Interview d’Amélie Nothomb, auteur du moderne Barbe Bleue

Onirik : Dans votre roman Barbe Bleue vous nous enseignez les dangers de la colocation.

Amélie Nothomb : C’est une situation impossible, mais qu’on est sans cesse amené à connaître quand on est une jeune Belge ou même une jeune femme pas belge du tout qui débarque à Paris et qui doit trouver un logement. C’est une galère pas possible. On n’a pas d’autre choix que la colocation. Or la colocation à Paris c’est vraiment l’aventure.

Elle a essayé tout plein de logements à Paris et elle comprend vite que celui qui lui propose cette colocation est un serial killer. Mais cela ne la dérange pas. La chambre est propre. Elle est pragmatique : ça lui va.

Elle devient captive de ce lieu. Elle en a marre de vivre dans des bouges et de dormir dans de vieux canapés qui sentent la cigarette. Elle arrive dans cet endroit somptueux et d’entrée de jeu elle succombe au luxe.

Onirik : Une autre anomalie c’est que son colocataire lui propose une demi-pension.

Amélie Nothomb : Il faut qu’il la séduise. Or il ne lui plaît pas physiquement. Il trouve autre chose : la séduire en cuisinant de bons petits plats. Certes elle est méfiante. Huit femmes au préalable ont disparu dans des circonstances mystérieuses. Elle peut éventuellement penser qu’elles ont été empoisonnées.

Onirik : Mais sa cuisine est originale. Il lui sert une omelette et en guise de désert une crème à base de jaunes d’oeufs.

Amélie Nothomb : J’ai une obsession absolue pour les œufs. Je trouve que c’est un des meilleurs aliments. C’est un aliment que je ne mange pratiquement pas car je suis incapable de manger peu d’oeufs. J’en mange très rarement et quand cela arrive je suis dans une espèce de transe. J’ai l’impression de péché absolu.

Onirik : Elemirio s’intéresse également à la photographie.

Amélie Nothomb : Je n’ai aucune expérience de la photographie, puisque je n’ai pas été capable de prendre une photo de ma vie. Mais c’est inouï ce que j’ai pu être photographié ces vingt dernières années. J’en suis arrivé à ma conclusion que la meilleure photo qu’on prendra de ma vie ce sera justement quand je serais morte parce que j’aurais enfin cessé de bouger. Donc je ne serai plus floue. Chaque photographe est un véritable artiste et je me soumets. Quand on a affaire à de véritables artistes c’est qu’il vous transfigure.

Onirik : D’où vient Elemirio ?

Amélie Nothomb : Elemirio est un cas particulier. Il est apparu trois fois dans un manuscrit. C’est juste la première fois qu’il apparaît dans un manuscrit publié. Je voulais écrire mon Barbe Bleue et il s’est retrouvé dans le roman.

Barbe Bleue est une vieille histoire. Même si j’aime beaucoup les contes de Perrault, je trouve que son Barbe Bleue à lui est odieux et cela m’énerve. Si on analyse en dehors du texte les motivations de Barbe Bleue sont si justes. Il était urgent d’écrire Barbe Bleue. Jamais on n’a vécu une telle époque qui conspirait à ce point contre les secrets.

Onirik : Elemirio semble allergique à la modernité.

Amélie Nothomb : L’extérieur a cessé d’intéresser Elemirio depuis 1992. Donc il s’est arrêté au seuil de la période numérique. Il est resté 100 % analogique. Saturnine qui affecte d’être une femme moderne n’est quand même pas très crédible, puisqu’elle fait l’École du Louvre. Tous les arts qu’elle cite sont des arts du passé et elle va être fascinée par ce personnage régressif dont elle partage la culture et je crois qu’à la fin elle va devenir analogique.

Onirik : C’est un aristocrate qui revendique son héritage ancestral.

Amélie Nothomb : Autant je suis à fond pour une noblesse et une aristocratie de la sensibilité et du coeur, autant une aristocratie du sang est vraiment une vaste plaisanterie.

Onirik : Vous avez réalisé un parallèle entre le Christ et don Quichotte.

Amélie Nothomb : Je n’ai jamais vu en don Quichotte un personnage ridicule. Pour moi don Quichotte est vraiment le héros parfait : le vrai noble. Il défend des causes perdues mais terriblement importantes. D’où une théorie absolue : le Christ n’a de sens que s’il est Espagnol.

Onirik : Mais qui dit espagnol dit inquisition.

Amélie Nothomb : Pour ce qui est de la position mystique ou religieuse je suis exactement à mi-chemin les deux. Je suis totalement fascinée par la Bible qui est grand livre. J’aurais voulu écrire la Bible. Tant qu’à être ultra du catholicisme, je préfère un ultra à l’espagnole : le criminel du catholicisme. Tant qu’à faire je trouve ça plus logique. Je suis fascinée par cette position. Ils n’ont pitié de personne. Je ne supporte pas l’indulgence. Je préfère l’inquisiteur.

Il est certain que l’inquisition représente un progrès par rapport à la période précédente. Avant l’inquisition sur simple dénonciation la sorcière était aussitôt brûlée. Avec l’inquisition au moins il y a un procès. Certes, c’est une parodie de justice mais c’est déjà ça.

Onirik : Les affrontements sont nombreux dans vos livres. On se rappellera celui de Hygiène de l’assassin.

Amélie Nothomb : Les personnages ont infiniment progressé. Mina est abjecte, alors que je trouve que Saturnine est parfaite.

Onirik : Est-ce important qu’elle soit belge ?

Amélie Nothomb : Terriblement important : une des choses qui m’irritent dans le conte de Barbe Bleue c’est l’inconsistance des personnages féminins. Je voulais une femme consistante, donc une Belge (c’est le sommet de la femme consistante).

Onirik : Son amie Corinne qui habite à Marne-La-Vallée est un peu banale par rapport à l’héroïne.

Amélie Nothomb : Soeur Anne ne vois-tu rien venir ? Quelle transposition vais-je trouver à soeur Anne ? Ici Corinne est la parente pauvre de soeur Anne. En même temps elle est un peu la conscience de Saturnine. Elle sait avant Saturnine que cette dernière va tomber amoureuse. Corinne est une femme très simple et de bon sens qui voit le danger bien avant Saturnine.

Onirik : Corrine est une exception grâce à son prénom des plus banals.

Amélie Nothomb : Saturnine ce n’est pas le plus terrible des prénoms que j’ai utilisé. Ce ne sont pas des prénoms que j’invente. Ils existent tous. Je les ai tous trouvé dans l’encyclopédie du XIXe siècle. S’ils existent c’est qu’ils ont déjà servi. Je ne vais pas dire que je suis pour le retour de tel prénom, ce qui perturberait le quotidien de bien des enfants. Mais au moins pour les héros de romans je trouve que cela se justifie totalement. Ils ont du sens.

Je les ai choisi soit en fonction de leur sens, soit en fonction de l’effet phonétique qu’ils produisent. Dans le cas de Saturnine c’est indispensable. C’est vraiment mon roman alchimique. Il s’agit de transformer le plomb en or. Mais le plomb c’est Saturne. C’est Saturnine qu’il s’agit de transformer en or.

Onirik : L’un des sujets évoqués est l’amour, même s’il concerne un assassin.

Amélie Nothomb : Il n’y a pas plus dangereux que de tomber amoureux. Quand on voit le pouvoir que ispo- facto on octroie à la personne dont on tombe amoureux.

Depuis que je suis adulte, je me pose la question : quel est donc l’élément déclencheur ? L’amour n’existerait probablement pas si la littérature ne l’avait pas précédé.

Onirik : Bon nombre de vos ouvrages ont pour héros des assassins. Dernièrement vous nous avez informés que la chanteuse Robert était une meurtrière. Cependant aux dernières nouvelles, elle n’avait toujours pas trouvé d’endroit où ranger le cadavre de sa victime.

Amélie Nothomb : C’est pour cela que mon éditeur est très embarrassé. Il promène mon cadavre depuis de Furet en Fnac. Si quelqu’un a une solution….