lu des nouvelles. Je trouve que ce format est le genre littéraire le plus intéressant. Dans ma jeunesse j’ai adoré Agatha Christie et P. D. James, surtout des écrivaines anglaises… et aussi monsieur Simenon que j’ai beaucoup lu parce qu’il écrit sur la vie quotidienne, et que j’aime bien cela.

Bibliographie

Expiation (The Unforgiven), 1981
Un étranger dans la maison (Stranger in the House), 1985
Petite soeur (Little Sister), 1987
Sans retour (No Way Home), 1989
La Double mort de Linda (Mother’s Day), 1994
Une femme sous surveillance (Secret Admirer), 1995
Personnes disparues (Missing Persons), 1997
Dernier refuge, 2001
Un coupable trop parfait, 2002
Origine suspecte (Suspicious Origin), 2003
La Fille sans visage, 2005
J’ai épousé un inconnu, 2006
Rapt de nuit (Stolen in the night), 2007
Une mère sous influence, 2010
Une nuit sur la mer, 2011

Adaptations à la TV

Les soupçons du coeur (1997) de Colin Nucksey d’après Mother’s Day (La double mort de Linda)
Mort prématurée (2006) de José Pinheiro d’après Safe Haven (Dernier refuge)
L’étrangère (2007) de José Pinheiro d’après The Unforgiven (Expiation)
Un admirateur secret (2007) de Christian Bonnet d’après Secret Admirer (Une femme sous surveillance)
Le vrai coupable (2007) de Francis Huster d’après Not guilty (Un coupable trop parfait)