Interview de Charline Bourdin

Onirik : Comment est née ta passion pour Louisa May Alcott ? On sent que cela ne date pas d’hier… Raconte nous ce que tu aimes chez cet auteur…

Charline Bourdin : J’ai découvert Les Quatre filles du docteur March à dix-neuf ans alors que je vivais une période de découragement. Ce roman, porté par des valeurs fortes et positives, m’a redonné confiance. Depuis que j’ai fait la connaissance des soeurs March, j’ai l’impression qu’elles m’accompagnent et me soutiennent…

Après la lecture de ce roman, j’ai rapidement voulu en savoir plus sur l’auteur et sur ses sources d’inspiration. J’ai découvert une femme au parcours exemplaire et je suis rapidement tombée en admiration devant tant de courage et de talent. Sa volonté et son désir d’indépendance sont les traits de caractère qui me fascinent le plus chez elle.

L’écriture n’était pas un passe-temps pour Louisa et elle a beaucoup travaillé avant de vivre totalement de sa plume, acceptant d’effectuer des tâches qu’elle détestait. Elle a connu de longues périodes de pauvreté et elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer le niveau de vie de sa famille. Derrière ses écrits, se cache donc énormément de travail et de persévérance!

Onirik : Comment as-tu procédé pour te documenter ? Il y a une telle variété de sources, de références, de documents, l’ampleur du travail semble très impressionnante…Combien de temps cela t’a pris pour écrire ton essai ?

Charline Bourdin : Après avoir découvert qu’il n’existait pas de documents traduits en français sur la vie de Louisa, j’ai cherché quelle était sa première biographie. J’ai ainsi commencé par lire l’ouvrage d’Ednah Cheney Louisa May Alcott : Her life, letters and journals (1889, réédité en 1966).

Ensuite, j’ai récolté tout ce que je pouvais trouver sur elle : magazines, divers biographies, lettres, extraits de journaux etc.

Mon essai m’a demandé un peu plus de cinq années de travail car il ne s’agissait pas de mon activité principale. Je rédigeais mon essai le soir, après les cours puis après le travail. J’aurais d’ailleurs aimé avoir plus de temps à lui consacrer afin d’être plus exhaustive et précise…

Onirik : Quels ont été tes critères de sélection des documents ? Par exemple, as-tu privilégié des textes qui sont plus accessibles à partir de la France ? Je pense tout particulièrement aux romans de Louisa May Alcott, parce que finalement, tu évoques très peu ceux qui ne sont pas traduits en France, c’est voulu ? On sent bien le parallèle que tu as voulu faire entre la vie des soeurs Alcott et la vie des soeurs March, en multipliant les références au livre…

Charline Bourdin : Je me suis concentrée sur des ouvrages américains de référence ainsi que sur des documents plus personnels à Louisa, comme indiqué ci-dessus. Etant donné la somme conséquente d’information, il m’a semblé plus important et intéressant de centrer mon travail sur la vie de Louisa et le rapprochement évident que l’on peut faire avec Little Women, même si j’aurais aimé développer davantage les références aux autres écrits de Louisa.

J’espère que mon travail saura tout de même susciter l’intérêt des lecteurs sur l’ensemble de son œuvre. Je vous invite à visiter mon site pour y trouver de nouvelles informations : louisamayalcott.fr

Onirik : Est-ce que l’on peut dire dans le même ordre d’idées que Louisa May Alcott est bien traduite en France ? Est-ce que les traductions sont de qualité et suffisantes ? ou y-a-t-il encore une trop grande part de son oeuvre que l’on ignore ici ? et quelle est la meilleure édition actuellement selon toi ?

Charline Bourdin : Les premières traductions de Little Women ne sont pas très intéressantes car elles s’éloignent beaucoup trop du texte d’origine. En revanche, aujourd’hui, nous disposons de belles traductions :

– Celle de Paulette Vielhomme-Callais pour les éditions Folio Junior
– Celle de Malika Ferdjoukh pour l’Ecole des Loisirs
– Celle de Claude Lauriot-Prévost pour les tomes 2, 3 et 4 parus chez Casterman

L’oeuvre de Louisa est peu traduite en France et c’est bien dommage… Cependant, les éditions Interférences proposent les traductions de trois œuvres méconnues que je conseille vivement :

Derrière le masque
Secrets de famille
Les yeux de Lady Macbeth

Onirik : Est-ce que Louisa May Alcott ne souffre pas d’être seulement considérée comme un auteur jeunesse ?

Charline Bourdin : Sans doute… C’est pour cette raison que j’insiste sur l’intérêt des livres cités plus haut (parus aux éditions Interférence). Louisa n’a pas écrit que pour la jeunesse! Bien au contraire, elle a également écrit des romans plus noirs destinés à un public adulte.

Onirik : Quelle est la réception de son oeuvre dans son pays d’origine ?

Charline Bourdin : Little Women fait bien sûr partie des grands classiques américains. Les nombreuses adaptations cinématographiques le prouvent ainsi que les références faîtes dans des séries aussi différentes que Dawson, Dr Quinn, femme médecin ou Friends.

Les autres romans de Louisa, sans doute moins connus, sont tout de même régulièrement réedités voire adaptés (très librement) à la télévision comme c’est le cas de la nouvelle An old Fashioned Thanksgiving en 2008.

Onirik : On apprend grâce à ton livre quelle voyageuse infatigable elle a été… Peux-tu nous en dire plus sur ces voyages en Europe, y a t-il des traces de ses passages à Paris, à Londres ?

Charline Bourdin : Je suis justement en train de faire des recherches sur son passage en France. J’espère trouver quelques traces ou documents intéressants.

Onirik : En ce qui concerne sa petite soeur May, qui a inspiré le personnage d’Amy, en sais-tu un peu plus sur elle et sur le fait qu’elle a vécu chez nous (et est morte en France), en a-t-on gardé quelques traces ? Fait-elle l’objet d’études ou de publications en tant que peintre ? Peut-on admirer son oeuvre autrement que dans des collections privées ?

Charline Bourdin : Je fais également des recherches sur May. Pour le moment, je n’en suis qu’aux balbutiements. A ma connaissance, peu d’ouvrages sont consacrés à l’oeuvre de May Alcott Nieriker.

Onirik : Peux-tu nous dire quelques mots sur le « transcendantalisme » qui a été à l’origine de la philosophie de la famille Alcott et ce que cela impliquait pour l’éducation des filles ?

Charline Bourdin : Le transcendantalisme est un courant de pensée à la fois complexe et fascinant incarné par des personnalités telles que Henry David Thoreau (Walden), Ralph Waldo Emerson (Nature) ou encore, bien sûr, Amos Bronson Alcott.

Amos Bronson Alcott, transcendantaliste et idéaliste à l’extrême, si je puis dire, a eu une influence considérable sur l’éducation des filles.

L’expérience à Fruitlands (communauté utopiste censée incarner les idées transcendantalistes) en est la preuve ainsi que leur vision presque mystique de la nature et les questions « métaphysiques » que les filles étaient amenées à se poser, par exemple.

Il faut également savoir qu’elles n’ont quasiment jamais fréquenté une autre école que celles de leur père qui remettait profondément en cause les méthodes d’enseignement de l’époque.

Onirik : Quelle est ta version préférée des films adaptés de l’oeuvre de Louisa May Alcott ? Celle que tu conseilles ?

Charline Bourdin : J’aime beaucoup le téléfilm de David Lowell Rich que je trouve plus complet que les autres adaptations. J’aime également le film de George Cukor avec l’excellente Katharine Hepburn dans le rôle de Jo.

Onirik : As-tu déjà visité la maison de la romancière, Orchard House, à Concord (Massachusetts) ?

Charline Bourdin : Non, pas encore mais j’ai l’intention d’y aller prochainement. Je pense déposer mon livre sur la tombe de Louisa…

Onirik : Enfin, si tu pouvais lancer un appel à des éditeurs pour qu’ils publient enfin de manière plus rigoureuse l’oeuvre de Louisa May Alcott, quels romans souhaiterais-tu voir traduits ou réédités?

Charline Bourdin : J’aimerais qu’ils soient tous disponibles en français bien sûr!

Mais si je devais en choisir deux, par exemple, ce serait Moods car c’est un roman qui importait beaucoup à Louisa et Hospital Sketches qui traite de son expérience en tant qu’infirmière durant la guerre de Sécession.

Merci infiniment à Charline Bourdin, qui a bien voulu nous accorder quelques instants pour répondre à nos questions, pour en savoir plus, ne manquez pas de lire son excellente biographie Louisa May Alcott ou la véritable histoire de Josephine March (Editions Devin, octobre 2012).